Défense: comment l'armée et les industriels mettent en place l'économie de guerre voulue par Macron

L'usine Nexter où sont produit les canons Caesar - GUILLAUME SOUVANT
"L'économie de guerre" annoncée par Emmanuel Macron en juin, afin de faire face à un conflit dur qui impliquerait les armées françaises, se met en place. Lors de deux séminaires qui ont eu lieu début septembre et mi-novembre, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, le Chef d'état-major des Armées et ceux des trois armées (terre, air/espace et mer) ont exprimé les besoins aux industriels représentés par le Gican (naval), Gifas (aéro-spatial) et Gicat (terre) et les grandes entreprises du secteur.
Cette économie de guerre est "la capacité à avoir une industrie de défense capable de répondre aux besoins que nous aurions en termes d'armes, de munitions et de maintien en condition opérationnelle en cas de conflit majeur", précise le cabinet du ministre des Armées.
"Relocaliser la production
L'équation demeure complexe la reconstitution des stocks en augmentant à la fois les cadences et aussi ses capacités de production. Ce groupe a listé un top 12 des équipements prioritaires dont le contenu n'a pas été dévoilé, mais il porterait principalement sur du terrestre et surtout avec des munitions (petits et gros calibres), des obusiers et des missiles sol-air.
"Ce dispositif est l'une des conséquences et la leçon que l'on souhaite tirer du conflit en Ukraine", a expliqué le cabinet du ministre.
Selon l'entourage du ministre des Armées, des décisions ont déjà été prises avec des commandes déjà passées et validées parfois en quelques jours ou quelques semaines. C'est le cas de canons Caesar prélevés sur les stocks pour les donner à l'Ukraine.
L'enjeu repose prioritairement sur la reconstitution de stocks de munitions côté militaire, mais aussi, côté industriel de disposer des pièces détachées nécessaires pour la production et la maintenance. Il est même envisagé de "relocaliser la production de certains composants", dévoile l'entourage du ministre.
"Ce sujet existait avant le conflit. La solution consiste à la fois à anticiper les commandes pour préparer les stocks, mais aussi de les mutualiser au lieu que chacun passe les siennes individuellement", explique le ministère de Armées.
Une priorité aux commandes françaises
Les semis-conducteurs, qui proviennent d'Asie, pourraient aussi être concernés selon les modèles et les besoins, par cette relocalisation en s'appuyant sur l'initiative européenne pour les produire en Europe ou en s'appuyant sur les industriels français. "La plaque grenobloise pourrait être mise à contribution". Cette mini Silicon Valley iséroise abrite des sociétés comme STMicroelectronics, Soitec, Tonic, Aledia ou Lynred. En juillet, Emmanuel Macron a annoncé le programme Électronique 2030 pour soutenir la filière.
"Ça se regardera au cas par cas, mais sans dégrader les coûts unitaires", prévient un proche du dossier.
Enfin, pour permettre aux industriels de lancer les productions sans attendre que la commande soit notifiée par la DGA, des lettres de contrats seront émises. Ces avant-contrat seront pour les entreprises de la BITD (base industrielle et technologique de défense) comme une promesse d'achat.
Est-il envisagé de donner la priorité aux commandes passées par la France? Sur ce point, "tout dépend du contexte et de notre situation ou celle de nos partenaires", mais le cabinet du ministère rappelle le rôle essentiel des contrat export pour l'industrie de défense.
"C'est ce qui permet de continuer à faire tourner les chaines et de maintenir l'outil de production, mais si on était dans une situation dégradée, l'idée serait de prélever le matériel export plutôt que d'attendre tout en préservant nos relations avec nos partenaires".
"Finances de guerre"
Reste le budget qui est désormais qualifié de "finances de guerre". Pour reconstituer les stocks, investir et moderniser des moyens de production, le budget de la LPM en cours (2019-2025) ou à venir (2024/2030) pourrait ne pas suffire.
Les discussions ont démarré avec Bercy et pour le moment, les comptes de sont pas bons. Le ministère des Finances tablerait sur 375 milliards d'euros pour la prochaine LPM quand les militaires estiment qu'à moins de 420 ou 430 milliards, ils ne pourront faire face aux enjeux.
Plusieurs pistes sont explorées depuis un financement sur les marchés bancaires, les fonds d'investissements et même une épargne qui permettrait au grand public d'investir dans les industries militaires. "On travaille sur ce point avec Bercy", a assuré l'entourage de Sébastien Lecornu.
