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Hautes-Alpes: divisions politiques autour de la future gestion des déchets dans le département

Photo de déchets (illustration)

Photo de déchets (illustration) - Bertrand Langlois - AFP

Pour le président de l’agglomération de Gap-Tallard-Durance, les tarifs pratiqués par Véolia sont trop élevés. Roger Didier souhaite récupérer la gestion des déchets du département en régie publique.

La gestion des déchets du département des Hautes-Alpes s’est récemment invitée dans de nombreuses conversations d’élus. Pour cause, un changement de taille a été proposé et mis sur la table par le plus important d’entre eux: Roger Didier.

Mécontent des tarifs appliqués par l’entreprise privée Véolia, le maire de Gap et président de l’agglomération Gap-Tallard-Durance avait fait du passage en régie publique de la gestion de ces déchets l’une de ses priorités. Sauf que la plupart des autres élus ne l'ont pas suivi.

Le coût est passé de 68 euros à 88 euros

Dans le rapport annuel 2021 de la gestion des déchets, consultable sur le site de l’agglomération, les chiffres parlent d’eux même et donnent raison à Roger Didier. Entre 2017 et 2021, le coût aidé par habitant, c’est-à-dire ce que coûtent les déchets pour chaque habitant de l'agglomération, est passé de 68 euros à 88 euros.

"La courbe indiquait jusqu’à 2020, une augmentation maîtrisée, mais depuis l’augmentation est bien réelle, indique le rapport annuel. Ces coûts concernent les dépenses générées or tout dispositif d’aides financières. Les charges de traitement confiées à la prestation privée impactent les coûts globaux."

"Préoccupés par l'augmentation excessive des coûts de gestion des déchets et plus spécifiquement du coût d’enfouissement des déchets sur le centre d’enfouissement du Beynon, les élus de 12 entités publiques du département du 04 et du 05 ont adhéré à un groupement de commandes par la signature fin novembre 2021 d’une convention", note le rapport de 2021.

Ce dernier rappelle également l'objet de cette convention qui porte "le projet commun de réaliser une étude visant à un éclairage technique, financier et juridique sur la pertinence et la faisabilité de l’exploitation publique de l'installation de Stockage des déchets Non-Dangereux du Beynon".

"Il s'est trompé lourdement"

Une étude, payée par les intercommunalités sans que le prix ne soit dévoilé, a été menée par le cabinet EODD.

Il en ressort que le coût de la tonne de déchets enfouis avoisinerait les 113.5€, hors taxe et par habitant en cas de gestion publique, a appris BFM DICI. Contre 125 à 130€ hors taxe pour Véolia. Le président de l’agglomération Gap-Tallard-Durance a donc tenté de convaincre l’ensemble des élus qu’un changement était devenu nécessaire.

"Roger Didier, comme à son habitude, a voulu agir sans concertation, en faisait fi des études, pour l'intérêt avant tout des Gapençais et pas des habitants du département, souffle un élu influent du territoire. Il s'est trompé lourdement, surtout lorsqu'il parle d'enfouissement alors que l'avenir passe par le tri."

Le 18 janvier dernier, les communautés de communes des Hautes-Alpes et la CCSB (Sisteronais-Buëch) se sont donc prononcées sur le bien-fondé d’un passage en régie publique pour la gestion des déchets. Toutes celles sollicitées par notre rédaction ont refusés, sauf l’Agglomération de Gap. Les déchets restent donc gérés par Véolia au Beynon, au moins jusqu’en 2026.

"La question de l’enfouissement de nos déchets est centrale pour l’avenir, même si celle du recyclage et de la baisse de la quantité de déchets l’est encore plus, déclare Arnaud Murgia, maire de Briançon et président de la communauté de communes du Briançonnais. Je ne crois pas qu’un projet imaginé sans avoir la maîtrise foncière, puisque c’est en l’occurrence la SAB qui la détient, et qu’elle est déjà implantée sur le site avec un contrat depuis plus de 30 ans et pour encore une quinzaine d’années, soit viable."

L'édile indique prendre le parti d'une négociation avec Véolia, "pour faire baisser les tarifs pour l’avenir". Une solution qui évitera, selon lui, "d’entrer dans imbroglios juridiques et humains qui ne sont pas souhaitables". 

"Que va-t-on faire de nos déchets?"

Même sentiment pour Joël Bonnaffoux, président de la Communauté de communes Serre-Ponçon Val d’Avance: "Sans le foncier, il était impossible de changer les choses, explique-t-il. Mais la question mérite d'être posée. Que va-t-on faire de nos déchets dans les 10 ou 20 prochaines années? Avec les départements voisins, nous pourrions construire une usine pour mieux trier et gérer nos ordures ménagères. On ne va pas pouvoir enfouir tout le temps".

De son côté, Chantal Eyméoud, présidente de la Communauté de Communes de Serre-Ponçon, et les habitants qu’elle représente ne sont pas vraiment pour l'heure concernés par la situation du Beynon.

"Rien n'est encore tranché, mais nous ne devrions pas y être favorables, annonce-t-elle. D'autant que nos communes ne sont pas encore concernées puisque Embrun dispose de son propre site d'enfouissement, dont la durée de vie est estimée à six ou sept ans."

Une commission bientôt créée

L'association des maires de France 05 a prévu de créer une commission départementale afin de définir les ambitions du territoire en matière de tri et de gestion des ordures ménagères. Florent Martin, maire d'Upaix et en charge de la question des déchets à la Communauté de Communes du Sisteronais-Buëch, doit en prendre la tête. 

"Nous devons êtes unis et novateurs, réagit le principal intéressé. Unis, car les élus de toutes les communautés de communes doivent se mettre autour d’une table pour proposer des idées. Nous avons un territoire vaste et pas très riche, ce qui augmente les coûts de trajets pour le transport des déchets."

Il veillera à faire des choix cohérents, "en s’assurant que Véolia ne profite pas de la situation pour faire de trop gros bénéfices". "Le but ultime, c’est aussi de moins enfouir" se projette Florent Martin, qui souhaite être novateur. "En regardant ce qu’il se passe ailleurs en France et en Europe, il y a de grandes choses à faire et nous devons nous y mettre tous ensemble. Cette étude n’est pas de l’argent jeté par la fenêtre puisqu’elle permet à l’ensemble des intercommunalités de se parler et de regarder dans la même direction."

Actuellement, les déchets ultimes, c’est-à-dire non-recyclables des habitants des Hautes-Alpes, sont en grande partie enfouis au sein de la décharge du Beynon, située sur la commune de Ventavon. Soit environ 65.000 tonnes de déchets par an. Un chiffre qui devra atteindre les 50.000 tonnes grâce à une politique de tri plus efficace.

Un "travail à trois"

Un contrat de fortage lie la municipalité de Ventavon à la Sablière du Beynon (SAB), qui possède donc la maîtrise foncière du site jusqu’en 2036. Un autre contrat lie la SAB à Véolia qui peut donc enfouir les déchets non-recyclables qui arrivent de tout le département des Hautes-Alpes, jusqu’en 2026.

Sur le site, Véolia produit du biogaz par la dégradation des déchets et récupère ce gaz par un réseau de drains et de puits. Le biogaz est ensuite acheminé vers une plateforme de valorisation et sert à faire de l’électricité qui est ensuite réinjectée sur le réseau EDF.

Un "travail à trois", entre Véolia, la SAB et la commune de Ventavon, qui satisfait jusqu’à présent la majorité des élus siégeant dans les communautés de communes des Hautes-Alpes et du Sisteronais. Sauf le maire de Gap qui estime donc que les tarifs pratiqués par Véolia sont trop élevés.

N’ayant pas eu accès à l’étude du cabinet EODD, Véolia n’a pas souhaité se prononcer sur "des différences de tarifs sans en connaître les différents modes de calculs utilisés".

Pour ce qui est du site du Beynon, Véolia rappelle "qu’il assure à la fois, le stockage des déchets dits 'ultimes', mais aussi, le tri des déchets valorisables".

Veolia indique "accompagner les collectivités et les industriels, afin d'améliorer le tri à la source, développer des filières de tri, et ainsi privilégier la valorisation matière, et de cette manière, réduire l'enfouissement".

Le service communication du groupe conclut en rappelant que Véolia "mise sur le développement de nouvelles énergies afin de développer des solutions sur le bassin alpin, produites, par exemple, à partir de déchets organiques collectés localement ".

Sollicité, Roger Didier n’a pas souhaité répondre à nos sollicitations.

Quelques chiffres clés:

1.564.632,82 €. C’est le montant versé par l’Agglomération Gap-Tallard-Durance à Alpes Assainissement (Véolia) en 2021 pour le transport et le traitement des ordures ménagères. Soit une augmentation de 4.63% par rapport à 2020.

5.698.803,00 €. C’est la somme perçue par l’Agglomération Gap-Tallard-Durance par le biais de la Taxe d’Enlèvement des Ordures Ménagères (TEOM) en 2021. Soit 113,29 € par habitant.

11 hectares. C’est la surface totale du Beynon. Dont 9 hectares pour le dépôt des déchets.

81 tonnes. C’est la capacité maximale annuelle d'enfouissement des déchets, pour 2021 au Beynon. En 2026 cette capacité maximale ne sera que de 55 000 T/an.

125 à 130 €. C’est ce que coûte aux collectivités une tonne de déchets enfouis par Véolia dans les Hautes-Alpes.

Valentin Doyen avec Solenne Bertrand