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Désormais auréolé d'une IGP, le caviar d'Aquitaine veut se démarquer de la concurrence chinoise

Une boîte de caviar d'Aquitaine, présentée sur le stand de l'Union européenne lors de la 61ème édition du Salon international de l'agriculture (SIA), le 28 février 2025 à Paris.

Une boîte de caviar d'Aquitaine, présentée sur le stand de l'Union européenne lors de la 61ème édition du Salon international de l'agriculture (SIA), le 28 février 2025 à Paris. - BFM Business

Le "caviar d'Aquitaine" a récemment obtenu une indication géographique protégée (IGP), une victoire pour les producteurs français.

Dans l'un des coins du pavillon 1, les vaches nantaises restent imperturbables malgré l'agitation sur le stand voisin de l'Union européenne. Invité inattendu de l'événement agricole parisien, le caviar d'Aquitaine a profité du Salon de l'agriculture pour célébrer la toute récente obtention d'une indication géographique protégée (IGP), convoitée par la filière depuis une décennie. À l'occasion, le certificat d'enregistrement européen de l'IGP a été officiellement remis à quelques producteurs par le commissaire européen à l'Agriculture, Christophe Hansen, de passage à Paris.

L'IGP "caviar d'Aquitaine" est le premier label de qualité européen dédié aux fameux œufs d'esturgeon. Symbole incomparable du luxe, le caviar français joue des coudes depuis une trentaine d'années pour se faire une place dans le marché mondial. L'IGP "change beaucoup de choses" pour la filière française car "nous nous sommes battus" pour cela, veut croire Laurent Sabeau, directeur général de Prunier Manufacture, se réjouissant d'une "reconnaissance" pour le travail accompli. Avec ses trois piscicultures, il est l'un des quatre producteurs dans le giron de l'IGP.

Au cours de l'année précédente, environ 40 tonnes de caviar ont été produites en Aquitaine. La moitié des volumes s'inscrivent dans le cadre du cahier des charges à l'heure actuelle. "Personne ne croyait en nous", se rappelle Laurent Sabeau, l'un des pionniers tricolores de l'élevage d'esturgeons dans les années 1990. Fruit de la présence endémique d'esturgeons sauvages dans la Gironde, la production de caviar français s'amorce dans les années 1920, dans le sillage de la vague d'émigration russe consécutive à la révolution bolchévique, qui a elle-même anéantie la production locale.

2.000 à 4.000 euros le kilo

Le caviar français connaît un succès certain, mais la surpêche cause la quasi-disparition de l'esturgeon d'Europe à l'état sauvage, conduisant à l'interdiction de la pêche en 1982. Des recherches sont menées en France autour de l'élevage de l'esturgeon de Sibérie, Acipenser baerii de son nom officiel, et les premières piscicultures voient le jour dans les années 1990. La dénomination "caviar d'Aquitaine" est commercialisée pour la première fois en 1996. L'interdiction des importations de caviar sauvage en Europe, depuis la Russie, lui donne un nouvel élan dans les années 2000.

Charge désormais à l'Aquitaine de faire "rayonner" son caviar en France et au-delà de ses frontières, se félicite Michel Berthommier, vice-président de l'association Caviar d'Aquitaine et patron de L'Esturgeonnière, derrière laquelle se cache la marque Perlita. Trois entreprises locales, dont celle de Michel Berthommier sur le bassin d'Arcachon, ont entamé des démarches pour obtenir une IGP au début des années 2010. Une douzaine d'années auront été nécessaires pour établir le cahier des charges du "caviar d'Aquitaine", aujourd'hui vendu entre 2.000 et 4.000 euros par kilogramme.

L'aire géographique de l'IGP regroupe les départements de la Gironde, des Landes et du Lot-et-Garonne, ainsi qu'une partie des départements de la Charente, de la Charente-Maritime, de la Dordogne, du Gers et des Pyrénées-Atlantiques. Si l'on s'attarde sur le cahier des charges, les règles sont claires: la seule espèce d'esturgeon autorisée est l'esturgeon sibérien et tous les poissons doivent être nés et élevés dans la région. Même le goût est régenté: le caviar d'Aquitaine présente "des notes beurrées, de crème fraîche ou de fruit à coque", peut-on lire dans le document.

350 tonnes de caviar chinois

Derrière les célébrations officielles, une bataille silencieuse se joue dans le monde feutré du caviar. L'IGP n'est pas un hasard: face à la féroce concurrence chinoise, les producteurs français cherchent une arme pour riposter. "La Chine a produit 350 tonnes l'année dernière, sur les 600 tonnes produites au niveau mondial", rétorque Michel Berthommier. "À des prix extrêmement bas", ajoute-t-il, évoquant un "rouleau compresseur". Avec le trou d'air russe, le marché a laissé une place béante pour le caviar chinois, qui s'est inséré à grande vitesse dans la place laissée vacante.

La Chine "a accompagné l'effort de développement de la production de caviar par un travail marketing efficace", qui s'est notamment illustré par des partenariats avec "des grands chefs français", observe Michel Berthommier.

Sur le terrain des prix, la Chine est imbattable. Le caviar d'Aquitaine, qui exporte 50% de ses volumes, mise davantage sur l'image française pour se faire entendre, d'autant plus que l'Europe compte d'autres pays producteurs, comme l'Italie et la Pologne. "L'Aquitaine, c'est Bordeaux, ce sont les vins. C'est une marque qui peut se faire valoir à l'étranger", estime Laurent Sabeau. Le caviar d'Aquitaine espère maintenant que les chefs français, installés un peu partout sur la planète, lui permettront d'obtenir une place privilégiée sur les tables des grands restaurants.

Jérémy Bruno Journaliste BFMTV