"Je parle pour les autres": un ancien élève du collège Saint-Joseph témoigne après les accusations d'agressions sexuelles

Le lycée Saint-Joseph de Gap. - Capture d'écran/Google street view
Au téléphone, l’ancien élève se souvient de tout, dans les moindres détails, avec une précision déconcertante. Les faits ont pourtant dix ans aujourd’hui. Martin (prénom modifié), aujourd'hui âgé de 24 ans, dit avoir subi plusieurs agressions sexuelles par un professeur de l’établissement privé catholique Saint-Joseph de Gap. Son témoignage est l'élément déclencheur qui a poussé les autorités de l’Éducation nationale à suspendre à titre conservatoire, le mois dernier, le professeur mis en cause.
Martin n’est pas originaire des Hautes-Alpes. Il arrive au collège Saint-Joseph de Gap pour l’année scolaire 2014/2015 dans le cadre d'une année de sport-étude, avec le club de hockey des Rapaces de Gap.
"Je viens d’une grande ville. Je suis arrivé tout seul, à l’internat la semaine et en famille d’accueil le week-end", explique Martin qui a rapidement été interpellé par la personnalité du professeur mis en cause aujourd’hui. "Il était le prof cool, il avait 26-27 ans. C'était le prof modèle, il n’avait pas cette distance que les autres profs ont. Il te traitait comme un pote, tout le monde voulait être son pote".
Des échanges entre le professeur et ses élèves
Ce professeur ne se comportait pourtant pas avec Martin comme avec les autres élèves. "Avec moi, c’était un connard, il me traitait mal, ça a été comme ça toute l’année". L'ancien élève raconte que le professeur accusé l’ignorait pendant les cours et savait être particulièrement désagréable avec lui.
L’enfant de 14 ans qu’était Martin à l’époque s’interrogeait sur cette différence de comportement: "je savais qu'il échangeait avec mes potes sur les réseaux sociaux, certains allaient chez lui pour des parties de jeux vidéo". "Il m'excluait en cours mais aussi à l’extérieur", se rappelle l’ancien élève du collège Saint-Joseph de Gap.
Tout change au printemps en 2015, à l'approche de la fin d'année scolaire. "Il vient me voir pour me demander quand je rentre [dans ma ville d’origine], je lui dis que je ne sais pas et là il me dit: 'C’est dommage, on ne va plus se revoir, pourquoi tu ne m’ajouterais pas sur Snapchat?'".
Des échanges de photos se mettent en place. "J'étais curieux, j’ai poursuivi la conversation, il me demandait des choses banales, on se parlait le soir et il continuait à m’ignorer en cours. Je me disais: 'c’est bizarre, c’est mon pote mais je ne dis rien'", se rappelle Martin.
Une invitation à venir chez le professeur
Les échanges entre le professeur et l’adolescent ont continué pendant une dizaine de jours. Les messages devenaient de plus en plus personnels et axés sur la sexualité. "Tu as déjà eu des doutes sur ta sexualité? Tu as déjà eu des relations?", interrogeait le professeur.
Il finit par demander à Martin de venir chez lui pour regarder un match de la Coupe d’Europe de football. Martin accepte. "Je me rappelle parfaitement chez lui, j’ai même fait un croquis", explique-t-il. "Quand j’arrive, il est déjà douché. Il m’a offert une Desperados et il a enfermé son chat dans un chambre, on s’est posés sur le canapé et il a mis le match à la télé".
Pendant plusieurs minutes, l’homme et l’adolescent discutent et la discussion dérive rapidement sur la sexualité. "Chez les garçons, c’est normal de faire des choses entre nous pour être meilleur avec les femmes", dit le professeur accusé au jeune de 14 ans,. "Il pose sa bière et se jette sur moi pour me faire des guilis", décrit Martin qui se souvient de chaque instant de ce week-end. Il se retrouve alors allongé sur le canapé, l’homme sur lui: "il m’a embrassé, on a fini par coucher ensemble".
Ensuite, le professeur a changé de ton. "Il m’a demandé de me rhabiller et de partir, il m’a demandé d’en parler à personne. Il me disait que j’allais me faire gicler des Rapaces de Gap". raconte Martin, dix ans après les faits. "J’ai eu peur, je savais que ce n’était pas normal, j’ai voulu le protéger et je n’ai rien dit".
"Il ne doit plus être auprès des jeunes"
L’ancien élève de Saint-Joseph est parti l’année suivante suivre son année de Troisième dans sa ville d’origine avant de revenir pour l’année scolaire 2016/2017 au lycée Saint-Joseph. "Quand il a su que je revenais à Gap, il m’a réécrit sur Instagram, il a voulu me revoir et on a recouché ensemble".
À l’époque le professeur ne donnait des cours qu’au collège, ils ne se croisaient donc pas la journée.
Martin n’a jamais voulu parler. "J'ai vu une psy, je vais bien", dit-il. "Je parle pour les autres, il ne doit plus être auprès des jeunes".
Dix ans après les faits, beaucoup de questions restent en suspens. Des élèves actuels de Saint-Joseph décrivent un mode opératoire du professeur qui rappelle de manière inquiétante les faits de 2015. Dans ses souvenirs, Martin est catégorique: au moins un de ses camarades a eu une relation avec le professeur aujourd’hui mis en cause.
Une enquête est en cours menée par le parquet de Gap. Le professeur suspendu aujourd’hui est présumé innocent.