Un déficit "en dessous de 5%" au lieu de 4,7% en 2026? Sébastien Lecornu revoit ses ambitions à la baisse au risque de fâcher l'Europe et les marchés financiers

La France va-t-elle respecter sa trajectoire budgétaire? Dans le cadre des discussions avec les différents partis politiques pour doter le pays d'une loi de finances avant la fin de l'année, Sébastien Lecornu a évoqué ce mercredi un objectif de déficit public "en dessous de 5%" du PIB en 2026 contre 4,7% il y a encore deux semaines. Une révision qui lui donne de la marge pour négocier un accord sur le budget mais l'éloigne du chemin vers les 3% exigés par Bruxelles.
Pourquoi 5%?
Depuis sa démission surprise lundi, Sébastien Lecornu a été chargé par Emmanuel Macron d'entamer "d'ultimes négociations" avec les oppositions afin de parvenir à un projet de budget pour 2026. Une des concessions possibles pour convaincre les socialistes, envisagée notamment par Elisabeth Borne, serait de suspendre la réforme des retraites de 2023.
Cela coûtera "des centaines de millions en 2026 et des milliards en 2027", a affirmé ce mercredi le ministre de l'Economie démissionnaire Roland Lescure, "entre 1 et 2 milliards d'euros" selon Stéphanie Villers, économiste pour PwC. Pas suffisant pour justifier de passer d'un objectif de 4,7% du PIB à 5%, ce qui représentera plutôt "de l'ordre d'une dizaine de milliards d'euros de dépenses supplémentaires", estime-t-elle. Chaque dixième de point de pourcentage de déficit supplémentaire correspond à presque 3 milliards d'euros de dépenses supplémentaires.
"Il y aura d'autres mesures qui vont être prises" pour justifier cette révision du déficit prévu, juge Stéphanie Villers, peut-être une "moindre hausse des impôts pour convaincre le camp LR", avance Charlotte de Montpellier, économiste pour ING.
"La stratégie, c'est de dire qu'on essaie de voter un budget de concorde, avec une réduction des dépenses a minima sur les deux années à venir jusqu'à l'élection présidentielle de 2027", estime Stéphanie Villers. De quoi lever un peu d'incertitude, le principal ennemi des entreprises, "qui ont totalement mis à l'arrêt leurs investissements" et "donner une bouffée d'oxygène aux ménages pour qu'ils se remettent à consommer", avance-t-elle.
Pourra-t-on tenir les 3%?
Un déficit plus élevé que prévu en 2026 pourrait remettre en cause la trajectoire à plus long terme vers l'objectif d'un déficit ramené à 3% du PIB, un seuil exigé par l'Union européenne, que Sébastien Lecornu promettait d'atteindre en 2029. "Rationnellement, j'ai du mal à penser qu'on va réussir à atteindre les 3%", juge Charlotte de Montpellier.
D'autant plus que chaque dixième de point de pourcentage de déficit supplémentaire en 2026 implique d'emprunter encore plus d'argent sur les marchés pour le financer. Un effet boule de neige qui pourrait encore s'aggraver si ceux qui prêtent à la France "se rendent compte que la promesse des 3% ne sera pas tenue et intègrent ce risque" en demandant des intérêts encore plus élevés, explique Charlotte de Montpellier.
Pour tenir l'objectif de 3% tout en ajournant jusqu'à la prochaine élection présidentielle les principaux efforts, il faudrait faire les années suivantes des niveaux d'économies massifs, jusqu'à "60 à 70 milliards" d'euros en 2029 selon Stéphanie Villers, presque le double de ce qu'envisageait pour 2026 l'ancien Premier ministre François Bayrou dans son projet de budget.
Quels risques vis-à-vis de l'UE?
L'Union européenne avait formellement validé début 2025 le plan budgétaire de la France tel que présenté alors par le gouvernement de François Bayrou. Mais "si l'on ne suit plus la trajectoire, Bruxelles risque d'être mécontent", rappelle Charlotte de Montpellier. D'autant plus qu'à la différence de 2020, lors de la crise du Covid, ou pendant les années qui ont suivi où les prix de l'énergie ont explosé, "la France est toute seule en Europe dans cette situation de ne pas réussir à faire les réformes nécessaires", poursuit l'économiste.
"Est-ce que cela va se concrétiser par des menaces plus fortes ou par des amendes? Difficile à dire à ce stade, mais je pense effectivement qu'on va avoir une période plus tendue", estime Charlotte de Montpellier.
Toutes les instances européennes "regardent attentivement l'évolution actuelle" de la situation politique française, avait déclaré mardi la présidente de la Banque centrale européenne Christine Lagarde. Roland Lescure, qui rencontrera jeudi et vendredi ses homologues européens, entend à cette occasion les "rassurer", a-t-il affirmé mercredi à des journalistes. "Les fondamentaux de l'économie française sont solides" et "nous sommes dans les clous" de l'objectif d'un déficit public à 5,4% du PIB en 2025, argue-t-il.