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INFO BFMTV. L’extradition de Félix Bingui, chef présumé du clan marseillais Yoda, pourrait prendre entre "six et huit mois"

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INFO BFMTV. Félix Bingui a été interpellé le 8 mars dernier au Maroc, mais sa remise aux autorités françaises risque de prendre encore plusieurs mois. Plusieurs questions juridiques se posent.

Interpellé au Maroc début mars, l'extradition vers la France de Félix Bingui, chef présumé du clan marseillais du nom de Yoda, -lancé dans une guerre sanglante avec une autre équipe de narcotrafiquants marseillais de la DZ Mafia-, pourrait prendre entre "six et huit mois", selon une source proche de l'affaire à BFMTV.

Dès le lendemain de son arrestation, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin avait réagi sur X: "Un des plus grands narcotrafiquants marseillais a été arrêté au Maroc. Bravo aux policiers qui poursuivent sans relâche le combat contre le trafic de drogue".

Pas de procédure simplifiée

"Un grand coup est porté aujourd’hui au narcobanditisme grâce à notre coopération avec les autorités marocaines, que je remercie", avait-il ajouté, saluant aussi le retour au beau fixe de la coopération judiciaire entre le Maroc et la France.Sur l’antenne de RMC, le 20 mars, le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti avait assuré que Félix Bingui était "en passe d’être extradé. On va tout faire pour qu’il le soit".

Pour autant, l’extradition de celui qui est surnommé Le Chat n’a pas encore eu lieu.

"S’il est extradé au bout de six mois, c’est que les choses seront allées vite", souligne Me Philippe Ohayon, avocat de Félix Bingui et fin connaisseur de la procédure en matière d’extradition.

"Il n’y a pas de procédure simplifiée avec le Maroc. Il faut déjà que la demande fasse l’objet d’un avis favorable de la cour de cassation de Rabat. Ensuite, il faut un décret d’extradition pris par le Roi du Maroc. C’est un pays souverain. Même lorsque la personne accepte son extradition, la procédure peut prendre du temps".

En termes d’extradition, le Maroc et la France ont signé une convention, le 18 avril 2008, à Rabat. Depuis plusieurs années, les échanges entre les deux pays sont récurrents, notamment en matière de la lutte contre le terrorisme et la traque de trafiquants de drogue français, partis en cavale de l’autre côté de la Méditerranée.

La question des "narchomicides"

Une collaboration, considérée comme "incontournable", entrecoupée de période de refroidissement, voire de gel, comme en 2014 lorsqu’un magistrat parisien avait voulu entendre Abdellatif Hammouchi, chef du contre-espionnage marocain, alors visé par une plainte pour torture et complicité de torture. La brouille entre le Maroc et la France avait alors duré un an.

Félix Bingui, 33 ans, également surnommé "Féfé", a été interpellé sur la base d’un mandat d’arrêt d’un juge d’instruction marseillais pour "importation de stupéfiants en bande organisée, transport, détention, acquisition, cession de stupéfiants, association de malfaiteurs (…), blanchiment et non justification de ressources", avait précisé le parquet de Marseille dans un communiqué.

Pour l’heure, aucune mention n’est faite aux 49 "narchomicides" -le nouveau vocable pour parler de règlements de comptes sur fond de trafic de stupéfiants- qu’aurait engendré la guerre entre les clans Yoda et de la DZ Mafia dans les Bouches-du-Rhône et en Espagne en 2023.

Pour autant, Félix Bingui pourra-t-il être renvoyé devant une cour d’assises, si des éléments tangibles de son implication dans l’un de ces meurtres sont réunis? Pour répondre à cette question, il faut se pencher sur un mécanisme juridique particulier: le principe de spécialité.

"Un contrat conclu entre deux États"

Prévu par l’article 696-6 du code de procédure pénale, c’est un principe cardinal de l’extradition, qui a pour but d’éviter que l’État requis soit trompé sur les raisons pour lesquelles l’État requérant sollicite la remise d’un suspect.

L’article 696-6 prévoit précisément que "l’extradition n’est accordée qu’à la condition que la personne extradée ne sera ni poursuivie ni condamnée pour une infraction autre que celle ayant motivé l’extradition et antérieure à la remise". Ce principe figure expressément dans l’article 8 de la convention d’extradition signée entre le Maroc et la France au printemps 2008.

Mais les avocats d’un autre narcotrafiquant marseillais, du nom de Kamel Meziani, condamné à 14 ans de prison pour trafic de drogue, estiment que ce principe de spécialité a été bafoué par la justice française, à plusieurs reprises, dans le cadre de l’extradition de leur client du royaume chérifien, en décembre 2019.

"Si d'aucuns se félicitent de la fluidité de la coopération franco-marocaine, il faut rappeler qu'une extradition est un contrat conclu entre deux États", pointent Mes Keren Saffar, Thomas Bidnic et Raphaël Chiche.

"Méconnaître cette règle de la spécialité, en outrepassant l'accord donné par les autorités marocaines, constitue une violation d'un principe d'ordre public, aux conséquences diplomatiques fortes."

Appel de sa condamnation

Présenté comme le patron d’un vaste trafic de drogue au sein de la cité des Oliviers A, située dans les quartiers Nord de Marseille, Kamel Meziani, 39 ans, a été reconduit en France sur la base de deux mandats d’arrêt délivrés par les autorités judiciaires françaises.

Le premier pour son implication présumée comme "auteur" dans un double meurtre et une tentative de meurtre sur le parking d’un restaurant, le 21 octobre 2016, dans le 14e arrondissement de la cité phocéenne. Le second pour sa participation à un trafic de drogue dans les Bouches-du-Rhône, entre les années 2013 et le mois d’octobre 2016.

Il a été condamné à 30 ans de réclusion criminelle, en février 2023, après que les faits pour lesquels il a été extradé ont été requalifiés en "complicité de meurtre en bande organisée". Il a fait appel de cette condamnation.

De même, pour les faits de trafic de drogue qui lui sont reprochés, Kamel Meziani, alias "Souris", un surnom qu’il réfute, a vu les lieux d’infraction étendues à "l’Île-de-France" et est dans l’attente de son procès.

"Notre client a été extradé pour répondre d'un trafic de produits stupéfiants perpétré à Marseille et ne peut pas être jugé pour un trafic distinct commis en région parisienne", dénoncent ses avocats.

Une détention illégale?

Me Raphaël Chiche cite encore l’exemple d’un autre de ses clients, extradé du Maroc en janvier 2022, pour "une tentative de meurtre en bande organisée" à l’Ile Rousse (Haute-Corse) et qui s’est vu placé sous le statut de témoin assisté à son arrivée en France, avant de bénéficier d’un non-lieu.

"La justice française doit se montrer à la hauteur de la confiance que lui a témoigné le Maroc, qui n'est pas sous protectorat judiciaire, au risque de fragiliser les extraditions à venir", estiment encore Mes Saffar, Bidnic et Chiche.

Ce mercredi 3 avril, la cour de cassation doit examiner un pourvoi formé par les avocats de Kamel Meziani qui veulent faire juger que "sa détention est illégale dans cette affaire de trafic de stupéfiants, en raison de la violation du principe de spécialité". Par ailleurs, le même homme a été mis en examen pour un double assassinat, en août 2021, dans la cité de la Marine Bleue à Marseille (14e).

Stéphane Sellami