"L’Etat s’endette pour donner des marges de manœuvre aux ménages": quand et comment la France a dérapé à ce point?

Le Premier ministre français François Bayrou (à droite) arrive pour entendre le président français Emmanuel Macron prononcer un discours devant les chefs de l'armée à l'Hôtel de Brienne à Paris le 13 juillet 2025, à la veille du défilé annuel du 14 juillet dans la capitale française. - AFP
40 milliards d'euros. C'est le montant des économies tant espérées par le gouvernement pour enrayer le dérapage des finances publiques. Alors que le Premier ministre François Bayrou présentera ce mardi 15 juillet les détails de son plan de redressement budgétaire, il y a fort à parier que les efforts cibleront en priorité les dépenses de santé... au profit de la défense, Emmanuel Macron ayant promis une hausse du budget alloué aux Armées de l'ordre de 6,5 milliards d'euros en deux ans.
Il faut dire que les signaux sont au rouge. D'après les derniers chiffres publiés par l'Insee le 26 juin, la dette publique au sens de Maastricht s'est alourdie de 40,2 milliards d'euros au premier trimestre 2025 et atteint 3.345,4 milliards d'euros. Elle s'établit par conséquent à 113,9% du produit intérieur brut (PIB), faisant de la France le troisième pays le plus endetté de la zone euro derrière l'Italie (135,3% au quatrième trimestre 2024) et la Grèce (153,6%).
Le déficit public quant à lui se creuse à 169,6 milliards d'euros, soit 5,8% du PIB en 2024, et devrait rester autour de 6% cette année. S'il malgré tout amélioré depuis la crise sanitaire du Covid-19 où il avait dangereusement frôlé les 9% dans une France mise sous cloche en 2020, il demeure encore trop éloigné des fameux 3% visés par les pouvoirs publics à l'horizon 2029. Seuls deux pays d'Europe font pire en matière de déficit: la Roumanie et la Pologne.
"Nous avons aujourd'hui, en effet, et de loin, le déficit le plus élevé de la zone euro", a sévèrement rappelé le président de la Cour des comptes Pierre Moscovici, lors des rencontres de la dépense publique organisées avec Acteurs publics le 10 juillet.
"La moyenne est à 3,2% et nos obligations sont à 3%", a insisté le haut fonctionnaire qui redoute une dette publique au-delà des 120% dans trois ou quatre années à venir. Preuve, s'il en fallait, que la situation budgétaire de la France est préoccupante : "nos amis grecs anticipent d'être en dessous la France en 2030."
Les dépenses à la dérive
Comment expliquer une telle dérive? Toujours selon l'Insee, en 2024, les dépenses des administrations publiques ont augmenté de 3,9%, après des précédentes hausses de 3,7% en 2023 et 3,9% en 2022.
"Cette croissance est supérieure à celle de 3,5 % du PIB en valeur en 2024 (dont +1,1 % en volume et +2,3 % de prix)", souligne l'institut statistique.
"De 1975 à 2024, le rapport des dépenses publiques au PIB a augmenté de 11 points. Sa hausse a été particulièrement forte (8 points) de 1975 à 1985. Depuis 1985, il est sur une tendance plus modérément croissante (3 points)", analyse de son côté François Ecalle, dans une note publiée sur son site "Fipeco", consacré aux finances publiques et à l'économie.
Surtout, sur les 11 points de hausse des dépenses publiques en pourcentage du PIB ces cinquante dernières années, "les prestations sociales en expliquent 8,4", affirme le spécialiste.
"Elles sont en effet passées de 17,2 % du PIB en 1975 à 25,6 % en 2024", précise-t-il.
La réduction des dépenses publiques crispent ainsi les débats politiques. Dans un énième rapport paru le 2 juillet, la Cour des comptes presse les pouvoirs publics de réaliser des "efforts très exigeants" afin de maîtriser la dépense publique. En février, les Sages de la rue Cambon mettaient déjà - et encore - en garde le gouvernement contre une dépense publique "en roue libre". "Aujourd'hui, le premier risque, c'est la perte de contrôle de nos finances publiques", a alerté Pierre Moscovici le 10 juillet dernier. "Je ne sais pas comment on fait de bonnes politiques publiques si on n’a pas de bonnes finances publiques", a-t-il ajouté.
Les Français préfèrent épargner
Un des problèmes identifiés par les économistes, c'est que face à l'envolée des dépenses, les recettes ne suffisent pas.
"Ce qui nous caractérisait, c'était la puissance de la consommation. Et on voit que la politique du gouvernement de s’endetter massivement pour redistribuer n’incite pas à consommer. Cet argent est épargné. Le taux d’épargne des ménages atteint un niveau élevé de 19%. ", a souligné Anne-Sophie Alsif, cheffe économiste de BDO France, lors des rencontres de la dépense publique le 10 juillet.
"L’ensemble des pays de la zone euro ont connu les mêmes crises que nous, crise covid, crise énergétique, alors qu’on est le seul à dégager autant de déficit. L’Etat s’endette pour donner des marges de manœuvre aux ménages. Pendant le Covid, on voyait déjà que les Français préféraient épargner", a complété Stéphanie Villiers, conseillère économique chez PwC.
Année blanche, gel des pensions de retraites, arrêts de travail moins rémunérés ou encore médicaments moins remboursés... Les pistes d'économies sont néanmoins nombreuses - bien qu'impopulaires - pour redresser les finances publiques. "L'enjeu, c'est que dans les trois ou quatre années, l'ensemble de nos dépenses publiques n'augmentent pas de 60 milliards d'eyris mais de 20 milliards d'euros par an", a indiqué le 10 juillet, la ministre des Comptes publics Amélie de Montchalin.