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Pourquoi la France connaît son pire niveau de déficit hors période de crise

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Si le pays a déjà connu quelques fois des comptes publics aussi dégradés, ce n'était jamais arrivé encore en période de croissance et de recul du chômage. La crise inflationniste et la hausse des dépenses des collectivités déjouent tous les pronostics depuis deux ans.

Cette fois il y a le feu aux finances publiques. Alors que le pays n’a toujours pas de gouvernement, un document du ministère de l’Economie pointe une nouvelle et inquiétante dérive des déficits publics.

Après le dérapage de 2023, le déficit public est parti pour de nouveau se creuser. Selon le document budgétaire dévoilé par Bercy à quelques députés, il atteindrait 5,6% du PIB contre une anticipation à 5,1%

Si rien n'est fait pour corriger la trajectoire, c’est même à 6,2% qu’il flamberait en 2025 contre 4,1% visé par le gouvernement.

Un déséquilibre des comptes publics au-delà de 4% du PIB, la France en a déjà connu. À deux reprises, si on ne prend que le solde primaire (hors charge de la dette) et trois fois si on prend le solde global. Mais il s'agissait à chaque fois de périodes de très forte dépression économique. En 1993, quand le PIB reculait de 0,6% dans un contexte de récession globale suite à la crise financière de 1987. Puis en 2009 et 2010 dans la foulée de la crise des subprimes. Et enfin bien sûr en 2020 avec le Covid.

Mais le déficit actuel est inédit. Le PIB français a progressé plus qu'attendu au deuxième trimestre et la croissance devrait s'établir selon les prévisions à 1,1% sur l'ensemble de l'année. Par ailleurs les chiffres du chômage se sont améliorés en 2024 avec une baisse du taux à 7,3% de la population active, quasiment son niveau le plus bas depuis 40 ans. Difficile dans ce contexte d'affirmer que la France est en crise, ce qui expliquerait la dégradation des comptes publics.

Et pourtant l'état des comptes publics laisserait penser que le pays traverse une des pires récessions des dernières décennies.

Des recettes fiscales en berne

Le gouvernement avance deux raisons pour expliquer ce déséquilibre. D’abord des recettes fiscales moins bonnes que prévu, et ce, pour la deuxième année d'affilée. Voilà deux ans maintenant que l'élasticité des recettes par rapport à l'activité atteint des niveaux hors norme. Concrètement cela veut dire que la croissance augmente plus vite que les recettes fiscales attendues. Ce qui est en théorie très rare puisque sur de longues périodes, le niveau d'élasticité est à 1. Depuis deux ans, il est sous les 0,5.

Pour quelle raison? Parce que de gros pourvoyeurs de rentrées fiscales ne sont pas au rendez-vous. La consommation ne reprend pas, ce qui handicape les recettes de TVA. Idem pour l'immobilier et le bâtiment. L'atonie du secteur depuis plus de deux ans plombe les recettes et les comptes publics. Enfin, il y a la rentabilité des entreprises qui a été atteinte du fait de la hausse des coûts et notamment des salaires, ce qui a amputé les recettes d'impôts sur les sociétés.

Aux racines de ces déconvenues fiscales, on retrouve évidemment l'inflation. La hausse des prix a entamé les marges des entreprises, freiner la consommation et occasionné la hausse des taux d'intérêts qui ont a leur tour anesthésié l'investissement, particulièrement dans l'immobilier.

Le phénomène se retrouve d'ailleurs dans toute l'Europe avec un déficit moyen dans la zone euro qui s'est creusé à 3,6% du PIB en moyenne. Treize pays avaient un déficit inférieur à 3% du PIB en 2023. Même la très rigoureuse Allemagne a vu son déficit public grimper à 2,5% du PIB, soit 4 points de plus qu'en 2019 (le pays avait un solde positif cette année-là).

Si le déficit français est plus important c'est que d'une part il partait de plus haut et que d'autre part il n'y a pas eu de maîtrise des dépenses alors que l'inflation reculait.

Principalement dans les collectivités territoriales comme les communes et les départements. Bercy souhaitait conditionner en début d'année ses transferts budgétaires aux collectivités à des objectifs de réductions de dépenses, mais a essuyé un refus du chef de l'Etat. Résultat: les dépenses de fonctionnement dans les administrations décentralisées ont bondi de 7%, soit 7,5 milliards d'euros de plus depuis le début de l’année.

La France championne des dépenses publiques

Du côté de l’actuel gouvernement démissionnaire on a déjà engagé plusieurs milliards d'économies, mais qui restent encore insuffisante pour rétablir la trajectoire budgétaire. Ce sont 60 milliards d'euros qu'il faudrait trouver d'ici à 2025 pour atteindre l'objectif de 4,1% de déficit.

Comment redresser les comptes? Tailler dans les dépenses ou augmenter les impôts? Le tout sans gouvernement et aucune majorité absolue à l'Assemblée. La tâche s'annonce impossible.

La logique économique serait de s'attaquer aux dépenses. La France est de loin le pays d’Europe qui le niveau le plus élevé de dépenses publiques. Selon Eurostat, elles atteignaient 58,3% du PIB en 2023, soit près de 10 points au-dessus de la moyenne européenne. Pour le chef de l'État, cette piste a jusqu'à présent été écartée. Dans l'esprit d'Emmanuel Macron, le modèle de protection sociale français est soutenable en augmentant le taux d'emploi et en menant une politique pro-business.

Dans un contexte inflationniste et avec un accès au crédit compliqué, cette politique a montré ses limites en termes d'équilibre budgétaire.

La part des dépenses publiques dans le PIB est en France la plus élevée d'Europe.
La part des dépenses publiques dans le PIB est en France la plus élevée d'Europe. © BFMTV

L’autre solution consisterait à augmenter les recettes, donc l'impôt. Cela passerait par des suppressions des crédits d'impôts, des hausses de taux de TVA, de nouvelles tranches d'impôts sur le revenu ou encore une plus forte taxation des transmissions. Les idées ne manquent pas.

Cela consiste in fine à augmenter le taux de prélèvement obligatoire en France. Or pour rappel, là encore le pays se démarque au niveau européen avec la pression fiscale la plus élevée. En 2022, selon l'Insee, le taux de prélèvement était de 48% contre 41% en moyenne en Europe. La hausse de la fiscalité n'étant pas sans conséquences sur l'activité et donc les recettes fiscales.

La France a le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé d'Europe.
La France a le taux de prélèvements obligatoires le plus élevé d'Europe. © BFMTV
Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco