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Vente de billets de train: pourquoi les concurrents de SNCF Connect ne s'en sortent pas

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Trainline, Kombo ou encore Omio critiquent la faiblesse des commissions proposées par SNCF Voyageurs qui, selon ces acteurs, leur interdit toute rentabilité. L'Autorité de la concurrence pourrait intervenir.

85%. C'est l'estimation de la part de marché écrasante de SNCF Connect dans la vente de billets de train en ligne. Pourtant, la concurrence dans ce secteur existe bel et bien mais les acteurs présents depuis 2009 ont bien du mal à se faire une place.

L'application de la compagnie ferroviaire est utilisée comme un réflexe par les consommateurs malgré les critiques récurrentes qu'elle suscite. D'autant plus qu'elle ne donne pas accès à toute l'offre puisqu'elle ne propose pas les billets de Trenitalia ou de Renfe, présents sur le réseau français depuis plusieurs années. A la différence de Trainline, Kombo, Omio et d'autres petits acteurs.

Que Connect ne vende que des billets SNCF relève d'une certaine logique. Reste que cette situation rend moins visibles les concurrents de SNCF Voyageurs (freinant ainsi leur conquête du marché) et qu'elle empêche de faire des comparaisons tarifaires. Surtout, les adversaires de Connect jugent que les règles du jeu sont inéquitables.

Moins de 3% de commission et de nombreux frais

Trainline en particulier, le plus important challenger, estime que les conditions de marché ne permettent pas d'être viable en France et de s'exprimer pleinement.

Principal grief: les commissions versées par SNCF Voyageurs sur la vente de chaque billet qui sont jugées trop faibles. Elles sont actuellement de 2,9% sur chaque billet vendu.

Paris-Marseille : Trenitalia concurrence la SNCF - 26/09
Paris-Marseille : Trenitalia concurrence la SNCF - 26/09
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Ces commissions ne sont pas négociées de gré à gré mais par le groupement des entreprises de voyages (EDV) avec SNCF Voyageurs. Elles sont donc les mêmes pour tout le monde et la marge de négociation est quasi-nulle étant donné le poids de SNCF Voyageurs.

"On demande des conditions plus justes", résume simplement à BFM Business Christopher Michau, directeur général de Trainline France qui fait partie de la nouvelle association ADN Mobilités (qui réunit la plupart des vendeurs alternatifs), créée justement pour faire connaître ces difficultés.

"Le niveau de commission est faible alors qu'on supporte des frais de distribution", poursuit-il. En effet, outre ses frais de fonctionnement, un vendeur de billets en ligne doit payer à SNCF Voyageurs des frais d'accès à sa base de données (inventaire, qui varient en fonction du volume), aux informations en temps réel, pour l'émission de chaque billet... Quand un billet à prix cassé est vendu, ces frais peuvent ainsi être supérieurs au montant de la commission.

Il faut également souscrire à de nombreuses assurances et garanties car en France, seule une entreprise du voyage (EDV) a le droit de vendre des billets de train (ou d'avion), ce qui implique des contraintes financières. Sans oublier les frais pour les paiements en carte bleue.

"Aujourd'hui, se lancer qu'en France, c'est économiquement impossible"

"Les revenus ne couvrent pas les frais", ajoute Christopher Michau. Alors que Trainline est, de loin, le plus gros concurrent de SNCF Connect, le constat est sans appel: "nous ne sommes pas rentables en France".

"Aujourd'hui, se lancer qu'en France, c'est économiquement impossible", renchérit Christopher Michau.

Ce qui veut tout dire sur les conditions d'exercice de ce marché pourtant stratégique pour doper l'adoption du train en France face à la voiture. Un constat confirmé par une étude Compass Lexecon commandée par ADN Mobilités. "On ne peut pas avoir de rentabilité sur ce marché avec les conditions actuelles et futures. D'ailleurs, aucun des acteurs présents n'a dégagé une profitabilité, l'espace économique est trop restreint", juge ainsi un des auteurs. "Et il n'y pas de raisons évidentes à un niveau (de commission, NDLR) aussi bas."

D'autant plus que le taux de commission peut varier selon le type de train: c'est ainsi 1% pour les billets low cost Ouigo. Pour ces acteurs, vendre ces billets, cela veut dire vendre à perte, encore plus lors des périodes de promotions, certains (les plus petits comme 1.2.Train) y renoncent même.

Des conditions plus généreuses ailleurs en Europe

Ce niveau fait également pâle figure par rapport à ce qui peut être proposé chez nos voisins européens. Selon nos informations, en Italie, Trenitalia (l'équivalent de la SNCF) propose 10% de commission aux vendeurs en ligne. En Espagne, la commission versée par Ouigo aux vendeurs en ligne serait également bien supérieure à 1%.

Trainline est présent dans de nombreux pays ce qui lui permet de lisser ses pertes en France et d'être rentable au global, mais pour les autres, opérer en France relève de l'exploit.

"L'équation est très difficile à moins de générer beaucoup de volumes", ajoute un autre acteur du marché. Or, le volume est plutôt du côté de Connect avec 209 millions de titres de transport vendus par an.

Non seulement, le niveau de commission est jugé trop bas mais il va baisser dans les prochaines années: 2,8% en 2025 pour tomber à 2,7% ensuite. "Rien ne justifie cette baisse", regrette Christopher Michau. Pour autant, SNCF Connect est lui aussi logé à la même enseigne.

"SNCF Connect est une entreprise indépendante, elle a le statut d’agence de voyages. A ce titre, elle est soumise aux mêmes conditions de marché que ses concurrents agences de voyages (rémunération, coûts, etc.)", nous répond un porte-parole.

Mais, impossible de connaître sa structure de coûts, ses chiffres financiers étant englobés dans ceux de SNCF Voyageurs. Selon certains observateurs, ils seraient également supérieurs à ses revenus.

"Opacité totale" de SNCF Connect

"SNCF Voyageurs doit avoir un comportement non-discriminatoire, c'est la base", ajoute Alexander Ernnert, directeur des relations gouvernementales de Trainline. Le responsable entend mobiliser la Commission européenne et le régulateur des transports (l'ART) sur le sujet.

Un acteur du marché qui tient à garder l'anonymat dénonce ainsi "une opacité totale" du côté de SNCF Connect et réclame "une décorrélation entre celui qui facture et celui qui rémunère".

Accusée de proposer des conditions de rémunération insuffisantes, SNCF Voyageurs se défend. "Les règles sont les mêmes pour tous les distributeurs qui ont le même traitement équitable, dans le parfait respect du droit commercial et des règles de concurrence. Une convention de cinq ans a été négociée avec les représentants du secteur, elle est en application depuis 2023 et valable jusqu’en 2027", explique à BFM Business un porte-parole du groupe.

Sur la baisse programmée de la commission, l'opérateur met en avant la hausse des volumes de billets vendus en expliquant qu'elle "reflète l’évolution des modes de consommation avec une digitalisation qui progresse. Il ne faut pas oublier que toute commission pèse in fine sur le prix du billet payé par le consommateur". 

Enfin, l'entreprise assure que "SNCF Connect & Tech est profitable" mais rappelons que ses activités vont bien au-delà de la vente de billets de train puisqu'on y trouve du transport urbain, des chambres d'hôtel, de la location de bureau, de la réservation de VTC.

Les régulateurs à la manoeuvre

Face à une situation jugée figée, quelles sont les solutions? L'étude Compass préconise une séparation comptable de SNCF Connect et une intervention du régulateur (l'ART) ou d'autres autorités en évoquant "un abus de position dominante". "Le cadre est imparfait", admet Jordan Cartier, secrétaire général de l'ART.

"On peut se retrouver dans une situation où ces acteurs ont du mal à émerger, il faut donc réfléchir à des actions ou obligations particulières pour la SNCF comme la séparation comptable mais il faut que des textes passent."

L'Autorité de la concurrence est également à la manoeuvre, elle a mené l'an passé "des opérations de visite et saisie inopinées" dans les locaux "d’entreprises suspectées d’avoir mis en œuvre des pratiques anticoncurrentielles" dans le secteur de la billetterie ferroviaire. Sans qu'il y ait de décision pour le moment.

En attendant, cette situation pèse sur l'attractivité de Trenitalia ou de la Renfe (et à terme pour les autres acteurs vont arriver). "Si on est fort en parts de marché, on renforce la concurrence dans le train, car on offre plus d'accès à leurs offres. Et si cette concurrence est renforcée, les prix des billets baissent", explique Matthieu Marquenet, PDG de Kombo et président d'ADN Mobilités.

"C'est un cercle vicieux, résume-t-il, si on n'arrive pas émerger, l'offre (des concurrents de la SNCF, NDLR) n'est pas connue."

"La faible part des alternatifs impacte l'ouverture à la concurrence. Renforcer ces acteurs, c'est offrir une caisse de résonnance pour la concurrence, c'est un rôle crucial", ajoute Compass.

Le déficit de notoriété des concurrents de la SNCF sur le rail français est une réalité, le poids de SNCF Connect qui ne les vend pas n'aide en effet pas.

D'un autre côté, outre le renforcement des plateformes alternatives de ventes de billets, il serait peut-être utile que ces acteurs se fassent mieux connaître auprès du grand public et que Trenitalia, Renfe intensifient leurs campagnes de communication et rappellent qu'ils proposent également leurs propres services en ligne de réservation.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business