Centrale frappée par les Russes: le site de Zaporijjia, point clé du réseau électrique ukrainien

C'est un fait inédit: jamais un site nucléaire n'avait été bombardé en Europe, comme ce fut le cas dans la nuit pour la centrale ukrainienne de Zaporijjia.
"Suite à un bombardement des forces russes sur la centrale nucléaire de Zaporijjia, un incendie s'est déclaré", a déclaré dans la foulée Andreï Touz, porte-parole de la centrale.
Les tirs tombant trop près du site nucléaire, les pompiers n'ont d'abord pas pu l'atteindre pendant une partie de la nuit, avant que l'incendie ne soit déclaré comme maîtrisé.
Plus tôt jeudi, l'Ukraine avait indiqué à l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) que de chars et de fantassins russes se trouvaient près de la ville d'Enerhodar, à quelques kilomètres de la centrale nucléaire de Zaporijjia.
Par mesure de prévention, le gouvernement ukrainien et Energoatom, la compagnie nationale dans le nucléaire, avaient aussi décidé de retirer dès le 27 février deux réacteurs du circuit, après l'arrivée de troupes russes à proximité, et le fait que les Russes aient pointé leurs roquettes sur le site.
La plus grande centrale d'Europe
C'est que le site de Zaporijjia pèse très lourd dans l'économie et pour la sécurité ukrainienne: Kiev est la huitième puissance nucléaire au monde, et l'atome représente 50% de sa production énergétique. Parmi ce parc nucléaire, la centrale de Zaporijjia tient un rôle crucial: elle représente près de la moitié, là encore, de la fourniture d'électricité nationale.
Dotée de six réacteurs (sur les quinze réacteurs ukrainiens répartis sur quatre centrales) de 1000 megawatts chacun (en capacité brute), elle fournit 6 des 13,8 GW produits par Kiev via le nucléaire. En tout, selon les autorités ukrainiennes, un cinquième de l'énergie consommée par le pays provient de cette installation.
Lancée en 1980, la construction de ce site majeur de la production électrique ukrainienne s'est poursuivie tout au long de la décennie: il a pris le relais après la catastrophe de Tchernobyl, en avril 1986.
Réacteur après réacteur, il est devenu le site le plus important en termes de capacité de tout le continent européen, devant la centrale française de Gravelines (Nord). C'est aussi la huitième plus importante centrale au monde, devancée par trois installations sud-coréennes (Kori, Hanul, Hanbit), trois sites chinois (Tianwan, Yangjiang, Fuqing) et la centrale de Bruce (Canada).
Un site déjà menacé par le passé
La centrale a déjà été au coeur des conflits entre l'Ukraine et la Russie. En 2014, au moment de l'explosion du conflit au Donbass, elle avait été approchée par une quarantaine d'hommes armés. Les autorités alertaient déjà alors sur le risque d'une intrusion.
Il faut dire que la centrale de Zaporijjia est située au niveau de la ville d'Enerhodar, sur le Dniepr, fleuve traversant la Russie, dans la moitié est du pays. Elle est donc à quelque 200 kilomètres du Donbass, où les affrontements entre le pouvoir ukrainien et les séparatistes pro-russes durent depuis 8 ans maintenant.
Zaporijjia souffre également du manque de budget alloué par le pays pour sa maintenance: en 2014 toujours, un court-circuit avait touché le troisième réacteur du site, provoquant sa mise hors service pour plusieurs mois.
La direction de la centrale avait voulu se montrer rassurante, expliquant que le cœur du réacteur n'avait pas été mis en danger. Les tests n'avaient pas montré de pic de radiation ; mais en plein conflit, et avec un bassin minier mis à mal par la guerre, le pays avait dû en plus se priver de l'électricité apportée par le site.
Un an plus tard, c'est le quatrième réacteur qui avait été déconnecté pour des raisons de sécurité, là encore sans qu'une augmentation de la radioactivité ne soit observée.
Quel risque pour les installations?
Les autorités ukrainiennes se sont néanmoins montrées particulièrement alarmantes cette nuit face aux bombardements russes: sur Twitter, le chef de la diplomatie ukrainienne, Dmitri Kouleba, a appelé à la fin des tirs:
L'armée russe fait feu de tous les côtés de la centrale nucléaire de Zaporijjia, la plus grande d'Europe. Les tirs ont déjà démarré. Si cela explose, ce sera dix fois pire que Tchernobyl! Les Russes doivent cesser IMMEDIATEMENT le feu, et laisser les pompiers établir une zone de sécurité !
L'attaque a également été dénoncée ce vendredi matin par le président ukrainien Zelensky, dans une vidéo publiée sur son compte Twitter.
Plusieurs facteurs de risques
En cas d'attaque, deux risques majeurs peuvent survenir, estiment certains experts: d'une part, la mise en péril des réacteurs directe induite par les bombardements. Mais les centrales demeurent robustes et donc résistantes à une artillerie légère ; elles sont en outre équipées de capteurs, qui doivent en cas de secousses permettre de stopper l'activité du réacteur.
Le deuxième risque, à plus long terme, est celui de surchauffe, à l'instar de l'accident nucléaire de Fukushima : coupée d'approvisionnement électrique, la centrale ne peut plus refroidir ses réacteurs, ce qui provoque progressivement un risque de fusion, et donc de fuite. Des accidents peu ressemblants à celui de Tchernobyl, où un réacteur avait été porté à une puissance trop importante, provoquant une explosion.
L'Agence Internationale de l'Energie Atomique demeurait rassurante dans le cours de la nuit, rappelant que les niveaux de radiation ne s'étaient pas élevés après l'attaque russe :
Pour rassurer sur le risque potentiel d'accident, l'AIEA a également publié un communiqué rassurant sur la situation de Tchernobyl, également tombée aux mains russes, indiquant que des générateurs diesel de secours étaient en capacité de prendre le relais, en cas de coupure de courant touchant les installations.
Pour rassurer sur le risque potentiel d'accident, l'Agence Internationale de l'Energie Atomique a publié un communiqué rassurant sur la situation de Tchernobyl, également tombée aux mains russes, indiquant que des générateurs diesel de secours étaient en capacité de prendre le relais, en cas de coupure de courant touchant les installations.