La chute de Bayrou "déjà intégrée" par les marchés: le coût de la dette ne devrait pas s'envoler en cas de démission probable du gouvernement

Avis de tempête sur la dette française? À moins d'un énorme coup de théâtre, le gouvernement de François Bayrou vit ses dernières heures ce lundi. Plusieurs formations politiques opposées au projet de budget du Premier ministre ont en effet déjà annoncé qu'elles ne lui accorderaient pas la confiance lors d'un vote qui se tiendra dans l'après-midi, après le discours de politique générale prononcé par le locataire de Matignon.
Un épisode supplémentaire dans la crise politique qui risque de renforcer les craintes des marchés alors que la France, qui fait face à un niveau d'endettement préoccupant, risque de se retrouver sans budget pour 2026.
La "perspective d'une chute imminente du gouvernement" devrait "retenir l'attention des investisseurs au cours de la séance", prévoit auprès de l'AFP John Plassard, responsable de la stratégie d'investissement chez Cité Gestion Private Bank.
Pas d'envolée brutale des taux à prévoir
"L'impasse budgétaire paraît quasi certaine et les 44 milliards d'euros de coupes prévues par Bayrou seront sans doute abandonnés", estime de son côté Kathleen Brooks, directrice de la recherche chez XTB. "Conséquences: un marché actions français plus faible et des rendements obligataires plus élevés", poursuit-elle.
Dit autrement: les taux auxquels la France emprunte sur les marché devraient continuer de progresser. Faut-il pour autant s'attendre à une envolée brutale voire incontrôlable des taux d'intérêt en cas de chute du gouvernement Bayrou? Non, selon Engurrand Artaz, stratégiste à La Financière de l'Échiquier: "Je ne pense pas qu'il y ait de risque d'une envolée des taux comme ce fut le cas avec Liz Truss au Royaume-Uni. Mais on a potentiellement une poursuite de la dégradation des taux à long terme", explique-t-il sur BFM Business.
Pour rappel la Première ministre britannique avait été contrainte à la démission en 2022 après avoir présenté un budget qui avait affolé les marchés et fait flamber les taux d'emprunts. La chute de François Bayrou ne devrait toutefois pas conduire à un tel scénario. D'ailleurs, les taux d'emprunt français n'avait pas bondi au lendemain de la chute du gouvernement Barnier fin 2024. Ils étaient en revanche remontés progressivement alors que la France s'enfoncer dans l'impasse budgétaire.
Un chute du gouvernement déjà anticipée
Car c'est bien ce point qui préoccupe le plus les investisseurs. En réalité, la démission de François Bayrou a déjà été anticipée par les investisseurs, dès l'annonce du vote de confiance le 25 août. Le rendement de l'obligation à 30 ans de la France a dépassé le 2 septembre les 4,50%, une première depuis 2009. De son côté, le "10 ans" français (les obligations françaises remboursables à 10 ans) a grimpé jusqu'à 3,58%, avant de redescendre aujourd'hui à 3,45%.
L'échec du vote de confiance "a été intégré" par les investisseurs, confirme Mathieu Plane, économiste à l'OFCE. Il s'attend pour autant à ce que le "spread" (l'écart de taux d'emprunt entre l'Allemagne et à la France actuellement aux alentours des 80 points de base) "continue d'augmenter" en raison de l'incertitude sur la suite des événements: "Que va faire Emmanuel Macron maintenant? Est-ce que la France va pouvoir adopter un budget qui permet de réduire le déficit? Est-ce qu’on est capable de se mettre sur une trajectoire de redressement des comptes publics? Ou est-ce que ça bloque totalement?", s'interroge-t-il.
S'il exclut une hausse brutale des rendements oblgataires, l'économiste juge possible "le risque à l'italienne (...) d'un étouffement progressif, avec des taux de plus en plus élevés". Par exemple, avec un spread à 100 points de base ce serait "3 milliards d'euros" de charge de la dette en plus la première année et "35 milliards au bout de 10 ans, c'est énorme", met-il en garde.
Fitch se prononcera vendredi
Un autre événement sera suivi de près par les marchés cette semaine: l'annonce de la nouvelle note que l'agence Fitch attribuera à la dette française. Selon une note d'analyse d'Éric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG School of Management, "d'après ses propres critères, les conditions d'une dégradation de la note par Fitch, liées aux finances publiques, semblent déjà réunies". Ainsi, si une telle dégradation était anoncée, la note de la dette française passerait de AA- à A+.
Avec quelles conséquences sur les taux d'emprunts? Généralement, les décisions des agences de notation ont peu voire pas d'impact sur le niveau de rendement des obligations assimilables du Trésor (OAT) "parce que les investisseurs sur les marchés étaient déjà au courant des problèmes du pays concerné et en tenaient déjà compte pour déterminer le taux d’intérêt exigé sur ses obligations", indique Éric Dor.
Mais "lorsqu’une dégradation entraîne le déplacement de la note vers une catégorie inférieure (ce qui serait le cas de la France en cas de dégradation de AA- à A+) il y a alors un effet à la hausse sur le taux d’intérêt", met-il en garde. En partie parce que "certains fonds de plafond limitent voire interdisent la détention d'obligations souveraines notées mons que AA ou AAA".