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Coronavirus: l'épargne des Français est-elle menacée par une ponction des banques ou de l'Etat?

Bercy a promis que la reprise ne passera pas par une hausse d'impôts

Bercy a promis que la reprise ne passera pas par une hausse d'impôts - Eric Piermont - AFP

Par le passé, certains Etats ont déjà pioché dans l'épargne des particuliers pour résorber leur dette. Et si Bercy assure ne pas prévoir de nouvelles ponctions fiscales, les banques peuvent elles aussi prélever, sous conditions, les dépôts de leurs clients pour se renflouer. Un scénario à redouter?

Chômage partiel, fonds de solidarité, aides aux plus modestes… Pour protéger les entreprises et les ménages fragilisés par la crise sanitaire du coronavirus, la France, comme la plupart des pays développés, a misé sur l’endettement massif. D’après la Banque de France, la dette publique devrait atteindre 115% du PIB, soit 2740 milliards d’euros, d’ici la fin de l'année. Une somme qu"il faudra rembourser", a prévenu le gouverneur de l’institution, François Villeroy de Galhau.

Comment s’y prendre? Une rumeur circulant sur les réseaux sociaux ces derniers jours assurait que Bercy étudiait "la possibilité de ponctionner de 10% les comptes de moins de 100.000 euros de tous les Français et de 15% les comptes supérieurs à 100.000 euros". Une ponction massive de l’épargne rapidement démentie par le ministère de l’Economie auprès de LCI: "Il s'agit d'une fake news. On ne fait pas de relance économique en augmentant les impôts. Bruno Le Maire a été très clair sur ce point".

Quand le FMI proposait une "super taxe" sur l'épargne

Si un tel scénario semble impossible, il est moins farfelu qu’il en a l’air. En 2013, le FMI lui-même suggérait aux Etats des pays développés de ponctionner l’épargne des ménages via une taxe. "Les taux de taxation nécessaires pour ramener les ratios de dettes (par rapport au PIB) à leur niveau de la fin 2007 nécessiteraient une imposition d’environ 10% sur tous les ménages disposant d’une épargne nette positive", expliquaient les économistes de l’institution monétaire. "Ça avait créé un petit choc à l’époque", se rappelle Philippe Crevel, président du Cercle de l’Epargne. 

Et pour cause, difficile de faire mesure plus impopulaire. Mais rien n’empêche les Etats d’y recourir sous la forme d’une taxe avec un prélèvement unique par exemple. "Est-ce que l’Etat pourrait dire demain je prends 10% sur tous les livret A? En termes de prélèvement fiscal, rien ne l’interdirait", assure Philippe Crevel. Il rappelle néanmoins que l’Etat pourrait se heurter au Conseil constitutionnel si le prélèvement est jugé abusif. Ce dernier "pourrait considérer qu’il y a une atteinte au droit de propriété", estime-t-il. 

Quant à l’assurance vie, placement préféré des Français en termes d’épargne accumulée, la situation serait plus complexe, selon lui: "Sur le contrat d’assurance vie, cela pose un problème de rétroactivité. Logiquement en matière fiscale, il n’est pas possible de faire de la rétroactivité", rappelle Philippe Crevel. 

Des précédents en Europe 

Par le passé, certains Etats européens ont déjà ponctionné massivement l'épargne des ménages pour assainir leur situation financière. Alors que la dette du pays frôlait les 120% de PIB, le gouvernement italien de Giuliano Amato a décidé en juillet 1992 de mettre en place un prélèvement de 0,6% sur l’ensemble des dépôts bancaires pour se désendetter. La mesure avait permis de récolter 30.000 milliards de lires, soit 15 milliards d’euros environ. 

Plus récemment, Chypre, au bord de la faillite, avait accepté de ponctionner à hauteur de 47,5% les dépôts bancaires de la Bank of Cyprus supérieurs à 100.000 euros en échange d’un plan d’aide européen de 10 milliards d’euros. Initialement prévu, le prélèvement de 6,75% sur les comptes de moins de 100.000 euros avait finalement été abandonné.

Les banques peuvent aussi prélever vos dépôts

En cas de difficultés financières, les établissements bancaires peuvent eux aussi ponctionner les dépôts des particuliers. "Si la solidité de la banque est en jeu, elle peut décider de mettre à contribution ses clients", confirme Philippe Crevel. Toutefois une directive européenne transposée à la France en 2015 fixent des conditions pour que ce ne soit pas nécessairement le contribuable qui doive mettre la main à la poche en cas de risque de faillite d’une banque. 

Ainsi, les premiers à payer seront les actionnaires et les créditeurs. Les particuliers ne pourront être sollicités qu’en troisième recours. Surtout, les dépôts sont garantis jusqu’à 100.000 euros par banque et par client. Les banques ne peuvent donc pas piocher dans les comptes dont le montant est inférieur.

Une mesure vraiment efficace? 

Piocher dans l’épargne des ménages reste une mesure risquée. De part son impopularité d’abord. C’est sans doute pourquoi aucun gouvernement des pays développés ne s’y est risqué malgré la suggestion du FMI en 2013. Comme il est peu probable que cela arrive aujourd’hui. 

Par ailleurs, prélever les dépôts des ménages, que ce soit par les banques ou par une taxe, risquerait d’encourager un mouvement de fuite des capitaux. Les particuliers seraient incités à vider leurs comptes, ce qui pourrait déstabiliser le système bancaire. "Si tout le monde fait cela, ça poserait un problème. On créerait une crise financière", analyse Philippe Crevel. 

Et de conclure: "Aujourd’hui, il n’y a pas de motif de sortie totale de son argent sous forme liquide. Ça ne sert à rien, les banques et assurances ne sont pas en difficulté". 
Paul Louis