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Vie numérique

Manifestants: quels sont vos droits numériques?

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Avec la rentrée sociale habituelle et la multiplication éventuelle des manifestations en France, notamment en lien avec le mouvement "Bloquons tout", la question des droits numériques se posent, notamment en cas de contrôle policier.

Mouvement des Gilets Jaunes, manifestations contre la réforme des retraites, rassemblements politiques du 1er mai, ou encore phénomènes liés aux réseaux sociaux comme "Bloquons tout" et le 10 septembre, les Français ne manquent pas d'occasion ces dernières années de faire entendre leurs voix dans les rues.

Des manifestations qui peuvent parfois s'accompagner d'un dispositif policier particulièrement important. Mais face à un contrôle de police, une arrestation ou une perquisition, quels sont vos droits numériques?

Signe d'une réelle préoccupation des personnes qui entendent légitimement user de leur droit à manifester, les réseaux sociaux regorgent de vidéos qui conseillent de ne pas prendre son téléphone lors d'une manifestation afin d'éviter qu'il ne soit saisi. D'autres conseils plus ou moins fondés ou informés incitent à la paranoïa ou découragent éventuellement de descendre dans la rue

Pour répondre aux questions essentielles qui touchent à nos droits dans le cadre d'une manif', Tech&Co s'est entretenu avec maître Antoine Chéron, avocat spécialisé en droit numérique, afin d'apporter tous les éléments de réponses nécessaires dans le cas où vous seriez confronté à un contrôle de police.

Tech&Co: Est-ce que la police a le droit de fouiller mon téléphone lors d’un contrôle ou d’une garde à vue?

Antoine Chéron: En principe, non. Les téléphones et ordinateurs sont considérés comme des « systèmes privés » protégés par le droit au respect de la vie privée. Les policiers ne peuvent pas consulter leur contenu, ni répondre à vos appels à votre place.

Deux cas particuliers sont à distinguer:

  • La saisie

Un téléphone peut être saisi s’il constitue l’objet ou l’instrument d’une infraction. Par exemple : téléphone volé, utilisé pour acheter de la drogue ou blanchir de l’argent. Dans ce cas, un procès-verbal de saisie doit être remis au propriétaire dans un délai de 48 heures.

  • L’enquête de flagrance

Traditionnellement, en cas d’enquête de flagrance (infraction constatée en direct, par ex. violence lors de manifestations), la police pouvait fouiller sans autorisation judiciaire.

Mais un arrêt majeur de la CJUE (Cour de justice de l'Union européenne) en 2024 a changé la donne : désormais, l’accès au contenu d’un téléphone portable nécessite l’autorisation préalable d’un juge ou d’une autorité administrative indépendante, y compris en cas de flagrance.

Une fouille effectuée sans cette autorisation peut être déclarée nulle, et les preuves obtenues écartées de la procédure.

Suis-je obligé de donner mon code ou mes mots de passe ? Qu’est-ce que je risque si je refuse?

Le refus de communiquer son code de déverrouillage, lorsqu’un téléphone est soupçonné d’avoir servi à commettre un crime ou un délit, peut constituer un délit autonome et indépendant de l’infraction principale (article 434-15-2 du Code pénal).

Plusieurs conditions doivent être remplies:

  • Le téléphone doit être susceptible d’avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un délit;
  • Le téléphone doit être équipé d’un moyen de cryptologie;
  • La demande de communication du code doit prendre la forme d’une réquisition judiciaire délivrée par un officier de police judiciaire qui informe la personne gardée à vue des conséquences pénales du refus de communiquer son code (Cass. Crim. 13 octobre 2020).

Mais ces principes doivent être appréhendés avec prudence. L’arrêt récent de la CJUE de 2024 précise en effet que l’accès au téléphone doit avoir été autorisé par une juridiction indépendante. La police ou la gendarmerie, seules, n’auraient donc pas ce pouvoir.

Les autorités peuvent-elles consulter mes messages, mes photos, ou mes réseaux sociaux sans mon accord?

Sans autorisation judiciaire: non. Ce serait une atteinte disproportionnée à la vie privée.

Avec autorisation judiciaire: oui. Le procureur ou le juge d’instruction peut réquisitionner directement auprès des plateformes (Facebook, Whatsapp, etc.) des copies de conversations, connexions et métadonnées.

Si le téléphone est saisi et déverrouillé légalement, son contenu peut également être analysé.

Est-ce légal d’analyser les données de géolocalisation des manifestants à partir des antennes relais?

Oui, mais uniquement dans le cadre d’une procédure pénale et avec l’autorisation d’un magistrat. Il s’agit d’une réquisition de données de connexion (articles 60-1 et suivants du Code de procédure pénale).

Les enquêteurs peuvent demander aux opérateurs la liste des téléphones connectés à une antenne précise, à une date et une heure données.

Une utilisation préventive ou massive contre des manifestants pacifiques serait juridiquement contestable, car contraire au principe de proportionnalité et à la liberté de manifester, protégée par la Constitution.

Est-ce qu’utiliser un téléphone "jetable" ou désactivé change vraiment les choses légalement?

Légalement, utiliser un téléphone prépayé "jetable" n’est pas interdit.

En pratique, si l’usage est destiné à masquer une activité illégale, cela peut être interprété comme une intention frauduleuse et renforcer les soupçons des enquêteurs.

Sylvain Trinel