"Tiktok a détruit une partie de ma vie": les témoignages glaçants des utilisateurs du réseau social

"On a reçu un flot de témoignages", lance Laure Miller, rapporteure de la commission d'enquête parlementaire sur les effets psychologiques de Tiktok sur les mineurs.
A l'occasion de l'audition des responsables Tiktok France ce jeudi 12 juin, la députée de la Marne a souhaité citer plusieurs témoignages anonymes d'utilisateurs qui ont écrit à la commission. L'objectif? Rendre compte des effets parfois dévastateurs de la plateforme sur les jeunes, et particulièrement les moins de 18 ans.
Tech&Co reprend ici les témoignages cités par la députée.
"J'ai moi-même été pris dans la spirale de Tiktok en 2020 d'abord par curiosité, puis par habitude, puis par automatisme", précise ainsi Thibaut*. A l'époque, le jeune homme est à peine âgé de 15 ans. "Ce swipe a été plus addictif que tout ce que j'ai connu auparavant." Pendant un an et demi, Thibaut est coincé sur Tiktok. Mais ce n'est que lorsqu'il tombe en dépression qu'il "mesure pleinement la violence de ce système."
"Ce qui était un divertissement est devenu un piège"
"L'algorithme a amplifié mon état en m'inondant de contenus en lien avec ma détresse. Il savait exactement ce que je ressentais et me le servait en boucle. Ce qui était un divertissement est devenu un piège. j'ai mis des mois à m'en sortir, explique-t-il.
Manon*, elle aussi, a découvert Tiktok à ses 15 ans. "Lorsque j'ai découvert Tiktok, c'était une application pleine de bonne humeur, de créativité et d'humour. Mais au fil des années, cette atmosphère s'est peu à peu dégradée", observe-t-elle. "Aujourd'hui, Tiktok est saturé de contenus violents, dégradants, sexualisés ou tout simplement toxiques."
Selon la jeune femme, désormais âgée de 20 ans, des vidéos avec des personnes dénudées pullulent sur la plateforme. Les discours racistes, sexistes et discriminants sont légion, les violences verbales ou physiques sont souvent tournées en dérision. Enfin, elle pointe des tendances qui prônent des standards irréalistes de beauté.
"Personnellement, le flot de contenus centrés sur le corps, l'apparence ou la compétition sociale m'a profondément affecté. J'ai développé des complexes, une mauvaise image de moi-même et même des idées noires", liste-t-elle. "Ce n'est pas une image positive. C'est devenu une pression constante".
"Il se passe des choses graves"
Cette évolution, Nadège* l'a également remarqué. "Depuis deux ans, il se passe des choses graves", note la tiktokeuse. Au programme? Du blanchiment d'argent, de la prostitution, du harcèlement ou de l'intimidation.
De son côté, Aurore* s'est réfugiée sur l'application de vidéos courtes après sa prépa. "Tiktok est devenu un endroit où je pouvais éteindre mon cerveau", regrette-t-elle. "Tiktok a détruit une partie de ma vie", ajoute Jeanne*. "Voir toutes ces filles si belles me faisait complexer. Voir les jeunes de mon âge sortir, je les enviais tellement. (...) Je passais ma nuit dessus."
Certains parents sont également très inquiets. C'est le cas de Pierre*, père de deux adolescentes. "Je vois bien comment Tiktok et son écosystème sapent la motivation, l'ambition et l'esprit critique de nos filles", détaille le père de famille. "Tout est lié. Les publicités pour les vapoteuses, l'hyperconsommation avec Shein, le langage appauvri ou les comportements violents (...) Elles finissent par vivre par procuration, à travers des mises en scène déconnectées du réel", poursuit-il, qualifiant la plateforme de "modèle de vie toxique".
Le hic, c'est que tous les parents sont loin de s'emparer des sujets numériques. C'est en tout cas le constat que dresse Sylvie*, enseignante. "Il est urgent de protéger nos enfants de cette addiction, leurs parents n'étant pas toujours conscients de l'emprise de Tiktok sur leur façon de penser ou de ne plus penser par eux-même."
Pourtant, les conséquences de cet algorithme peuvent être dramatiques. En France, une dizaine de famille ont assigné Tiktok en justice, accusant le réseau social d’avoir encouragé leurs enfants à se suicider en les exposant à des contenus dangereux.
Une volonté de limiter les réseaux
Sur la question de l’interdiction des réseaux sociaux avant un certain âge, "on voit également qu'il y a un souhait de la part des jeunes de pouvoir poser une limite", expliquait déjà Laure Miller début juin. Une volonté qui se ressent aussi dans les témoignages. "Je pense que Tiktok devrait être limité aux moins de 14 ans, mais avec des sessions de discussion en classe", conseille Jeanne. Un avis partagé par Mathieu*.
"Tiktok devrait être supprimé ou limité aux moins de 16 ans en France", propose le jeune homme de 15 ans. "Tous les jeunes sont sur Tiktok, ils sont influencés par ce réseau social. (...) Cela nous rend complètement faible mentalement."
"Nos discussions sont fondées sur Tiktok grâce aux refs (références, ndlr). Si tu n'as pas Tiktok, ça reste difficile de sociabiliser avec les autres. Aujourd'hui, je vous demande de faire quelque chose de concret sur l'accès limité de Tiktok", exhorte-t-il.
"Ces témoignages sont importants", reconnaît Marlène Masure, responsable du contenu EMEA, directrice exécutive du Développement Commercial et Marketing. "Mais on a tous les jours des témoignages incroyables de créateurs qui nous expliquent que Tiktok les aide, qu'ils ont pu lancer leur business."
"On a développé beaucoup d'outils", poursuit-elle. "Tiktok a été la première plateforme à développer la limite de 60 minutes de temps d'écran pour les mineurs. On a également sophistiqué les outils de contrôle parental (...) l'enjeu est de continuer à le faire savoir."
"Grâce au DSA, nous avons des nouvelles règles pour l'ensemble du secteur. Nous avons des responsabilités et des obligations", appuie Marie Hugon, responsable des enquêtes réglementaires européennes. "Plus de 1.000 personnes travaillent sur le DSA. Aujourd'hui il y a un cadre, il faut laisser du temps au droit. (...) Mais nous n'oublions en aucun cas ces témoignages."
* Les prénoms ont été modifiés