"On ose plus": comment Marseille est devenue la nouvelle "capitale de la bouffe" en France

Alexandre Mazzia dans son restaurant à Marseille en 2018. - CHRISTOPHE SIMON / AFP
À Marseille, "vous enlevez l'OM, il reste la gastronomie". Pour le chef trois étoiles Alexandre Mazzia, la cité phocéenne attire de plus en plus de visiteurs venant découvrir la cuisine locale et pas seulement le Vieux-Port ou le stade Vélodrome.
Pour Jean-Pierre Cassély, guide-conférencier à Marseille, une dégustation s'impose lorsqu'il fait découvrir la ville aux touristes: "Je m'arrête systématiquement devant les Navettes des Accoules." L'occasion d'expliquer aux touristes l'origine de ce célèbre biscuit, typique de Marseille.
"Il y a un vrai attrait pour la gastronomie marseillaise. Par exemple, les Aixois viennent au restaurant à Marseille alors qu'à une époque c'était l'inverse", souligne Alexandre Mazzia, le chef du restaurant AM, auprès de BFMTV.com.
Ça n'a pourtant pas toujours été le cas: "Les Parisiens ont inventé les bistrots, les Lyonnais, les bouchons, donc il y a cette espèce d'idée de dire qu'ils savent manger alors que les Marseillais, en termes de perception, ne sont pas connus pour cela", analyse Ézéchiel Zérah, journaliste gastronomique originaire de la cité phocéenne.
Le "déclic" post-Covid
La période post-Covid a été comme "un déclic" pour la gastronomie marseillaise. "Tout le monde a senti, et moi dans le Panier, que la ville elle 'boomait'", se souvient le journaliste. Si la ville a attiré notamment de nombreux Parisiens en quête d'une vie différente en dehors de la capitale, la gastronomie s'est aussi révélée au-delà des frontières marseillaises. "Après le Covid, à Marseille, on parlait de plus en plus de bouffe", poursuit Ézéchiel Zérah, interrogé par BFMTV.com.
C'est à ce moment, en 2021, qu'Alexandre Mazzia intègre le cercle fermé des chefs ayant trois étoiles au Guide Michelin. Ça "contribue à en faire une ville de gastronomie, à faire de ce domaine un point d'ancrage assez fort" pour Marseille, défend-il.
L'arrivée de nouveaux habitants a pris part à cette demande supplémentaire: "Parfois, ces gens là, ils ouvrent aussi directement des restaurants. Il y a des personnes qui investissent aussi." Cette dynamique est renforcée par l'arrivée d'une vague de nouveaux chefs dans la ville.
"Il faut faire attention à la gentrification, voir comment tu accueilles toute cette énergie qui est positive, mais comment tu ne perds pas le patrimoine local qui est peut-être moins 'glamour' et qui a moins les codes", analyse le journaliste marseillais.
Alexandre Mazzia a également vu arriver ces dernières années "beaucoup de jeunes" à la tête de restaurants marseillais qui sont venus lui demander des conseils. Un attrait que le chef comprend: "Marseille, c'est la ville qui m'a accueilli, où j'ai rencontré ma femme. Il y a, ici, un environnement agréable, une qualité de vie incroyable."
L'un des derniers exemples de réussite en date: la pâtisserie végétale Oh Faon qui a reçu le prix Pâtisserie de la responsabilité éthique et environnementale, attribué par La Liste, en septembre dernier.
"Sur la pâtisserie, on n'est pas une ville sucrée, mais ça commence à le devenir un petit peu. Par exemple, on parle beaucoup du vegan. Il n'y a qu'une seule pâtisserie vegan à Marseille et c'est celle dont on parle le plus en France actuellement", se satisfait Ézéchiel Zérah.
"On peut tout faire"
Si l'offre se développe, celle-ci reste forcément moins forte comparée à Paris ou à Lyon, compte tenu notamment du nombre d'habitants. "Paris reste le centre névralgique de la cuisine en France, en termes d'offre, c'est surdimensionné", reconnaît Ézéchiel Zérah. "Effectivement, l'offre est moins forte à Marseille, mais on a davantage le goût de l'aventure."
"À Marseille, il y a un climat avec des propositions de produits qu'il n'y a pas forcément ailleurs. Il y a une forme de liberté, de se dire que tout est possible", confirme Alexandre Mazzia dont l'établissement figure dans le top 100 des meilleurs restaurants du monde.
"On peut tout faire. Alors qu'à Paris ou dans d'autres villes, il y a une forme de mimétisme", souligne le chef marseillais rejoint par Ézéchiel Zérah selon qui, "à Paris, il y a beaucoup de choses, mais beaucoup de choses plutôt identiques. À Marseille, on a des choses qui ne se ressemblent pas."
C'est pour mettre en avant ce patrimoine gastronomique que le journaliste marseillais s'est lancé, il y a deux ans, dans l'écriture de ce qui s'apparente à une véritable encyclopédie. Au fil des 375 pages, Marseille, un jour sans faim (édition Hachette cuisine) mêle recettes, bonnes adresses, anecdotes ou encore histoires sur le patrimoine marseillais méconnu et parfois oublié.
"J'aime dire que Marseille est l'autre capitale de la bouffe (avec Paris, même si les Lyonnais vont froncer les sourcils)", est-il écrit dans l'introduction de ce livre.
La gastronomie inscrite dans l'histoire
"Marseille a été longtemps une capitale mondiale de la faïence et ça, on l'a oublié, par exemple. On n'est pas parti de rien concernant la gastronomie, il n'y a pas de page blanche", explique le journaliste Ézéchiel Zérah qui s'est entouré d'une équipe d'une trentaine de personnes pour mener à bien la réalisation de ce livre.
"L'artisanat est important, il contribue à la réussite de la ville et à la gastronomie avec les potiers et les céramistes", approuve Alexandre Mazzia. L'idée de ce livre est de "recontextualiser l'histoire de la gastronomie marseillaise" et de "ne pas s'arrêter uniquement aux dernières années avec l'arrivée de nouveaux chefs", précise Ézéchiel Zérah.
En 2019, il s'était ainsi lancé dans une série de chroniques sur les camions à pizza, véritable patrimoine marseillais, à travers un compte dédié sur le réseau social Instagram.
Ce livre tient aussi à casser quelques idées reçues que les non-Marseillais peuvent avoir en tête. "On pense que Marseille est une ville où l'on mange que du poisson, mais c'est une ville qui est très viandarde", souligne-t-il dans son livre.
"C'est une ville qui est shootée à l'huile d'olive, c'est vrai, mais si c'est le royaume de la chantilly, ce n'est pas pour rien. On est une population qui adore la crème et le beurre."
Dans Marseille un jour sans faim, Ézéchiel Zérah qualifie ainsi la chantilly de "madeleine de Proust" pour les Marseillais, mais qui gagne encore à être connue auprès des touristes.
Face à ce vaste patrimoine culinaire, Alexandre Mazzia affirme sans détour que "Marseille est une ville gastronomique". "Même si j'ai eu des propositions dans d'autres villes, pour rien au monde je quitterai Marseille. L'histoire de ma vie est ici", complète-t-il auprès de BFMTV.com
Pour continuer à mettre en avant cette gastronomie en dehors des frontières marseillaises, le journaliste Ézéchiel Zérah lance la création d'un média "pour poursuivre ce qui a été fait dans le livre".