Trump veut-il nous faire manger du bison? L'accord commercial prévoit d'exempter de droits de douane 3.000 tonnes de viande de ce bovidé

Un bison d'Amérique au sein du parc d'État d'Antelope Island, dans l'Utah (États-Unis), en septembre 2025 (photo d'illustration). - TAYFUN COSKUN / ANADOLU / Anadolu via AFP
Venue des Grandes plaines, la viande de bison américaine espère traverser l'Atlantique pour conquérir les assiettes européennes… si les consommateurs du Vieux continent veulent bien s'en servir un peu. C'est l'un des points passés relativement inaperçus dans l'accord commercial noué entre l'Union européenne et les États-Unis au cœur de l'été: pour obtenir les bonnes grâces de Washington, Bruxelles a accepté d'ouvrir les vannes douanières pour quelques productions agricoles américaines "non sensibles", parmi lesquelles l'huile de soja, le ketchup et l'inattendue viande de bison.
Plus concrètement, un contingent de 3.000 tonnes de viande de bison américaine sera désormais exempté de droits de douane chaque année à l'entrée du marché européen, tel qu'inscrit dans la proposition de règlement soumise par la Commission européenne au Parlement européen et au Conseil de l'Union européenne. Au-delà de 3.000 tonnes, ces mêmes droits de douane remonteront à 20%, leur niveau actuel.
"[Nous avons] longtemps fait pression sur le gouvernement fédéral pour alléger les droits de douane sur le bison importé dans l'Union européenne", affirmait l'organisation représentative des éleveurs américains (National Bison Association, NBA) à la fin du mois d'août, se félicitant d'avoir obtenu gain de cause. Un peu moins de 2.000 ranchs et fermes privées élevaient des bisons aux États-Unis en 2022, selon le dernier recensement agricole mené par le Département américain de l'Agriculture (USDA), qui dénombrait alors un peu plus de 192.000 animaux dans ces élevages.
Tendre et moins grasse que le bœuf
S'il semble indissociable de l'imagerie américaine, l'élevage de bison n'y a pourtant émergé qu'à la fin des années 1960 à la faveur des programmes de réhabilitation de l'espèce bovine, autrefois abondante sur le sol nord-américain avant d'être décimée au cours de la colonisation européenne. Soutenu par la demande intérieure –et un marketing efficace– le marché de la viande de bison a connu une forte croissance outre-Atlantique sur les trente dernières années. Et les éleveurs américains espèrent maintenant déborder sur l'Europe, convaincus d'y trouver une "forte demande".
Une telle affirmation a de quoi surprendre, le bison n'étant pas vraiment dans les habitudes alimentaires des Européens. En dépit de ses solides arguments –une viande rouge tendre, riche en protéines et moins grasse que le bœuf– il n'est ponctuellement aperçu qu'au moment des fêtes de fin d'année dans les supermarchés. En France, en-dehors du pavé mariné servi à Buffalo Grill, peu de restaurants l'affichent à la carte.

Pour l'heure, les éleveurs américains se réjouissent surtout d'avoir amoindri la concurrence canadienne qui, elle, bénéficie déjà d'un allègement des droits de douane européens depuis 2018. L'accord commercial bilatéral entre l'UE et le Canada (Ceta) prévoit un même contingent annuel de 3.000 tonnes de viande de bison exempté de droits de douane. Le récent accord UE-États-Unis "permettra d'assurer un approvisionnement plus important en bison pour les consommateurs européens, tout en augmentant collectivement la part de marché de l'industrie du bison", veut croire la NBA.
S'il y a des oubliés dans cette histoire, ce sont plutôt les éleveurs européens, déplore Matthieu Péron, président de l'association Bison de France et lui-même à la tête d'un élevage de 400 animaux en Auvergne.
La Commission européenne "n'a demandé à personne son avis", regrette-t-il, estimant "rageant" que la filière locale soit considérée comme un "simple dommage collatéral" de l'accord transatlantique.
Une quinzaine d'éleveurs sont aujourd'hui disséminés sur le territoire français, de même qu'une autre quinzaine en Allemagne et quelques-uns en Belgique voisine. La Pologne, l'Autriche ou la Roumanie abritent également plusieurs élevages.
Peu d'importations canadiennes
Des deux côtés de l'océan, la même espèce de bison est élevée, à savoir le bison d'Amérique. Mais "nous, on engraisse à l'herbe", alors que les animaux américains "sont envoyés dans des 'feedlots' (parcs d'engraissement, NDLR) pour s'engraisser rapidement", souligne l'agriculteur auvergnat, qui se montre toutefois rassurant pour lui et ses collègues. Les éleveurs européens écoulent généralement leur viande en vente directe et sont peu exposés au commerce international. Par ailleurs, "la production américaine n'arrive même pas aujourd'hui à suivre sa demande intérieure", ajoute-t-il.
"Nos clients font attention à qui ils achètent et où ils achètent. Nous restons confiants dans notre production", assure Matthieu Péron, qui évoque un "achat plaisir" pour "une viande de qualité" que l'on "aime faire découvrir à ses amis".
Dans le cas du Canada, la levée des barrières douanières sur le bison n'a effectivement eu que peu d'effets depuis 2018. Selon les rapports d’analyse de la mise en œuvre du Ceta menés par la Commission européenne, le contingent tarifaire de 3.000 tonnes n'a été utilisé qu'entre 2% et 6% selon les années, soit entre 60 et 180 tonnes. D'abord pour une raison réglementaire: les gains attendus par les Canadiens ne se sont pas concrétisés en raison "de divergences réglementaires sur les normes de sécurité alimentaire", qui leur ont fermé les portes de l'Europe, note Bruxelles.
L'allègement des droits de douane sur la viande américaine "va peut-être aider à augmenter un peu les ventes", mais le bison "reste un marché marginal" en Europe, acquiesce Arnaud De Jong, à la tête de la société familiale Damien De Jong (DAM), spécialisée dans l'importation et la transformation de viande de gibier et de viande exotique, dont le bison. L'entreprise alsacienne, qui s'approvisionne aux États-Unis, ne vend que 3 à 5 tonnes de viande de bison chaque année –uniquement sur le marché français, faute de demande de la part de ses clients dans les pays voisins.
"La plus chère de notre assortiment"
Bien moins demandé que l'autruche ou le kangourou, le bison est la viande "la plus chère de notre assortiment" en raison de son prix d'achat très élevé, souligne-t-il. Le pavé de bison sous la marque Damien De Jong est vendu autour de 50 euros le kilo dans les supermarchés, où l'entreprise distribue la majeure partie de ses produits, le reste étant acheté par les grossistes de la restauration et les industriels. Par ailleurs, estampillée malgré elle en tant que produit festif, la demande en viande de bison reste très concentrée sur les dernières semaines de l'année, ajoute le dirigeant alsacien.
"Nous n'allons pas vendre 100 tonnes de bison juste parce qu'il n'y a plus de droits de douane sur la viande américaine", renchérit Arnaud De Jong.
Quoi qu'il en soit, les éleveurs américains devront faire preuve d'un peu de patience avant de partir à la conquête des estomacs européens. Le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne, qui représente les États membres, doivent encore donner leur feu vert pour que l'accord commercial UE-États-Unis puisse entrer en vigueur.