Parts de marché: avec le retour de l'inflation, le modèle de l'hypermarché fait de la résistance

Trop grand, trop fréquenté… L’hypermarché n’attire plus les foules. Victime collatérale du Covid-19, concurrencé par de nouveaux formats (drive, e-commerce…) et attaqué de tous les côtés par les grandes enseignes spécialisées (Naturalia, Grand Frais, Décathlon, Leroy-Merlin, Kiabi…), le modèle "hyper" n’a cessé de voir sa rentabilité s’éroder ces dernières années.
A 52% en valeur en 2002, la part de marché de ces grandes surfaces de plus de 2500 m² a fondu pour atteindre 37% aujourd’hui, selon le panéliste NielsenIQ. Le déclin est net, au point que certains prédisent depuis des années la disparition progressive de ce format de magasins qu'ils jugent "dépassé".
Reste que l’hypermarché demeure encore en 2022 le premier circuit de distribution en France. Et si l’écart tend à se resserrer avec les supermarchés, les circuits en croissance que sont les discounters (Lidl, Aldi…), les enseignes de proximité (Monop’, Carrefour City…) et le e-commerce restent loin derrière à ce stade.
Surtout, les hypers, dont les parts de marché ont oscillé entre 37 et 38% de janvier à juin, semblent "stopper l’hémorragie depuis le début de l’année", relève Nielsen. Sur un an, le format progresse même de 0,3 point. Une comparaison par rapport l’année dernière qu’il convient toutefois d’interpréter avec prudence, les hypermarchés ayant été pénalisés par le confinement du deuxième trimestre 2021.
Toujours est-il que la fréquentation des grandes surfaces (supermarchés et hypermarchés) a augmenté de 6% sur les cinq premiers mois de l’année, selon IRI. Signe que les consommateurs ont renoué avec certaines de leurs habitudes d’achat après avoir évité les lieux à risque de propagation du Covid-19. Et alors que l’hyper fait de la résistance, les parts de marché des discounters et du e-commerce ont, elles, plutôt tendance à reculer sur les six premiers mois de 2022.
Un format mieux adapté en période d'inflation?
Si l’hypermarché fait preuve de résilience malgré le retour de l’inflation, c’est sans doute parce qu’il est mieux armé que certains modèles concurrents pour intégrer cette nouvelle donne. La hausse des prix y est d’ailleurs moins forte qu’en supermarché: +4,1% en juin sur un an, contre +4,7%. Et même si les discounters (+3,7%) et les enseignes de proximité (+3,8%) demeurent moins inflationnistes, l’hyper a d’autres atouts à faire valoir dans ce nouvel environnement.
Grâce à une offre pléthorique, l’hypermarché répond mieux aux attentes des consommateurs qui se tournent davantage vers les références les moins chères pour limiter l’impact de l’inflation sur leur portefeuille:
"Quand on regarde les types de produits qui s’en sortent bien, ce sont plutôt les marques de distributeurs (MDD) premiers prix que les marques nationales. Or, c’est dans le circuit 'hypermarché' que les MDD premiers prix sont les plus présentes", souligne Emmanuel Fournet, analyste spécialisé en grande consommation chez Nielsen.
Dotées d’une importante force de frappe et de moyens de communication rodés, les grandes surfaces peuvent de surcroît attirer une nouvelle clientèle à grand renfort de promotions ciblant aussi bien le carburant que la baguette de pain en période d’inflation.
"Il y a une bonne reprise de l’activité promotionnelle et les hypers sont au premier plan dans ce domaine", confirme Emmanuel Fournet.
En témoigne le nombre d’offres de promotion des hypermarchés Carrefour qui a augmenté de 21,5% du 1er janvier à la mi-mai 2022 par rapport à la même période l’an passé, selon l’agence A3 distrib citée dans Le Figaro.
Symbole de cette capacité des grandes surfaces à se démarquer, le blocage du prix de la baguette de pain à 29 centimes dans les hypermarchés Leclerc en début d’année malgré la flambée des matières premières et coûts de production. Une décision jugée "irresponsable" par les discounters, dont Lidl, qui n’ont pourtant eu d’autre choix que de s’aligner.
Pas de miracle à attendre
Emplacement stratégique, offre massive, promotions… A l’heure où les consommateurs regardent à la dépense et alors que certains produits manquent parfois sur les étals des magasins, l’hypermarché et ses milliers de références apparaît comme le mieux placé pour satisfaire les nouvelles exigences:
"Dans un contexte inflationniste, le client va essayer de faire ses courses en une fois, de remplir son panier dans un seul magasin, en trouvant un maximum de promotions pour réduire ses dépenses", analyse Emmanuel Fournet qui y voit aussi un moyen de "limiter ses déplacements" et donc ses dépenses en carburant.
Une légère embellie à la faveur d’un contexte particulier donc, mais pas de miracle en vue: "L’hyper ne reviendra pas aux niveaux de parts de marché qu’il pouvait connaître il y a dix ou vingt ans", poursuit le spécialiste de la grande distribution. Sans compter que de nouvelles restrictions sanitaires liées à la pandémie de Covid-19 pourraient très vite faire rechuter la fréquentation des plus de 2000 hypermarchés de France.
Les plus grands hypers pénalisés
Covid ou pas, le modèle de l’hypermarché demeure fragile. Et "les plus grands hypermarchés" sont ceux "qui souffrent le plus", affirme Emmanuel Fournet. Selon lui, leur superficie et leur offre ne sont plus forcément adaptées aux aspirations des consommateurs: "Plus c’est grand, plus je passe du temps à faire mes courses", résume-t-il. Ce sont aussi ces espaces de plus de 7500m² regroupant toutes sortes de références alimentaires et non-alimentaires qui sont les plus exposés à la concurrence des enseignes spécialisées.
D’ailleurs, la relative résistance du circuit depuis le début d’année tient aux seuls hypers de moins de 7500m² qui ont gagné 0,8 point de parts de marché entre janvier et mai, quand ceux de plus de 7500m² en ont perdues.
Les difficultés de ces gigantesques temples de la consommation ne datent pas d'hier. Les enseignes de grande distribution ont pour la plupart déjà entamé la transformation de leurs plus grands magasins.
Pour certaines, la remise en cause face à la concurrence des enseignes spécialisées passe par la réduction des zones non-alimentaires (vêtements, électroménager…) au profit d’une offre alimentaire plus qualitative, notamment sur les produits frais, en phase avec les nouvelles attentes des consommateurs (produits locaux, bio, zone vrac…). Des mouvements qui vont dans le bon sens, selon Emmanuel Fournet: "La remise en cause, elle existe et elle va continuer. La mort de l’hyper, non. Mais la poursuite de la réinvention, oui", conclut-il.