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Manifestations: la police peut-elle forcer un gardé à vue à déverrouiller son smartphone?

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Une manifestante comparaissait lundi après avoir refusé de livrer le code secret de son portable. Cette demande est-elle légale? La jurisprudence n’est pas si claire.

Parmi toutes les comparutions immédiates des personnes interpellées lors de la manifestation contre la réforme des retraites de jeudi dernier, le cas de Camille rapporté par Le Monde est particulièrement notable. Jugée devant le Tribunal de Paris lundi 27 mars, cette jeune libraire était accusée de "participation à un groupement en vue de la préparation de violences ou de dégradations" pour avoir supposément jeté des projectiles sur les policiers. L’étude des vidéos de caméra surveillance n’a pas permis de l’incriminer pour ces faits.

Mais la justice lui reprochait également d’avoir refusé, alors qu’elle était au commissariat, de donner ses empreintes digitales et le code de son téléphone. Une obligation très encadrée, qui divise parfois les juristes.

"Convention secrète"

L’article 434-15-2 du code pénal affirme que le refus de communiquer son code de déverrouillage de téléphone peut constituer un délit, passible de trois ans d’emprisonnement et de 270.000 euros d’amende. Le cas est identique en cas de verrouillage par un moyen biométrique (empreintes digitales ou reconnaissance faciale).

La remise du code de déverrouillage est cependant conditionnée à plusieurs critères. "Tout d’abord il faut que le policier s’assure que le téléphone ait une convention secrète de déchiffrement", détaille Maître Julien Brochot, avocat au barreau de Paris.

Concrètement, la police doit ainsi démontrer qu'il est impossible d'exfiltrer des données exploitables et non chiffrées, sans déverrouillage du mobile. Ce qui est le cas pour l'immense majorité des mobiles: iOS et Android chiffrent une large partie des données, dès lors que l'utilisateur configure un code de verrouillage ou une empreinte digitale/faciale. La simple présence d'une application chiffrée - comme WhatsApp - suffirait par ailleurs à établir le fait que certaines données soient chiffrées.

Dans le cadre d’une affaire où un trafiquant de stupéfiants était mis en cause pour avoir refusé de transmettre le code de deux de ses smartphones, un arrêt de la Cour de Cassation du 7 novembre 2022 a ainsi statué que le code de téléphone constituait bien une convention secrète.

"Si c’est un portable aux données non chiffrées, le code de déverrouillage ne constitue pas une convention secrète, la personne est légitime à ne pas le communiquer", fait remarquer l’avocat au barreau de Paris.

"Préparation de crime ou de délit"

Mais Maître Julien Brochot mentionne une deuxième condition : "Il faut que le chiffrement du smartphone ait été susceptible d’avoir permis de préparer, de faciliter ou de commettre un crime ou un délit."

Dans le cas de Camille, il lui était à l’origine reproché des violences policières, à titre individuel. Or, "jusqu’à preuve du contraire, on n’attaque pas ou on ne frappe pas un policier avec des données chiffrées, estime l’avocat. Ce serait différent lorsqu’on parle de violences en réunion avec plusieurs personnes, et que les échanges téléphoniques aient pu permettre de se réunir pour commettre des violences."

Dans un avis écrit pour la revue AJ Pénal en novembre 2022, l’officier de gendarmerie et doctorant en droit Matthieu Audibert relève d'autres obligations pour imposer le déverrouillage du mobile. Tout d'abord, la rédaction d'un procès-verbal de réquisition, puis le fait de communiquer le fait qu'un refus puisse être caractérisé comme un délit.

Par ailleurs, la Cour de cassation estime que l'analyse d'un téléphone est assimilable à une perquisition, qui ne nécessite donc pas la présence d'un avocat, mais impose en revanche une procédure contradictoire: l'extraction des données doit se faire en présence du ou de la propriétaire de l'appareil.

De son côté, Camille estimait qu’il s’agissait d’"une grave atteinte à [sa] vie privée, surtout dans une situation où [elle] n’avai[t] rien fait". Elle a finalement été relaxée pour un vice de forme dans le PV d’interpellation. Le procureur ayant été tardivement informé du placement en garde-à-vue, celle-ci a été annulée par son avocate. L’étudiante parisienne aura passé deux jours en garde-à-vue et deux autres en détention provisoire à la prison de Fleury-Mérogis.

Lucie Lequier