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Briançon: une cinquantaine de militants ont honoré la mémoire des migrants morts à la frontière

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Une commémoration aux morts des frontières franco-italiennes a réuni une cinquantaine de militants jeudi 7 février, en fin d’après-midi à Briançon.

Le temps d’une poignée d’heures, jeudi 6 février, dans l'après-midi, des panneaux ont été ficelés aux poteaux du pont de la rue centrale de Briançon.

À quelques pas en arrière, l'œuvre semble anodine. Un coup d'œil furtif glane des informations en vrac. Un bâton de bois soutient une pancarte plastifiée à hauteur de visage.

Un fond noir depuis lequel ressortent de courtes phrases en police blanche. Des noms, des âges - lorsqu’ils sont précisés -, des nationalités, des lieux, des dates. Seize en tout.

Seize morts ou disparus identifiés

Le nombre est essentiel. Ce sont les données d’identification des seize personnes mortes ou portées disparues dans le Briançonnais et les vallées alentour alors qu’elles tentaient de contourner les contrôles militaires. Le décompte court depuis 2018.

Un décor de commémoration glaçant, installé de façon éphémère tous les 6 février par les militants d’associations locales de protection des réfugiés. Un hommage devenu tradition. Il est une réponse à l’appel lancé chaque année par les familles endeuillées. Le message n’a pas pris une ride. 

Humaniser les migrants et la migration

Derrière l’aménagement express du pont - banderoles et panneaux ont été retirés en début de soirée -, une volonté d’humaniser la situation.

“Nous souhaitons remettre les morts au milieu de la cité, décrypte Isabelle Lorre, correspondante du programme de Médecins du monde à Briançon. Ramener ces personnes qui ont toutes des histoires singulières, noyées dans un discours sur l’immigration qui a tendance à homogénéiser les expériences.” 

À commencer par l’expérience coriace de la traversée de la vallée de la Clarée et le val de Suze. “Pour éviter les forces de l’ordre, ces personnes peuvent prendre des chemins détournés et se perdre dans la montagne, retrace Isabelle Lorre. Ils sont amenés à passer six, sept heures dehors, neige jusqu’au torse, dans des périodes hivernales et des températures autour des -20°C.”

Les décès ne sont pas bornés à la seule période hivernale. En 2023, trois personnes ont perdu la vie dans les environs entre les mois d’août et de novembre. Au-delà du funeste record de rapidité, ces données servent à mettre en garde: la traversée est dangereuse - et le danger, très actuel.

“On ne parle pas seulement des morts d’ici”

L’action semble payer. L’espace sélectionné pour la commémoration étant un point de passage fréquenté, les badauds s’attardent sur les écriteaux. Ils finissent par rester, interrogateurs.

Ils ont été retenus par une fanfare, préambule d’un moment de parole pendant lequel les seize noms ont été lus à voix haute.

Un autre chiffre émerge des discours: 145. Cette fois, c’est le nombre de migrants décédés aux frontières franco-italiennes depuis dix ans. Près de dix fois supérieur au décompte local.

“On ne parle pas seulement des morts d’ici : on parle des morts de partout, élargit la coordinatrice de Médecins du monde. Ceux qui viennent de la méditerranée, ceux qui ne survivent pas au désert, ceux qui se heurtent à la militarisation de Calais, de Dunkerque.”

Des démarches pour installer un mémorial

Dans les mémoires militantes locales, l’oubli n’est pas une option. Se souvenir tous les ans, c’est un premier pas. Pour les associations solidaires, il faudrait un moyen de rappeler la situation à l’année.

C’est dans cette optique qu’elles se sont rapprochées des communes voisines, avec lesquelles il est question de trouver un lieu approprié à l’installation d’un mémorial - le cairn déposé le 6 février précédent dans les hauteurs de Briançon ayant été retiré par la municipalité. Les démarches sont en cours. 

Estelle Hottois avec Florent Bascoul