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"Ma vie a changé": au procès, l'émotion des policiers intervenus lors de l'attentat de la basilique de Nice

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Les policiers municipaux qui sont entrés en premier dans la basilique après l'attentat survenu au sein de l'édifice le 29 octobre 2020 ont fait part de leur douleur depuis le drame.

"Je ne vis plus en me disant qu'un attentat est possible mais en me demandant quand sera le prochain", confie le lundi 17 février à la cour d'assises spéciale de Paris un des cinq premiers policiers municipaux à entrer dans la basilique de Nice après l'attentat du 29 octobre 2020.

Un traumatisme vif

Ce jour-là, trois personnes, Nadine Devillers, Simone Barreto Silva et Vincent Loquès, avaient été assassinées avec un couteau de cuisine au sein de l'édifice religieux.

Les cinq hommes, primo-intervenants, qui sont parvenus à neutraliser l'accusé Brahim Aouissaoui, un jeune Tunisien radicalisé alors âgé de 21 ans, ne se considèrent pas comme des héros, au contraire.

Preuve d'un traumatisme qui ne s'apaise pas, ils souhaitent demeurer anonymes en s'exprimant à la barre, craignant de mettre en danger leur famille en révélant leur identité.

Tous se souviennent du "regard noir et haineux" de l'accusé qui, selon le brigadier-chef P.S., "s'est jeté sur nous, pointant son couteau" avant d'être neutralisé par les tirs des policiers. "Il nous attendait", dit le témoin.

Cet épisode "a bouleversé ma vie", admet l'ex-brigadier-chef, 56 ans, qui a quitté la police après l'attentat. "Les victimes de l'attentat font partie de mes défunts", souligne-t-il d'une voix sourde.

A la barre, un autre ex-policier municipal de 36 ans raconte sa vie bouleversée. "C'est impossible de rester seul chez moi, de retourner (en mission) sur la voie publique. Ma vie a changé. J'ai changé. Je m'énerve plus facilement, j'ai peur, je suis dans un état permanent de paranoïa", détaille-t-il.

Les témoignages se succèdent, certains en visio depuis Nice, et les policiers, parfois au bord des larmes, expliquent, de façon unanime, que se reconstruire est "très compliqué".

"Je continue de me réveiller la nuit. Ça tourne en boucle dans ma tête", raconte un témoin.

"Je suis sûr de mourir"

Face à ce désarroi, l'avocate générale du parquet national antiterroriste (Pnat) répète à chacun des intervenants les mots d'une enquêtrice de la sous-direction antiterroriste (Sdat) qui a témoigné à la barre la semaine dernière. La réaction des primo-intervenants de la police municipale a été "rapide, rigoureuse, exemplaire, héroïque...".

Les policiers accueillent ces compliments avec un sourire triste. L'un des agents municipaux rappelle que c'est "la deuxième fois" que sa famille est "touchée par un attentat". Son père, également policier municipal à Nice, était présent lors de l'attentat du 14 juillet 2016 sur la Promenade des Anglais.

"Je me souviens ne pas l'avoir reconnu après ça... Je me reconnais maintenant à travers lui", explique-t-il.

Le jour de l'attentat, il n'a pas utilisé son arme car un de ses collègues était dans sa ligne de mire. "Je subis toute la scène dans laquelle je me vois mourir sans pouvoir personnellement me défendre. A cet instant, je suis sûr de mourir ou de prendre un coup de couteau", se souvient-il.

Des difficultés au quotidien

Ensuite ? C'est le début d'un cauchemar qui dure encore. "J'ai fait une nuit blanche. Je ne cessais de ressasser les événements", raconte le témoin d'une voix nouée. Il n'arrive plus à manger.

Il reprend son métier de policier municipal mais s'aperçoit rapidement que c'est "de plus en plus compliqué d'aller travailler".

"L'attentat a changé ma vision du monde à jamais et a déclenché une hyper vigilance. Il n'était plus question pour moi d'attraper le voleur mais de me préparer (...), penser au prochain attentat qui pourrait survenir à tout moment", détaille-t-il.

Ses supérieurs le retirent de la voie publique mais il ne se résout pas à se rendre à sa nouvelle affectation, dans un bureau, sans gilet pare-balle. Il enchaîne les arrêts de travail.

"Je ne supporte plus le mois d'octobre qui devient pour moi une descente aux enfers", dit-il de plus en plus tendu. Mais "l'enfer" ne se limite pas au mois d'octobre. "Aller au centre-ville ? Impossible. Revenir sur les lieux des faits ? Impossible. La foule ? J'ai du mal à gérer. J'arrive à voir encore des amis mais hors de question que ce soit en centre-ville", dit-il à la cour.

"Au moment des faits, j'avais 23 ans, maintenant 27, une partie de mes années ont été gâchées, perdues, ne pourront être rattrapées", ajoute-t-il, épuisé.

Un manque de reconnaissance

L'avocate de ces primo-intervenants a dénoncé au tribunal un manque de reconnaissance. Pour elle, ces agents ont pris les mêmes risques que les policiers municipaux en menottant par exemple l'assaillant une fois qu'il était à terre sur le parvis de la basilique ou en sécurisant les lieux sans savoir s'il restait des complices dans l'édifice.

Ces personnes ne sont pas considérées comme des victimes. Seuls les policiers municipaux intervenus à l'intérieur de la basilique ont pu se constituer partie civile. Les policiers nationaux, qui sont intervenus juste après, d'abord à l'extérieur puis à l'intérieur, sont exclus malgré le choc qu'ils ont vécu.

Leur avocate plaide alors pour un élargissement du périmètre des victimes. Un statut qui leur permettrait de prétendre à d'éventuels dommages et intérêts. Mais la cour tranchera après le verdict, prévu le 26 février.

Margaux Sansano, M.H avec AFP