Remaniement: à Bercy, un nouveau tandem Le Maire-Cazenave pour porter le périlleux budget 2024

Le budget de la France est désormais entre les mains de Thomas Cazenave. Jusqu'ici député de Gironde, cet ancien inspecteur des finances a été nommé jeudi ministre des Comptes publics, en remplacement de Gabriel Attal, parti prendre le ministère de l'Éducation nationale dans le cadre du remaniement du gouvernement Borne. Emmanuel Macron place à nouveau un de ses proches à ce poste-clé.
Thomas Cazenave connaît le président depuis 15 ans, ils se sont cotôyés à l'Inspection des finances puis au sein de la Commission Attali. Avant que le premier devienne directeur de cabinet adjoint du second au ministère de l'Économie en 2016.
Membre de la Commission des finances depuis son élection à l'Assemblée en 2022, Thomas Cazenave aura la lourde tâche d'épauler Bruno Le Maire pour porter le périlleux budget 2024. Fidèle macroniste, habitués des rouages budgétaires, il devra également montrer qu'il peut succéder à Gabriel Attal, qui formait avec Bruno Le Maire un tandem bien rôdé aux manettes du paquebot de Bercy.
Cazenave va porter un budget 2024 difficile
Thomas Cazenave va trouver un Bercy sous pression. Avec l'inflation et la remontée des taux d'intérêt qui a suivie, le ministère a une nouvelle urgence: désendetter le pays. La charge de la dette explose: 41 milliards d'euros cette année, 49 l'an prochain, 71 en 2027… Ce sera le plus gros budget de l'État, devant l'Éducation nationale.
La priorité du budget 2024 sera donc le désendettement, devant le financement de la transition écologique et le financement des politiques publiques prioritaires: éducation nationale, armées, intérieur, justice, enseignement supérieur et recherche.
Résultat, Bercy promet 10 à 15 milliards d'euros d'économies dans le prochain budget, et de ramener le déficit à 4,4% l'an prochain, contre 4,9% cette année. Et ce pour tenir les engagements donnés à Bruxelles d'un retour sous les 3% de déficit en 2027 et d'une stabilisation de la dette. Bercy a également annoncé il y a quelques jours 4,2 milliards d'euros d'économies dans la dépense de l'État l'an prochain. Une baisse des dépenses, c'est inédit depuis 2015.
Mais pour monter jusqu'à 10 à 15 milliards, cela nécessitera un sérieux tour de vis dans les dépenses d'assurance maladie, et donc dans le budget de la sécurité sociale. Bercy plaide publiquement pour un moindre remboursement des arrêts maladie et de certains médicaments. Des mesures forcément impopulaires et difficiles à faire accepter aux Français.
Croissance à l'arrêt et économies en vue
Enfin, le prochain budget intervient dans un contexte où la croissance est désormais presque à l'arrêt. Certes, la France évite la récession, mais elle surnage à peine au-dessus de 0%. Les prévisions de Bercy sont de 1% pour cette année et de 1,6% l'an prochain. Bercy les réactualisera à la rentrée lors de la présentation du budget. Mais avec une croissance si faible, le gouvernement ne peut plus compter, comme cela a été le cas en 2021 et 2022 après le Covid, sur des surplus de recettes liées à une activité économique meilleure que prévu.
Pour boucler le prochain budget, puisque le gouvernement peut moins compter sur les recettes, il devra donc s'attaquer aux dépenses. En faisant des économies. Et aussi, très possiblement, en repoussant des baisses d'impôts annoncées : la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE, 4 milliards restants), et 2 milliards pour les ménages.
Bercy et le gouvernement devront aussi faire face lors de l'examen du budget à l'Assemblée à de nouvelles pressions pour augmenter les impôts ou réduire les niches fiscales. Pressions de la Nupes bien sûr, mais aussi de sa propre majorité, dont certains députés, y compris parmi les plus loyaux à l'exécutif, poussent en ce sens. L'an dernier, le Modem avait insisté pour une taxe sur les super-dividendes.
Cette année, dans le cadre du projet de loi industrie verte, certains élus Renaissance poussaient pour "verdir" le CIR. Le rapport Pisani-Ferry sur le financement de la décarbonation propose aussi d'instaurer un "ISF vert". Bercy y a opposé une fin de non-recevoir, mais beaucoup de députés vont probablement s'en saisir à l'Assemblée.
Bercy propose aussi de supprimer un certain nombre de niches fiscales "brunes" (sur l'automobile et le gazole non routier) pour financer le projet de loi industrie verte. Ces mesures budgétaires sont évidemment très impopulaires et seront discutées dans le prochain budget. Bercy sera sous forte pression sur ces articles.
Un budget déjà battu en brèche par les oppositions
Enfin, priorité aux économies oblige, il n'y aura plus dans ce budget de mesures de pouvoir d'achat face à l'inflation, comme les remises carburant, les chèques énergie exceptionnels, les indemnités inflation. Le bouclier tarifaire sur l'électricité va s'éteindre progressivement. Bref, fini les "cadeaux" aux Français.
En résumé pour le prochain budget: fortes pressions financières pour faire des économies impopulaires, fortes pressions politiques pour augmenter les impôts, et très peu de marge de manœuvre pour faire les baisses d'impôts promises. Un budget très compliqué à défendre et à manœuvrer pour le nouveau ministre des Comptes publics, et sûrement le plus compliqué pour Bruno Le Maire depuis son arrivée à Bercy il y a 6 ans.
D'autant que les oppositions ont d'ores et déjà fait savoir qu'elles ne voteraient pas le budget, quel qu'en soit le contenu, comme l'an dernier. Une nouvelle avalanche de 49.3 pourrait donc s'abattre à l'Assemblée cet automne pour faire adopter les budgets de l'État et de la Sécurité sociale. Avec, comme toujours, le risque qu'une motion de censure soit adoptée, et que le gouvernement tombe, si suffisamment d'élus LR la vote.