BFM Business
Des vaches de race Saosnoise lors de la 61ème édition du Salon de l'agriculture, le 25 février 2025 à Paris.

BFM Business

Nantaise, Grand noir du Berry et Saosnoise: des éleveurs se battent pour sauver les races locales menacées

Dans les allées du Salon de l'agriculture, certains animaux représentent des races d'élevage menacées de disparition. Des éleveurs se battent pour les préserver.

"Moi qui ne mange pas beaucoup de viande, j'élève aujourd'hui des vaches", relève Mélanie Foucher avec un sourire. L'éleveuse de Rouans, en Loire-Atlantique, est venue avec sa vache Picota au Salon de l'agriculture. Ancienne designeuse, elle s'est reconvertie depuis quelques années dans l'élevage bovin pour produire de la viande. "Je me suis inquiétée du dérèglement climatique"', raconte-t-elle, et "j'ai commencé à regarder le milieu agricole". Cherchant un terrain pour y planter des pommiers, elle vire finalement de bord en reprenant une ferme à quelques kilomètres de chez elle.

Avec son associée Gaëlle, elle y installe des vaches Nantaises, une race locale menacée dont la calme Picota est l'une des illustres ambassadrices. "Il fallait que je m'adapte à mon territoire", observe l'éleveuse ligérienne. Race bovine traditionnelle du Pays nantais, elle a frôlé l'extinction dans les années 1980, alors qu'elle comptait encore 170.000 têtes après-guerre. À la robe claire, la Nantaise est une race mixte, apte à produire du lait et de la viande. "C'est une très jolie vache avec son petit maquillage permanent", plaisante-t-elle, alors que les visiteurs se pressent devant Picota.

D'autres bovins ont vu leurs effectifs chuter drastiquement après-guerre. Outre la mécanisation, la sélection s'est concentrée sur les vaches productives et spécialisées. "Plutôt mixtes", de nombreuses races locales ont été délaissées car elles "n'auraient pas permis de nourrir la France en quantité", explique Flavie Bouvet, technicienne à l'Institut de l'élevage (Idele) et animatrice pour l'organisme de sélection des races bovines locales à petits effectifs (OS RBLPE), qui regroupe 12 races, parmi les 25 races locales menacées qui sont répertoriées par le ministère de l'Agriculture.

"Dans les années 1970, il y a eu un regain de conscience. On s'est dit 'Mince, ces races sont en train de disparaître' et des plans de conservation ont été mis en route", retrace Flavie Bouvet.

Limiter la consanguinité

À côté de Picota et d'une consœur Nantaise, quelques Lourdaises, Saosnoises et Ferrandaises composent le reste de la délégation de l'OS RBLPE envoyée à Paris. Chargées de conserver la diversité génétique, ses équipes dressent des plans d'accouplement entre les mâles et les femelles compatibles des différentes fermes en France, pour limiter la consanguinité au sein des troupeaux. Au-delà du seul patrimoine culturel, l'objectif est aussi de préserver des animaux parfaitement adaptés à leur territoire – la Nantaise, par exemple, ne craint pas d'avoir les pieds dans l'eau.

"Mes terres sont complètement immergées plusieurs mois dans l'année", souligne Mélanie Foucher, expliquant que le pâturage évite la disparition des prairies humides.

Un peu partout en France, d'autres éleveurs se battent pour sauver les races d'élevage à l'avenir incertain. Les bovins ne sont pas les seuls concernés: dans les allées du Salon de l'agriculture, quelques cochons Cul noir du Limousin, chèvres Poitevines et moutons Montagne noir paradent au nom de leurs troupeaux respectifs. Cozak du Serein est, lui, le seul représentant de sa troupe dans le pavillon 6. L'âne de race Grand noir du Berry, un mâle de douze ans qui participe pour la deuxième fois à l'événement agricole parisien, est arrivé du nord de la Gironde avec son éleveur.

"Nous sommes tombés amoureux" des ânes berrichons, des animaux calmes et affectueux, se rappelle Grégory Peyrat. Outre la fabrication de cosmétiques au lait d'ânesse, "nous avons des cultures de petits fruits, où l'on travaille le sol avec nos ânes", ajoute l'éleveur aquitain, dont la ferme accueille six ânesses, deux hongres (des mâles castrés) et le fameux Cozak du Serein, au caractère bien affirmé. Le baudet est l'un des rares mâles agréés pour la reproduction des Grands noirs du Berry, une race qui regroupe moins d'un millier d'individus selon le dernier recensement.

"De moins en moins d'éleveurs"

La France dénombre huit races d'ânes officiellement reconnues et toutes sont menacées de disparition: avec la mécanisation du travail agricole, les ânes ont perdu de leur utilité dans les champs et les vignes. La situation est critique: selon une étude de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) publiée en septembre 2023, quatre races asines ont encore vu leurs effectifs décroître de plus de 70% entre 2014 et 2022. Les loisirs, la médiation animale ou les cosmétiques au lait d'ânesse n'ont pas permis d'enrayer le déclin.

"De moins en moins d'éleveurs" s'intéressent à l'âne Grand noir du Berry, regrette Grégory Peyrat en évoquant ses ânes favoris, de grands équidés à la robe noire et au ventre blanc. La race se borne à une vingtaine de naissances annuelles en moyenne. Peu nombreux dans l'Hexagone, les propriétaires se connaissent tous. "Nous essayons de valoriser le plus possible l'élevage" des ânes Grands noir du Berry en "aidant" les nouveaux éleveurs au travers de l'organisme de sélection, expose-t-il, mais il est difficile de trouver de jeunes agriculteurs déterminés à s'y lancer.

Par ailleurs, "le coût de l'élevage a énormément augmenté. Aujourd'hui, élever des ânes en tant que particulier, cela coûte très cher", note Grégory Peyrat.

Contrairement aux ânes, la valorisation économique est plus évidente pour les bovins. "Les effectifs sont forcément liés aux débouchés", confirme Flavie Bouvet. Du côté des vaches Nantaises, les éleveurs se sont associés aux transformateurs, aux bouchers et aux restaurateurs pour développer de nouveaux canaux de commercialisation et de distribution du lait et de la viande au niveau local, avec l'idée de convaincre de nouveaux éleveurs. "C'est confortable de dire à notre banque qu'on a déjà une partie de nos produits qui sont vendus de manière certaine", avance Mélanie Foucher.

Jérémy Bruno Journaliste BFMTV