INFOGRAPHIES. Avant même l'accord UE-Mercosur, les importations de viande de bœuf sud-américaine ont bondi de près de 80% cet été

Faux-filets argentins, entrecôtes brésiliennes et autres rumsteaks uruguayens espèrent se faire une (petite) place sur les tables européennes. Alors qu'une nouvelle étape vient d'être franchie à Bruxelles, l'accord commercial UE-Mercosur s'approche à grands pas de la ligne d'arrivée, qu'il pourrait atteindre d'ici la fin de l'année. Objet de la colère d'une bonne partie des agriculteurs, le traité de libre-échange entre l'Union européenne et ses partenaires du Mercosur* (Argentine, Brésil, Uruguay, Paraguay) facilitera –entre autres– l'arrivée de viande bovine sud-américaine en Europe.
Les producteurs sud-américains n'ont toutefois pas attendu sa prochaine entrée en vigueur pour approvisionner le marché européen. Sur le mois de juillet 2025, l'UE a importé un peu plus de 47.500 tonnes** de viande bovine depuis les pays tiers (c'est-à-dire extérieurs à l'UE), soit 15.000 tonnes (+46,2%) de plus qu'en juillet 2024. Or, l'Amérique du Sud est responsable de la quasi-totalité de ce sursaut: sur ce mois, les pays du Mercosur pesaient près de 33.600 tonnes parmi ces importations, ce qui représente 14.800 tonnes supplémentaires (+78,9%) d'une année à l'autre.
Habitué à fournir une grande partie des volumes venus de l'extérieur de l'UE, le mois de juillet n'en demeure pas moins une bonne performance pour le Mercosur. Il représentait 70,7% des importations européennes depuis les pays tiers en juillet 2025, contre 57,7% en juillet 2024 –c'était 55,6% en juillet 2019 et 42,9% en juillet 2016.
Si l'on remonte un peu en arrière, ce volume mensuel enregistré en juillet 2025 est même le plus élevé sur les quinze dernières années, devançant largement les 24.149 tonnes du mois d'avril 2019, selon les données d'Eurostat. Dans le détail, les importations mensuelles de viande bovine depuis l'Uruguay (+73,4% en juillet 2025 par rapport à juillet 2024) ont dépassé 10.000 tonnes ce mois-là, de même pour l'Argentine (+46,9%), tandis que les arrivées depuis le Brésil (+132,3%) sont montées en flèche. Plus petit, le Paraguay a profité de la même embellie (+67,8%) au cœur de l'été.
L'Europe n'a pas assez de viande
Cette hausse conséquente des exportations de bœuf sud-américain vers nos contrées a une explication toute trouvée: l'Europe manque de viande bovine et se tourne vers l'Amérique latine. La production européenne de bœuf a accusé un recul de 3,2% au premier semestre 2025, à 3,142 millions de tonnes, soit 103.000 tonnes de moins qu'à la même période en 2024. Or, "la consommation se maintient en Allemagne et recule modestement dans de grands pays consommateurs" comme l'Italie et la France, observe l'Institut de l'élevage (Idele) dans ses tendances mensuelles.
"Pour compenser le manque de viande intra-communautaire, les États membres ont eu recourt à davantage d’import depuis les pays tiers en début d’été", note l'Idele.
Faut-il aussi y voir un signe annonciateur, alors que l'accord UE-Mercosur sera bientôt activé? Si elle reste à confirmer d'ici décembre, la tendance est en tout cas à la hausse depuis le début de l'année. Sur les sept premiers mois, les volumes ont grimpé de 20,5% par rapport à la même période en 2024, ce qui pourrait théoriquement pousser les volumes annuels totaux au-delà des 230.000 tonnes en 2025. "Les douanes brésiliennes indiquent que les exportations de viande bovine se sont poursuivies à bon rythme" en août, avec 13.600 tonnes expédiées (+45%), souligne pour l'heure l'Idele.
Avant même l'accord UE-Mercosur, ces quatre pays bénéficient déjà de contingents à droits de douane réduits ou nuls vers le marché européen. Conclus dans les années 1970 dans le cadre du GATT, les contingents dit "Hilton" (du nom de l'hôtel de Tokyo où ils ont été négociés) permettent à l'Argentine (38.206 tonnes), au Brésil (11.636 tonnes), à l'Uruguay (7.288 tonnes) et au Paraguay (1.300 tonnes) d'envoyer un peu plus de 58.400 tonnes de bœuf vers l'UE à 20% de droits de douane. Cela concerne les morceaux nobles de viande de "haute qualité" issue d'animaux engraissés à l'herbe.
99.000 tonnes supplémentaires
Par ailleurs, l'UE a été contrainte d'ouvrir en 2009 un contingent de 58.500 tonnes de viande "de haute qualité" à 0% de droits de douane, en compensation de son interdiction d’importer des produits issus d’animaux traités aux hormones. Plusieurs pays s'en partagent l'accès: 45.500 tonnes pour les États-Unis, 13.000 tonnes restantes partagées entre l'Argentine, l'Uruguay, la Nouvelle-Zélande et l'Australie.
L'accord UE-Mercosur va bientôt rebattre les cartes: tel que finalisé, il prévoit d'ouvrir progressivement, sur six ans, un nouveau quota de 99.000 tonnes de viande bovine sud-américain soumises à 7,5% de droits de douane. La Commission européenne se veut toutefois rassurante, notant que ces 99.000 tonnes n'équivalent qu'à 1,5% de la production européenne de viande bovine en 2024. Mais le traité prévoit aussi de faire passer de 20% à 0% les droits de douane sur les 58.400 tonnes "Hilton".
Grâce à l'accord UE-Mercosur, ce sont ainsi 157.000 tonnes environ de viande bovine sud-américaine qui bénéficieront à terme de droits de douane d'au maximum 7,5% à l'entrée de l'Europe, sans compter les 13.000 tonnes partagées avec l'Océanie. À titre de comparaison, les pays du Mercosur ont expédié 194.000 tonnes de viande bovine vers l'Union européenne en 2024, déjà largement au-delà de ces quotas.
Flambée dans les années 2000
Le Mercosur est un fournisseur de l'UE de longue date en matière de bœuf, notamment pour les pièces de viande à haute valeur ajoutée. Mais il est aujourd'hui encore loin d'égaler ses volumes exportés vers l'UE dans les années 2000, qui avaient vu exploser les arrivées de viande brésilienne –en 2006, les importations européennes de viande bovine sud-américaine étaient deux fois plus lourdes qu'en 2024– au moment où les prix étaient particulièrement bas au Brésil. Les quatre pays du Mercosur assuraient alors entre 80% et 90% des importations européennes depuis les pays tiers.
Ces expéditions avaient brutalement chuté en 2008, parallèlement à la mise en œuvre par le Brésil d'un système de traçabilité individuelle des animaux (SISBOV) pour répondre aux exigences européennes, comme le notait un rapport au sujet de l'accord UE-Mercosur remis au Premier ministre en avril 2020. Ce système fonctionne sur une base volontaire, mais il reste indispensable pour exporter vers l'UE. De ce fait, "ce sont principalement les exportations du Brésil qui ont [alors] décru, alors que celles de l’Uruguay sont restées relativement stables", observait ce même rapport.
À l'exception du trou d'air causé par la crise sanitaire, les volumes de bœuf sud-américain ont depuis repris une trajectoire haussière, poussés par un retour du Brésil et une nouvelle progression de l'Argentine depuis le milieu des années 2010. Sauf surprise, l'année 2024 ne devrait pas la démentir.
La France était le premier producteur européen de viande bovine (19,7%) en 2024, devant l'Allemagne (15,3%), l'Espagne (10,9%), l'Italie (10,0%), la Pologne (9,7%) et l'Irlande (9,2%), selon les données d'Eurostat. À eux six, ces pays représentaient les trois-quarts de la production totale de l'Union européenne.
*Bien qu'ayant rejoint le bloc du Mercosur en 2024, la Bolivie n'est pas incluse dans l'accord commercial UE-Mercosur. Le Venezuela, membre depuis 2012, en est suspendu indéfiniment depuis 2016 en raison de la situation politique locale.
**Les volumes de viande bovine sont exprimés en "tonnes équivalent-carcasse" (téc) dans cet article, mais le terme "tonnes" y est utilisé par commodité de lecture.