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Cotisations, rendement… Ces inquiétudes soulevées par le rapport Delevoye

Edouard Philippe et Emmanuel Macron lors d'une réunion avec les partenaires sociaux à l'Elysée, le 10 décembre 2018.

Edouard Philippe et Emmanuel Macron lors d'une réunion avec les partenaires sociaux à l'Elysée, le 10 décembre 2018. - Yoan VALAT / POOL / AFP

Dans un rapport publié mardi, l'Institut de la Protection Sociale, qui a étudié minutieusement les propositions de Jean-Paul Delevoye sur le futur système de retraites, alerte sur certains points de la réforme jugés flous voire inquiétants.

Quelque 130 pages passées au crible. Mardi, l’Institut de la Protection Sociale (IPS), groupe de réflexion regroupant experts financiers, juridiques et fiscaux, a publié une analyse détaillée de chacune des propositions présentes dans le rapport de Jean-Paul Delevoye. Lequel sert de point de départ à la future réforme des retraites qui doit instaurer un régime universel par points.

"Une transition entre l’emploi et la retraite facilitée", "un minimum de retraite fixé à 85% du SMIC net pour une carrière complète", "des pensions de réversion harmonisées avec des règles communes pour tous"… Dans ce document repéré par L'Opinion et Capital, l’IPS liste "un certain nombre d’améliorations" dans le rapport du Haut Commissaire à la réforme des retraites, mais celles-ci demeurent "secondaires et ne nécessitent pas la mise en place d’un régime universel généralisé", poursuit le think tank.

Surtout, l’IPS exprime de nombreuses inquiétudes sur des points précis du rapport qui étaient jusqu’alors passées quasi inaperçues. Tour d’horizon.

Un rendement réel plus faible que prévu?

Dans son rapport, le Haut Commissaire à la réforme des retraites propose un taux de rendement des cotisations de 5,5%. Autrement dit, 100 euros cotisés donneront droit à 5,5 euros par an à la retraite. Un chiffre qui ne serait pas tout à fait exact, selon l’IPS. Pour faire sa démonstration, le laboratoire d’idées prend l’exemple de David, un salarié qui a travaillé 43 ans dans une entreprise pour une rémunération équivalente à 1,5 fois le SMIC.

Sur son salaire de 2281,80 euros brut mensuel, David paye 25,12% (577,50 euros par mois) de cotisations qui ouvrent des droits à la retraite. Il touchera alors une pension de 1265 euros net par mois. Mais, précise l’IPS, si le calcul du rapport Delevoye est juste, il omet de dire que le futur système prévoit un taux de cotisation réel de 28,12% car le salarié devra également payer 2,81% de cotisations "déplafonnées" qui elles, sont consacrées à la solidarité et ne créent pas de nouveaux droits à la retraite. En clair, David devra réellement payer 641,64 euros de cotisations par mois pour obtenir une retraite de 1265 euros et non 577,50 euros. Soit un rendement réel de 4,95%, et non de 5,5%.

Une hausse des cotisations 

"Les salariés du privé, des régimes spéciaux et les fonctionnaires auront des cotisations identiques" au système actuel avait assuré Jean-Paul Delevoye lors de la présentation de son rapport. Là-encore, l’IPS estime que cette affirmation est incorrecte. En effet, le système universel par points préconise un taux de cotisation de 28,12%, comme expliqué précédemment. Or, il est actuellement de 27,77% pour la partie de revenus inférieurs à 40.000 euros et de 26,94% entre 40.000 et 320.000 euros.

Par exemple, les cotisations retraite seront de 8436 euros pour un salaire de 30.000 euros dans le nouveau dispositif contre 8331 euros actuellement (baisse des cotisations salariales de 18 euros mais hausse des cotisations patronales de 123 euros). Pour un salaire de 50.000 euros, elles seront de 14.060 euros, soit 112 euros de plus qu’aujourd’hui (hausse des cotisations salariales de 13 euros et hausse des cotisations patronales de 99 euros). Et pour un salaire correspondant à trois plafonds de la Sécurité sociale, soit 121.572 euros bruts (limite permettant de prendre en compte chaque heure travaillé dans le nouveau système), les cotisations augmenteront de 956 euros.

Réduction de la solidarité

À l’inverse, la réforme prévoyant d’ouvrir des droits à la retraite dans la limite de trois plafonds de la sécurité sociale (121.572 euros brut donc) contre huit plafonds actuellement, ceux qui perçoivent une rémunération supérieure verront mécaniquement leurs cotisations baisser, de même que leur pension.

L’IPS prend l’exemple de Fatma, une salariée cadre dans une grande entreprise de région parisienne avec une rémunération de 200.000 euros bruts annuels. Dans le système actuel, le montant des cotisations versées pour sa retraite s’élève à 54.358 euros. Il ne sera plus "que" de 36.390 dans le système universel.

Par ailleurs, la solidarité financière des plus aisés avec les salariés les moins rémunérés diminuera, indique l’IPS. Si Fatma et son entreprise payent aujourd’hui des cotisations de solidarité ("Taux d’appel", "CEG", "CET", etc.) à hauteur de 17.542 euros, seule la cotisation déplafonnée de 2,81% sera à payer dans le futur système. Soit 5620 euros.

"Le fait de sortir les rémunérations les plus élevées […] du champ des régimes obligatoires peut se révéler profondément délétère. En effet, cela signifie que les salariés gagnant 6 plafonds auront une retraite qui dépendra majoritairement de leur effort personnel (aujourd’hui les cadres dirigeants cotisent jusqu’à 8 plafonds). Les populations les plus aisées auront ainsi leurs propres règles, avec le risque de désolidarisation: le sort de la retraite des autres risque de ne pas beaucoup les intéresser ni les mobiliser. Le dispositif imaginé créera ainsi une inégalité entre les Français, alors même que le régime universel est censé les gommer!", s’inquiète l’IPS.

Pension de réversion

Autre crainte soulevée par l’Institut de la Protection Sociale: le sort réservé aux pensions de réversion. Le groupe de réflexion rappelle que l’ouverture des droits à la pension de réversion sera reportée de 7 ans (De 55 ans à 62 ans) par rapport à la situation actuelle pour les salariés du secteur privé. "Au sein du régime complémentaire, elle peut même être anticipée si le conjoint survivant est invalide ou s’il a 2 enfants à charge", note l’IPS.

Et de poursuivre: "La question se pose de savoir comment seront pris en charge dans le nouveau système les veufs et les veuves âgés entre 55 et 62 ans".

Des familles nombreuses perdantes

Dans son rapport, l’IPS se félicite de la majoration de 5% de la retraite dès la naissance du premier enfant prévue dans le futur dispositif. Ce coup de pouce sera à se répartir entre les deux parents ou donné à l’un des deux. Un dispositif globalement "plus favorable aux familles par rapport à la situation actuelle", reconnaît l’IPS.

Mais ce ne sera pas le cas pour toutes. Les familles de trois enfants seront perdantes, explique le think tank. Par exemple, un couple gagnant 24.000 euros par an perdra 1200 euros par an sur sa retraite.

Des problèmes techniques à prévoir?

Au-delà de l’"Étatisation" du système dénoncée par l’IPS qui déplore la gouvernance dissimulée du "Ministère des Finances" dans la prochaine organisation, l’institut alerte sur les problèmes techniques qui pourraient survenir lors de la transition et "dont l’importance a été sous-évaluée".

Selon lui, le "risque technique et politique" est "considérable". "Le système préconisé est celui d’un basculement ‘big bang’ ; prenant ainsi un risque inconsidéré (à côté de cette opération, l’instauration de l’ISU en 2008 qui aboutit aux énormes dysfonctionnements du RSI, semblera avoir été un jeu d’enfants)", indique l’IPS, ajoutant que "cela entraînera une grande inquiétude chez les Français qui chercheront à vérifier s’ils sont perdants ou gagnants à la réforme". Il conseille ainsi au Haut Commissaire de "publier tous les modèles de conversion préalablement au projet de loi qui en sera issu".

Paul Louis