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Fini les extravagances de Galliano et le sarcasme de Lagerfeld: les maisons de luxe préfèrent désormais des designers plus en retrait

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Les maisons de luxe semblent quitter la logique des créateurs-stars pour miser sur des profils toujours expérimentés, mais plus discrets et tournés vers l’expertise technique du vêtement à l'image de Jonathan Anderson et Matthieu Blazy.

Jonathan Anderson chez Dior et Matthieu Blazy chez Chanel incarnent une nouvelle ère de la mode: des créateurs discrets et centrés sur le produit, loin des stars flamboyantes qui dominaient les années 1990 et 2000 à l'image de John Galliano, Tom Ford ou Karl Lagerfeld.

Des créateurs à contre-courant des précédentes figures flamboyantes

Peu présent dans les médias ou sur les réseaux sociaux, Jonathan Anderson et Matthieu Blazy, respectivement nommés à la tête des collections de Dior et de Chanel, affichent un style décontracté avec une vie privée tenue à l'écart du public: les deux quadragénaires sont à rebours des figures flamboyantes d'hier.

Matthieu Blazy
Matthieu Blazy © Miguel Medina

À leur image, Glenn Martens, qui a succédé au fantasque John Galliano chez Maison Margiela, Michael Rider, remplaçant de l'influent Hedi Slimane à la tête de Celine, ou encore Pierpaolo Piccioli, qui prend le relais du provocateur Demna chez Balenciaga, dessinent les contours d'une génération de designers plus en retrait. "C'est un peu la saison qui récompense les bons élèves", résume Pierre Groppo, rédacteur en chef mode et lifestyle de Vanity Fair France.

"On est loin des Galliano ou Karl Lagerfeld, reconnaissables entre tous, qui étaient vraiment des entités au-dessus des marques", analyse de son côté Adrien Communier, chef de rubrique mode chez GQ France.
John Galliano
John Galliano © PHILIPPE LOPEZ

Expérience et discrétion pour mieux se concentrer sur la valeur

L'âge d'or des créateurs stars, dans les années 1990 et 2000, a vu émerger des directeurs artistiques devenus aussi célèbres que les maisons qu'ils incarnaient. Désormais, la mode revient à des créateurs davantage au service de la maison. Après plusieurs années fastueuses post-Covid, ce repositionnement intervient dans un contexte économique moins favorable. En effet, le secteur est confronté à un ralentissement de la demande, notamment en Asie, et à l'offensive protectionniste des États-Unis, qui ont imposé de nouveaux droits de douane.

Sac Lady Dior par Jonathan Anderson, 2025
Sac Lady Dior par Jonathan Anderson, 2025 © Jonathan Anderson

"Les marques cherchent à recréer de la valeur. Elles ont besoin de légitimer leur position en retrouvant une vraie valeur ajoutée", observe Alice Feillard, directrice des achats homme des Galeries Lafayette.

"C'est exactement ce que demande aujourd'hui le client", poursuit-elle, moins de show et plus de style, "la prise de parole se fera sur l'histoire des maisons, leur expertise technique et le produit en lui-même."

A noter cependant que cette nouvelle ère axée sur la sobriété ne diminue en rien le génie de leurs illustres prédécesseurs. A l'image de John Galliano qui transformait chaque défilé Dior en spectacle théâtral, entre inspirations de la Révolution française et carnavals vénitiens tandis que Karl Lagerfeld proposait des podiums ou se dévoilaient trains miniatures, fusée géante ou encore supermarchés ultra réalistes.

La starification, un levier désormais réservée à la marque

Dans ce contexte, Jonathan Anderson et Matthieu Blazy apparaissent comme des choix stratégiques. En parfaite rupture mais en ayant les codes et en maîtrisant l'héritage.

"Tous deux partagent une approche fondée sur la culture, la technique et l'intelligence du vêtement, avec une vision artistique inscrite dans le temps long, pas dans le buzz" explique Sophie Abriat, autrice spécialiste de la mode et du luxe.

S'ils sont relativement peu connus du grand public, leur parcours parle pour eux. Avant d'être nommé à la tête des lignes homme, femme et haute couture de Dior, le Nord-Irlandais Jonathan Anderson a déjà fait ses preuves au sein de LVMH. À la tête de la marque espagnole Loewe ces onze dernières années, il en a fait une des plus grosses réussites du groupe de luxe, sans oublier l'ascension de sa propre griffe JW Anderson.

Loewe dévoile une capsule dans laquelle les personnages des films de Miyazaki prennent vie.


Eva Jacquot
Loewe dévoile une capsule dans laquelle les personnages des films de Miyazaki prennent vie. Eva Jacquot © Brightcove

Le Franco-Belge Matthieu Blazy, quant à lui, a participé au regain de popularité de la griffe italienne Bottega Veneta (groupe Kering), dont il a été le directeur artistique de 2021 à 2024, donnant un sens du mouvement et de l'audace au cuir tressé caractéristique de la griffe italienne. Des profils expérimentés dont "l'objectif n'est pas tant de faire la révolution que d'avoir un propos cohérent, authentique et fort, qui résonne à la fois par rapport à la maison et à l'évolution des consommateurs", souligne Serge Carreira, professeur affilié à Sciences Po Paris et spécialiste de l'industrie du luxe.

"La starification se fera plus par la marque que par les designers. C'est une très bonne chose: on a besoin de retrouver plus de créativité", se réjouit Alice Feillard.

Moins visibles, ces créateurs "n'en sont pas moins exposés", rappelle toutefois Sophie Aubriat. "On attend d'eux non seulement une vision créative forte, mais aussi des résultats financiers concrets."

Juliette Weiss avec AFP