Défiler contre la réforme des retraites, un "sacrifice" financier qui "en vaut la peine" pour les grévistes

A Paris ce mardi, plusieurs milliers de Français sont descendus dans la rue contre la réforme des retraites. - BFMTV
Rejoindre les rangs de la manifestation contre la réforme des retraites à Paris ce mardi a demandé "pas mal d’organisation" à Jean-Marc, agent opérateur de 35 ans chez Total, car il était censé travailler de nuit cette semaine.
"Je fais les 3/8 normalement, donc je devais travailler la nuit dernière ainsi que cette nuit", explique cet employé qui a dû faire 50 minutes en voiture depuis la Seine-et-Marne pour rejoindre le cortège.
Le trentenaire va ainsi perdre deux journées de travail de nuit, ce qui représente selon lui "entre 200 et 300 euros nets".
"Il y a le coût financier, mais pas que. C’est vite compliqué quand on a des enfants. J’ai dû laisser les miens à la maison avec ma femme qui est auto-entrepreneuse. Donc pendant qu’elle s’occupe d’eux, elle non plus ne travaille pas", développe ce père de famille, qui travaille pour le groupe pétrolier depuis une dizaine d’années.
"Un sacrifice (...) qui en vaut la peine"
Pour cette raison, certains ont d'ailleurs hésité à venir. C'est le cas de Maëva, 24 ans, qui reconnaît même avoir un peu hésité avant de descendre dans la rue ce mardi. "Ah, c’est sûr et certain qu’on réfléchit à deux fois avant de faire grève dans un contexte d’inflation et de précarité comme aujourd’hui", confie à BFMTV.com cette enseignante contractuelle pour l’Éducation nationale, qui exerce en région parisienne.
Et pour cause, la jeune femme sait déjà qu’elle va pouvoir faire un croix sur environ 95 euros nets par jour de mobilisation, soit 190 euros en tout, puisqu’elle avait déjà fait grève pour pouvoir manifester la semaine dernière. "Ce qui m'a fait me décider, c’est le simulateur en ligne de départ à la retraite. Quand il m’a annoncé que j’en avais pour minimum 67, voire 70 ans… ça a été vite réfléchi. Je me suis dit que je n’avais pas le choix, et que j’avais aussi ma responsabilité là-dedans", explique-t-elle.
"C’est un sacrifice, mais ça en vaut la peine", acquiesce Philippe R., guide conférencier au statut d'autoentrepreneur à Paris. Pour pouvoir défiler mardi, cet homme de 50 ans a été contraint d’annuler deux visites guidées qu'on lui avait réservé de longue date, et, par conséquent, de rogner sur son salaire à la fin du mois.
"Je ne ferais pas ça tout un mois, mais tant que je pourrais me permettre de le faire quelques jours, je le ferais", confie quant à lui Jean-Louis, technicien de 58 ans à La Poste, conscient de l'effort que cela représente pour lui mais aussi pour les autres manifestants les plus précaires. "C'est une journée de salaire qu’on perd à chaque fois", regrette-t-il. "Une centaine d'euros par jour, ça n'est pas rien".
"Si je ne viens pas, qui le fera?"
C'est aussi pour cela que le quinquagénaire sera à nouveau dans la rue ce samedi, à l'occasion d'une deuxième manifestation organisée par les syndicats dans la même semaine. L'intersyndicale mise d'ailleurs sur cette mobilisation en week-end pour mobiliser plus largement ceux qui ne peuvent pas se permettre de faire grève. En marge du rassemblement ce mardi, le leader de la CFDT Laurent Berger a ainsi appelé à faire "plus fort samedi prochain".
"C'est moins délicat le week-end je trouve, on s'engage moins financièrement. C'est quelque chose que les gilets jaunes avaient bien compris, je trouve. Je pense que c'est pour ça que le mouvement avait aussi bien pris: manifester le samedi c'était arrangeant parce que tout le monde, et surtout les plus en difficulté, pouvaient se permettre d'y prendre part".
Un avis partagé par Valérie Bauche, éducatrice pour jeunes enfants à Montreuil, qui va perdre 80 euros nets par jour de grève. "Je serai là aussi samedi, ça ne me coûte rien. Mais je trouve tout de même que deux jours de mobilisation en une semaine, ça fait beaucoup. Si ça avait été deux jours travaillés, je ne sais pas si j'aurais pu me le permettre avec mon salaire ridicule", poursuit cette femme de 58 ans, que la réforme devrait contraindre à travailler deux ans de plus, jusqu'à 62 ans, et ce malgré un "excédent de trimestres".
C’est précisément pour cette raison, "par solidarité" que Benjamin, ingénieur en informatique chez Ubisoft, a décidé de venir défiler ce mardi. "Si moi je ne viens pas, alors qui le fera?", s'interroge le jeune homme de 32 ans, qui devrait perdre entre 150 et 200 euros par jour non-travaillé.
"J'estime que ça n'est pas grave pour moi, que je gagne suffisamment bien ma vie pour ne pas avoir à me soucier de ça. C'est ma façon de contribuer, je viens aussi pour ceux qui ne peuvent pas se le permettre", avance l'ingénieur.
"L'esprit serein" grâce aux caisses de grève
Pour amortir ces coûts de grève qui peuvent être douloureux à la fin du mois, certains s'étaient préparés financièrement en amont. En fin d'année dernière, Christophe s'est par exemple constitué un petit pécule (l'équivalent d'environ un mois de salaire) en vue de la mobilisation contre la réforme des retraites.
"Je savais que je serais de la bataille, et je ne voulais pas me retrouver dépourvu", raconte à BFMTV.com ce conseiller indemnisation chez Pôle emploi à Paris, qui avait initialement en tête un mouvement de grève reconductible.
Sophie Lambert, elle, s’estime relativement chanceuse par rapport à d'autres, puisqu’elle sait qu’elle devrait bénéficier des cotisations de la caisse de grève mise en place par la CFDT à l’issue de la mobilisation. Un demi-siècle après sa création, le premier syndicat des salariés du privé dispose en effet de 141 millions d’euros de caisse de grève. Des fonds qui ne peuvent être utilisés que pour aider financièrement ses adhérents ayant suivi un appel à la grève maison.
"Heureusement que nous avons ce système de solidarité qui permet de venir un peu plus sereinement, l’esprit un peu plus léger", explique à BFMTV.com la secrétaire de section de l’hôpital de Melun-les-Mureaux (Yvelines), qui perdrait sinon environ 80 euros nets par jour de grève. "Trois/quatre navettes gratuites ont également été prévues par l’organisation syndicale" afin de permettre à tous les salariés de l’établissement qui le souhaitaient de se rendre à la manifestation "sans avoir à toucher à leur porte-monnaie pour pouvoir manifester".