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Manifestation devant la cathédrale, archevêque sur la sellette: le diocèse de Strasbourg dans la tourmente

La cathédrale de Strasbourg.

La cathédrale de Strasbourg. - FREDERICK FLORIN / AFP

Pointé du doigt pour des méthodes jugées brutales, Mgr Luc Ravel pourrait, comme le veut la rumeur, être démis de ses fonctions par le Vatican. En attendant, les fidèles s'inquiètent d'une atmosphère devenue particulièrement pesante au sein de la communauté catholique locale.

La manifestation n'est pas, d'ordinaire, un instrument de contestation très répandu chez les catholiques. L'Église, même si elle se veut plus ouverte qu'autrefois, fonctionne encore aujourd'hui sur un mode vertical, qui laisse peu de place à la voix des fidèles. Celle de mardi, pourtant, a prouvé que des exceptions étaient possibles.

Nous sommes en fin d'après-midi lorsqu'une quinzaine de personnes se rejoignent sur le parvis de la cathédrale de Strasbourg. Elles arborent des pancartes appelant à la démission de l'archevêque, Mgr Luc Ravel, 65 ans, pointé du doigt pour son autoritarisme. Impossible pour le millier de fidèles qui pénètre dans l'édifice, où se tient la messe chrismale en présence de quelque 200 prêtres et 100 diacres, de les manquer.

Un tel événement, qui plus est au cours de la semaine sainte précédant Pâques, la fête la plus importante aux yeux des chrétiens, n'est pas anodin. De l'avis de Bernard Xibaut, chancelier de l'archevêché de Strasbourg, cette "manifestation semble être le signe d'un certain malaise".

"Ça nous a bien fait pleurer"

Au diocèse, cela fait plusieurs années que la crise couve. Et pour que l'association Jonas Strasbourg "descende dans la rue, devant la cathédrale, il faut qu'il y ait un événement assez grave", reconnaît Jean-Paul Blatz, son président, sur BFM Alsace. Ou plutôt deux.

Tout d'abord, la diffusion d'"un communiqué de l'archevêque de Strasbourg sur son prédécesseur (Mgr Jean-Pierre Grallet, NDLR), qui a eu des problèmes plus ou moins d'abus, poursuit Jean-Paul Blatz. On ne sait pas exactement de quoi il s'agit".

Le président de Jonas Strasbourg accuse Mgr Luc Ravel d'avoir "profité" de ce document "pour dire du mal de son prédécesseur, pour dire des choses qui ne sont pas tout à fait exactes", prolonge-t-il sans donner plus de précisions. "On s'est déjà révolté. Ça nous a fait bien pleurer à ce moment-là. Mais on ne l'a pas dit publiquement."

Une lettre glissée sous la porte

Le second événement remonte à mardi matin, quelques heures seulement avant la manifestation. Dans les Dernières nouvelles d'Alsace, Jean-Paul Blatz apprend la révocation de l'évêque auxiliaire, Christian Kratz, "qui est prêtre dans le diocèse depuis 45 ans, qui est évêque auxiliaire depuis 22 ans".

Toujours d'après nos confrères, cette décision est en lien avec sa gestion de l’affaire Emmanuel Walch, remontant à la fin des années 2000. Ancien aumônier du collège épiscopal Saint-Étienne, ce dernier s'est suicidé le 1er janvier dernier sur fond d'accusation de viol sur une ancienne élève de 15 ans.

Outre le fond, que Jean-Paul Blatz conteste auprès de Rue89 Strasbourg, c'est aussi la forme qu'il peine à digérer. Car Mgr Christian Kratz a été informé de son éviction par le biais d'une lettre glissée sous sa porte.

"On a décidé de réagir immédiatement, parce que c'était la goutte d'eau qui a fait déborder le vase", opine le président de Jonas Strasbourg.

"Deux problèmes"

Lui aussi invité sur notre plateau ce mercredi, Bernard Xibaut convient que tout n'a pas été fait dans les règles de l'art dans cette affaire. Auprès de lui, Mgr Luc Ravel a reconnu "deux problèmes".

Le premier: la révocation de Mgr Christian Kratz "devait rester en quelque sorte, dans l'immédiat, confidentielle". Quant à la lettre, "l'archevêque se rend compte que ce n'était peut-être pas la bonne méthode".

Et Bernard Xibaut de recontextualiser: "En fait, au départ, il pensait que Mgr Kratz était présent et qu'il allait pouvoir lui remettre la chose en direct. Et puis, de guerre lasse, comme il n'était pas là, il a laissé la lettre sous la porte".

Quoi qu'il en soit, le management jugé brutal de l'archevêque de Strasbourg est suivi de près par le Vatican. Si bien qu'"un évêque a été envoyé par Rome l'année dernière pour faire une enquête", relate Jean-Paul Blatz, sans que l'on ne sâche avec précision sur quoi elle porte. Et d'ajouter: "Une deuxième enquête a eu lieu en automne de l'année dernière. Et on n'a toujours pas les résultats".

Rumeur

À Strasbourg, la rumeur veut que Mgr Luc Ravel vive ses derniers jours, ou ses dernières semaines, à la tête du diocèse. Elle prend même une forme insistante. Mais en l'absence de résultats officiels, difficile pour les fidèles inquiets de retrouver un semblant de sérénité.

"C'est pesant, particulièrement pour les prêtres, ceux qui collaborent avec lui directement à l'évêché. (...) Quand les prêtres lui demandent un rendez-vous, en groupe ou tout seul, il ne répond pas. C'est ça le malaise", juge Jean-Paul Blatz.

Pas plus qu'il n'accorde visiblement de temps aux laïcs, contrairement à ses prédécesseurs, complète ce dernier.

Si le président de Jonas Strasbourg met en valeur "le très bon travail" de Mgr Luc Ravel dans la lutte contre les abus sexuels "au niveau national", il déplore "qu'il ne s'intéresse pas, même pas du tout, à ce qu'il se passe dans le diocèse depuis le début".

"Tumulte, trouble, tapage, agitation"

Les griefs portés à l'encontre de l'archevêque entraîneront-ils sa chute? Selon les échos reçus par Bernard Xibaut, un dénouement serait proche.

"Je crois savoir que le Pape a pris une décision. Je crois savoir que Mgr Ravel en a été avisé. Quelle est cette décision? Je ne le sais pas", souffle le chancelier de l'archevêché de Strasbourg, tout en confirmant que l'attente génère "une situation très inconfortable".

"J'appelle de tous mes vœux une clarification rapide", lance Bernard Xibaut. Un message qui s'adresse au Vatican, mais aussi au président de la République, l'Alsace étant sous régime concordataire.

"Il n'est pas possible qu'un des deux de manière indépendante de l'autre prenne une décision", rappelle-t-il.

Quant à l'archevêque, doit-il prendre la parole? "C'est une question très délicate que se posent maintenant un petit peu les collaborateurs", souffle Bernard Xibaut. Considérant "le tumulte, le trouble, le tapage, l'agitation qui est né dans le diocèse de tout cela", il penche plutôt pour un "oui".

Florian Bouhot Journaliste BFM Régions