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Bas-Rhin: enquête et interrogations sur un possible "Madoff alsacien"

(Photo d'illustration)

(Photo d'illustration) - AFP

Laurent Raynaud, 59 ans ans, est accusé d'avoir abusé de la confiance de 27 personnes en leur soutirant au total plus de cinq millions d'euros. Au tribunal de Saverne, dans le Bas-Rhin, il s'est excusé devant plusieurs des victimes.

Une trentaine de victimes, cinq millions d'euros de préjudice et les "lacunes" d'un dossier à combler: la justice a ordonné de nouvelles investigations sur les activités troubles d'un possible "Madoff alsacien", par comparaison avec le financier et escroc américain Bernard Madoff, décrit comme "intelligent" et "manipulateur".

Matinée froide et neigeuse à Saverne (Bas-Rhin), au nord-ouest de Strasbourg. A la barre du tribunal correctionnel, Laurent Raynaud, 59 ans, fait face aux trois juges. Sa mise est banale, pull vert, pantalon beige. Les faits reprochés le sont moins: "abus de confiance" au détriment de 27 personnes, pour certaines des amis, disséminés en France. Préjudice estimé: plus de 5 millions d'euros.

"Ennuis financiers considérables"

L'homme, jugé libre, s'était lui-même dénoncé en 2020 dans des courriers à ses victimes, expliquant avoir abusé de leur confiance en proposant de placer leur argent pour le faire fructifier via sa société d'investissement. Selon lui, les sommes étaient en fait englouties dans son autre structure de conseils (administratifs, financiers) pour personnes en situation de deuil, qui sera liquidée. Le manège aurait duré de 2008 à 2020.

Jeudi, seules quatre victimes étaient à l'audience. "Je veux qu'il rende des comptes", explique une quinquagénaire alsacienne, qui veut rester anonyme. Elle a confié les yeux fermés à Laurent Raynaud, ancien salarié du secteur bancaire, "un ami depuis 2001", "quelques centaines de milliers d'euros", explique-t-elle, très émue, à des journalistes.

"C'était très carré", "des documents comme dans une banque" et des relevés mensuels, "on ne pouvait pas imaginer l'escroquerie", explique celle qui n'a jamais revu son argent et fait face "à des ennuis financiers considérables".

"Il est très intelligent et très manipulateur", assène-t-elle.

Emotion palpable également chez Michèle, 54 ans, qui se considérait aussi comme une amie du prévenu. Elle lui avait confié plusieurs centaines de milliers d'euros. Un jour, "il m'a appelée : 'j'ai un aveu à te faire, je vous ai escroquées. Je vais te faire une reconnaissance de dettes pour que tu puisses aller à la gendarmerie'..."

Les parties civiles critiquent l'enquête du parquet

Avocats de parties civiles, Bernard Boulloud et Gloria Delgado-Hernandez ont tiré à boulets rouges sur l'enquête pilotée par le parquet de Saverne, longue de trois ans mais selon eux très insuffisante: courte et tardive garde à vue en août 2022, aucune perquisition au domicile du prévenu ni exploitation de ses relevés de compte...

"Nous n'avons été tenus au courant de rien", a fulminé Mâitre Boulloud, dont les clients, un couple de retraités, ont perdu 110.000 euros. Certes, Laurent Raynaud a remboursé 1,5 million d'euros. Mais il reste dans la nature plus de 3,5 millions dont on ne sait rien, s'étonne l'avocat.

Le prévenu, qui n'a pas un train de vie dispendieux, "a pu (en) faire disparaître une grosse partie", peut-être dans des "paradis fiscaux", et qui pourrait réapparaître "un jour ou l'autre", a avancé Maître Boulloud.

Gloria Delgado-Hernandez, qui représente huit victimes ayant perdu plus d'un million d'euros, s'est étonnée que "d'anciens gendarmes" aient travaillé avec le prévenu dans sa société de placement, l'un des points aveugles de l'enquête selon elle. Mêmes interrogations sur les notaires qui ont présenté Laurent Raynaud à leurs clients; les banques qui ont reçu les fonds incriminés ou encore les experts-comptables du prévenu: n'ont-ils rien vu de suspicieux?

Le parquet assure avoir "bossé"

La charge agace la vice-procureure Constance Champrenault: l'enquête comporte des "lacunes" mais "on a bossé!", "le 'bashing parquet de Saverne', j'en ai un peu marre!"

Reste que pour les avocats Bernard Boulloud et Gloria Delgado-Hernandez, trop de zones d'ombre demeurent dans ce dossier impossible à juger en l'état: ils réclament avec les quatre autres avocats des parties civiles un supplément d'information. Accordé par la présidente Violette Pradarelli, qui désigne la division économique de la section de recherches de la gendarmerie du Grand Est pour enquêter sur commission rogatoire.

Laurent Raynaud, qui ne s'est pas exprimé sur le fond (lui et son conseil Alexandre Muschel n'ont pas souhaité répondre à la presse), a redit "pardon" aux "personnes (qu'il a) trahies" et qu'il a "fait souffrir". Celui qui a depuis remonté une structure d'aide administrative ou fiscale s'expliquera lors d'une nouvelle audience le 5 décembre. Et sera confronté aux résultats d'investigations cette fois bien plus poussées.

G.G. avec AFP