Société Générale, Free, Stellantis... Votre employeur a-t-il vraiment le droit de décider seul de supprimer le télétravail?

Recul à tous les étages... Ces dernières semaines, les entreprises qui annoncent une réduction du télétravail se multiplient. Ubisoft, Amazon, Stellantis... et dernièrement Free ont appuyé sur le frein.
La Société générale a également annoncé le passage à un jour par semaine de télétravail, contre 2 ou 3 actuellement. En colère, trois syndicats de la banque dénoncent "un passage en force" et organisent une journée "Tous sur site" ce jeudi 3 juillet, censée prouver à la direction qu'un retour au bureau occasionnerait une belle pagaille.
Si vous avez l'habitude de télétravailler, vous vous demandez peut-être si votre employeur pourrait lui-aussi, du jour au lendemain, revenir sur cette disposition ou en changer les modalités. Selon l'avocat spécialisé en droit du travail, Ibrahim Cheikh Hussein, tout dépend de la manière dont le télétravail a été formalisé entre le salarié et l'entreprise.
"Contrairement à une idée rependue, l’employeur ne peut pas toujours exiger le retour en présentiel d’un salarié en télétravail", affirme-t-il.
Tout dépend donc de la manière dont l'accès au télétravail a été formalisé.
• Un accord collectif ou une charte fixe les modalités du télétravail
Lorsque l'accès au télétravail est formalisé par un accord collectif ou une charte télétravail, le document doit en principe fixer "les conditions de retour à une exécution du contrat de travail sans télétravail".
Ce qui veut dire que l'employeur doit respecter les modalités fixées s'il souhaite opérer un retour. Or selon Ibrahim Cheikh Hussein, les conditions "peuvent être relativement contraignantes et ainsi parfois empêcher ou entraver le retour à un travail en présentiel".
L'avocat cite notamment "le délai de prévenance, les situations spécifiques visées, le droit à un nombre de jours minimum de télétravail, etc". Le salarié peut donc s'y référer pour déterminer dans quelle mesure il disposerait d’un droit opposable au télétravail.
• L'accès au télétravail est inscrit dans le contrat de travail
Parfois l'accès au télétravail est stipulé sur le contrat de travail. Dans ce cas, le télétravail constitue en principe un droit opposable du salarié.
"Son consentement est ainsi nécessaire pour travailler en présentiel, sauf si le contrat de travail ou un avenant prévoit une clause de réversibilité (ce qui est relativement peu fréquent en pratique)", précise Me Ibrahim Cheikh Hussein.
"Dans ce dernier cas, il conviendra de se référer aux termes de la clause de réversibilité afin de déterminer dans quelle mesure l’employeur peut exiger ou non le retour en présentiel", ajoute-t-il.
Si le télétravail est évoqué dans une charte ou un accord collectif et dans le contrat de travail, en principe, c'est ce dernier qui prime. Sauf si l'accord collectif ou la charte sont plus favorables au salarié ou sauf "s’il ressort clairement des énonciations du contrat de travail (ou de l’avenant) que le télétravail est mis en œuvre en application d’un accord collectif".
• Absence de formalisation du télétravail
Si le télétravail n'est pas formalisé par écrit, c'est généralement l'habitude qui prime. "Les juridictions ont tendance à considérer que la pratique habituelle du télétravail par un salarié relève d’un accord implicite avec son employeur ayant valeur contractuelle, de sorte que le consentement du salarié est requis pour un retour en présentiel", explique Me Ibrahim Cheikh Hussein.
Il cite notamment un jugement de la Cour d’appel de Lyon, qui a ainsi pu juger que "alors qu'elle avait accepté pendant plusieurs années que le salarié ne se rende qu'épisodiquement au siège de l'entreprise [...] la société a modifié un élément essentiel du contrat de travail en lui imposant d'être présent au siège deux jours par semaine [...] Cette modification du contrat de travail ne pouvait être unilatéralement décidée par l'employeur." (CA Lyon, 10 sept. 2021, no 18/08845).
• Cas particuliers empêchant le retour en présentiel
Enfin, l'avocat évoque deux cas qui peuvent dispenser le salarié d'un retour au bureau.
- le principe d’égalité de traitement: sauf raison objective, l'employeur ne peut pas exiger le retour de certains salariés en présentiel alors que d’autres en situation comparable continuent de bénéficier du télétravail
- une prescription médicale: si le télétravail est mis en œuvre sur prescription du médecin du travail, l’employeur ne peut s’y opposer que pour des raisons objectives et légitimes qu'il a l’obligation de justifier.
En conclusion, il importe de lire les textes qui régissent et encadrent la pratique du télétravail dans votre entreprise. Attention également à bien vérifier si ces documents précisent le nombre de jours de télétravail accordés. En cas de doute, il peut également être intéressant de se rapprocher des syndicats.