"Stimuler l’innovation": après avoir misé sur le télétravail, pourquoi Stellantis appuie sur le frein

L'usine Stellantis Mirafiori, à Turin, le 10 avril 2024. - MARCO BERTORELLO / AFP
C'est une entreprise qui avait été pionnière. Dès 2014, PSA (devenue Stellantis en 2021) avait introduit le télétravail pour ses salariés du tertiaire. Au fil des années, cette pratique s'est installée, ce qui a permis à la société d'être déjà bien rodée au moment de la pandémie de Covid et du confinement.
Plus qu'un test, le télétravail était une véritable stratégie pour le groupe. En 2020, Xavier Chéreau, le directeur des ressources humaines, entrevoyait déjà un avenir dans lequel le télétravail allait devenir "la référence" pour des salariés qui ne seraient plus présent que "un jour ou un jour et demi par semaine".
Et cinq ans plus tard, l'entreprise y est arrivée. Environ 8.650 salariés, principalement des cadres et agents de maîtrise, peuvent actuellement travailler à distance. La moitié d'entre eux ne sont au bureau qu'une semaine par mois ou un jour par semaine.
Mais aujourd'hui les cartes sont rebattues. La direction veut, à terme, faire revenir les employés sur site au moins trois jours par semaine dans le cadre de son plan baptisé "re-connexion". Avec un objectif intermédiaire de deux jours de présentiel mis en place progressivement à partir de juin.
"L'organisation actuelle a aussi des limites"
Alors pourquoi ce rééquilibrage? Les performances de Stellantis ont-elles pâti du travail à distance? Le constructeur ne donne pas d'indication sur le sujet et il est difficile de l'évaluer de manière chiffrée. Si elle vante "l'équilibre vie professionnelle-vie personnelle", la direction reconnait que "l'organisation actuelle a aussi des limites".
Car le travail à distance limite forcément les interactions humaines. Stellantis cite notamment "l’accueil de nouveaux arrivants, pour développer la culture entreprise et le sentiment d'appartenance notamment chez les jeunes recrutés".
"Ce que l'on veut, c'est augmenter les temps d'échange en présentiel, renforcer l'animation managériale", confie l'entreprise à BFM Business.
"Ce changement vise à renforcer la collaboration, à accélérer le processus décisionnel et à stimuler l’innovation", ajoute la direction. Des objectifs dont on comprend entre les lignes qu'ils étaient difficiles à atteindre en distanciel.
"Avec le télétravail, les entreprises se rendent compte qu'elles ont gagné des m2 de bureaux mais qu'elles ont perdu au change sur la cohésion et la fluidité des échanges d'informations", abonde Laurent Oechsel, délégué syndical CFE-CGC.
"On avait prévenu qu'il ne fallait pas aller trop loin ou trop vite."
"Certains sont allés s'installer à Rouen"
Sauf qu'en cinq ans, les employés ont eu le temps d'adapter leur mode de vie à cette nouvelle organisation du travail. "Il y a des salariés qui n'ont pas de garde d'enfants ou qui se sont inscrit à une activité sportive le midi", explique Laurent Oechsel.
D'autres ont fait des changements plus radicaux. "Certains ont acheté une maison assez loin, parmi les salariés du site de Poissy, en région parisienne, certains sont allés s'installer en Seine-et-Marne, à Rouen ou dans les Pays de Loire par exemple", raconte-t-il à BFM Business.
"Quand vous ne venez au bureau qu'une fois par semaine, c'est acceptable de rajouter une heure de trajet, mais quand on passe à trois jours de présentiel, ce n'est pas digérable."
La CFE-CGC demande donc une adaptation au cas par cas et reconnaît que fixer un cadre général sera difficile. "Une période de transition sera mise en place afin de permettre à chacun de s’organiser pour revenir sur site plus souvent", assure de son côté l'entreprise, ajoutant que "les situations particulières seront analysées en concertation avec les directions".
"Nos infrastructures ne sont pas dimensionnées"
La CFE-CGE s'inquiète également des conditions matérielles d'un retour au bureau. "La direction a développé le télétravail avec, parmi les arguments, l'idée de réduire les surfaces de bureaux et l'impact environnemental", se souvient Laurent Oechsel.
"Sauf qu'aujourd'hui, nos infrastructures ne sont pas dimensionnées, il va falloir vérifier les capacités des espaces de travail, des restaurants d'entreprise, des parkings…"
Stellantis met en avant la progressivité de la démarche. "Cette étape nous laisse le temps de travailler avec nos partenaires sociaux, pour faire que cette plus grande présence se fasse dans les meilleures conditions", explique le constructeur automobile.
Enfin, le retour partiel au bureau pose aussi la question de l'organisation du travail. "Si on force les gens à revenir sur place et qu'ils sont tout seuls toute la journée avec un casque sur les oreilles, ça n'a pas d'intérêt", pointe Laurent Oechsel.
Pour le syndicaliste, il est essentiel que les membres d'une même direction se retrouvent au bureau le même jour, et que ces journées soient dédiées au brainstorming, aux échanges d'idées.
"Le but est de recréer des interactions fortes."
L'idée pourrait ainsi être de se partager des bureaux (flex-office), non pas entre collègues d'une même direction, mais entre plusieurs équipes. Il faudrait certes de plus grands espaces, mais l'équipe A pourrait occuper tous les bureaux en début de semaine et l'équipe B en fin de semaine.