BFM Business
Social

"Risque de défaut de paiement" en 2027, "trajectoire hors de contrôle": 80 ans après sa création (et malgré des dizaines de réformes), la Sécurité sociale est au bord du gouffre

placeholder video
80 ans après sa création, la Sécu dont le déficit excède 20 milliards d'euros affiche une situation financière préoccupante due aux branches maladie et retraites. La Cour des comptes a déjà alerté sur une "trajectoire hors de contrôle".

Créée par les ordonnances des 4 et 19 octobre 1945, la Sécurité sociale célèbre ses 80 ans. Un anniversaire symbolique dont Sébastien Lecornu entend profiter pour "repenser notre modèle social et l'avenir de la protection sociale".

"Le financement de notre protection sociale repose majoritairement sur des prélèvements assis sur le travail à 65%, soit significativement plus que la moyenne de l’Union européenne", a rappelé le Premier ministre dans une lettre envoyée mercredi aux syndicats.

Avant d'appeler à "une réforme d'ampleur du financement de la protection sociale" pour "réduire le poids des prélèvements pesant sur le travail et permettre ainsi, d'une part, d'augmenter le pouvoir d'achat des travailleurs et d'autre part, de rendre notre économie attractive pour contribuer à l'effort de réindustrialisation".

Des réformes, la Sécurité sociale en a connu de nombreuses tout au long de sa longue histoire: instauration du minimum vieillesse en 1956, création des trois branches maladie, vieillesse et famille en 1967, passage de l'âge légal de départ à la retraite de 65 à 60 ans en 1982... Mais face aux difficultés de financement grandissantes, des transformations bien moins populaires ont également vu le jour au fur et à mesure comme la création de la CSG (devenue la deuxième source de recettes du régime général de l'assurance maladie) en 1991 ou la longue série de réformes des retraites à compter de 1993 pour tenir compte du déclin démographique.

Un risque de "défaut de paiement" dès 2027

Malgré ces divers ajustements et des efforts de redressement entre 2010 et 2018 puis entre 2020 et 2023, la situation financière de la Sécurité sociale est aujourd'hui extrêmement fragile. Car ses dépenses colossales de 642,9 milliards d'euros en 2024 (contre 480 milliards pour les dépenses de l'État au sens strict), soit un quart du PIB tricolore, sont loin d'être couvertes par ses ressources.

Le déficit de la Sécu en 2025 est ainsi prévu par la commission des comptes de la Sécurité sociale à 21,9 milliards d'euros, soit 0,7% du PIB, après 15,3 milliards en 2024. La majeure partie du déficit viendrait de la branche maladie (-16 milliards), devant la branche retraite (-7,5 milliards), la branche famille et autonomie étant excédentaire.

Et cela devrait s'aggraver dans les prochaines années avec un déficit attendu à 24 milliards d'euros à horizon 2028, selon la Cour des comptes qui a dénoncé une "trajectoire hors de contrôle". Si rien n'est fait, le déficit pourrait même atteindre 3,3 points de PIB en 2040 et 8,6 points en 2070, a également alerté un rapport sénatorial, appelant à revenir à l'équilibre au plus tard en 2035.

Cette situation "conduit à un risque de plus en plus sérieux de crise de liquidité" avec un "défaut de paiement" qui pourrait "se matérialiser dès 2027", mettaient en garde les magistrats financiers en mai dernier. "La taille du marché des capitaux à court terme" auquel a recours l'agence de financement de la Sécurité sociale "pourrait ne pas être suffisante" pour absorber le montant d'emprunt dont elle aura besoin, ajoutaient-ils.

"Il y a des défis très importants sur la durabilité du système, donc sur sa transmission aux générations futures", a également averti auprès de l'AFP Dominique Libault, directeur de l'école des cadres de la Sécu, et président du Haut comité sur le financement de la protection sociale (HCFiPS).

L'Assurance maladie pénalisée par des dépenses non financées et une population vieillissante

Principale source d'inquiétude aujourd'hui: l'Assurance maladie. Avec une augmentation naturelle des dépenses de 4% chaque année, son déficit pourrait atteindre 41 milliards d'euros d'ici 2030 si rien n'est fait, selon les calculs de la Caisse nationale d'assurance maladie. Et les mesures non financées prises par les récents gouvernements n'ont rien arrangé.

"Ce qu'on n'a pas dit aux Français, c'est que le Ségur de la Santé, c'est-à-dire l'augmentation des salaires des personnels hospitaliers en 2020 après le Covid (...) nous coûte aujourd'hui 13 milliards d'euros par an et cela creuse le déficit. Cela n'a jamais été financé, on n'a pas mis en face de cela des recettes supplémentaires", reconnassait sur BFMTV l'ancienne ministre de la Santé, Agnès Buzyn.

L'État par ailleurs ne compense pas totalement les quelque 80 milliards d'exonérations de cotisations sociales qu'il a accordées aux entreprises, avec un manque à gagner qui pourrait atteindre selon la Cour des comptes jusqu'à 5,5 milliards d'euros.

L’épineux dossier des retraites

Même si l'État décidait d'apporter ces recettes supplémentaires, elles ne suffiraient sans doute pas à rétablir l'équilibre tant les besoins sont énormes du fait notamment du vieillissement de la population. "Le nombre de personnes de plus de 80 ans" doit "tripler d'ici 2050", explique Éric Chenut, président de la Mutualité de France, dans un livre publié pour les 80 ans de la Sécu, Sauver notre modèle de protection sociale. Or, "les dépenses de santé moyennes d'une personne de 80 à 85 ans sont plus de quatre fois supérieures à celles d'une personne entre trente et cinquante ans", ajoute-t-il. C'est pour quoi "il est essentiel de l'anticiper".

Le régime de retraite en paye aussi le prix malgré les réformes successives. De la première réforme de 1993 à celle, très contestée, du gouvernement d'Elisabeth Borne (2023), l'âge légal de départ est ainsi passé de 60 à 64 ans, et la durée de cotisation de 37,5 à 43 ans. Le déficit du système devrait pour autant atteindre 5 milliards d'euros cette année, résultat d'une démographie toujours plus défavorable:

"En 1950, il y avait cinq actifs pour un retraité, aujourd'hui moins de deux pour un et en 2050, ce devrait être 1,2 actif pour un retraité", rappelle Éric Chenut.

C'est ce qui fait dire à certains que les retraités doivent faire un effort et être mis à contribution alors que leur niveau de vie est "quasiment équivalent" à celui de l'ensemble de la population, selon le COR. Une situation rare en Europe. D'autres plaident pour un nouveau relèvement de l'âge de départ ou pour l'introduction d'une dose de capitalisation dans le système. Des propositions qui ne sont toutefois pas au menu de Sébastien Lecornu pour qui les retraites seront "un bon débat pour la présidentielle à venir".

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis avec AFP Journaliste BFM Eco