"Trop d'impôt tue l'impôt": cette maxime économique se vérifie-t-elle dans la réalité?

En cas d'arrivée à Matignon, le NFP ne risquerait-il pas d'atteindre un point de rupture en augmentant les impôts? La question a été posée à Marine Tondelier mercredi soir à l'occasion de la grande soirée consacrée aux élections législatives sur BFMTV.
La représentante du Nouveau Front populaire a notamment été interrogée sur un risque "d'effet Laffer" en référence à cette courbe arquée selon laquelle les recettes fiscales diminueraient au-delà d'un certain taux d'imposition. À partir de ce taux, les contribuables préféreraient moins travailler ou se soustraire à l'impôt via l'optimisation ou l'évasion fiscales.

Dans son programme, l'alliance de gauche prévoit de revoir le barème d'impôt sur le revenu sur 14 tranches avec un taux marginal d'imposition particulièrement élevé sur les très hauts revenus, mais aussi de rétablir l'impôt sur la fortune.
De telles mesures pourraient-elles aboutir au passage de la France du mauvais côté de la courbe de Laffer? La question refait souvent surface lorsque des politiques fiscales volontaristes sont envisagées bien que cette courbe, dessinée à la va-vite il y a 50 ans par Arthur Laffer, un conseiller de Ronald Reagan, n'ait jamais trouvé d'application concrète.
Un effet Laffer difficile à cerner au niveau macroéconomique
Selon l'économiste Alexandre Delaigue, il faut distinguer deux cas de figure pour déterminer si la courbe de Laffer s'observe réellement dans les faits. Lorsqu'elle concerne un impôt individuel et ponctuel comme la taxe sur les cigarettes, il est possible de constater qu'à partir d'un certain seuil, la consommation de cigarettes baisse effectivement, ce qui est l'effet désiré de la fiscalité sur le tabac. En revanche, le professeur à l'université de Lille rappelle qu'une baisse des recettes fiscales sur les cigarettes peut aussi dissimuler un effet non désiré à savoir le développement du trafic vers lequel s'orienteraient les consommateurs.
Mais la courbe de Laffer est nettement plus complexe à envisager au niveau macroéconomique à travers une pression fiscale globale qui réduirait l'activité économique et baisserait les recettes fiscales.
"Il y a énormément de paramètres qui rentrent en compte et on ne peut pas isoler la pression fiscale comme sur un seul produit ciblé tel que les cigarettes, explique Alexandre Delaigue. Plein de facteurs influencent l'activité économique dans un pays."
Il prend notamment l'exemple connu de la Suède où une baisse des tranches d'imposition a mené à une hausse des recettes au début des années 1990. "En réalité, c'était le cumul de plusieurs réformes dans un contexte économique où plusieurs facteurs se sont produits en même temps", souligne-t-il.
Effet revenu et effet substitution
Depuis le dessin d'Arthur Laffer, plusieurs économistes ont tenté de déterminer le taux d'imposition maximum pour les hauts revenus. En France il y a une dizaine d'années, certains spécialistes proches de Thomas Piketty étaient parvenus à une estimation autour de 70% mais avec une marge d'incertitude particulièrement élevée.
Et pour cause, ce "taux de bascule" "va être différent quand les gens ont la possibilité de changer leurs comportements et de réduire leur taux d'imposition", signale Alexandre Delaigue.
"Quand ça va toucher des types de revenus sur lesquels il n'y a rien à faire pour tenter d'y échapper, l'effet Laffer sera plus petit et moins important, détaille-t-il. Mais quand c'est lié à quelque chose qui détermine votre activité comme les heures de travail, vous pouvez décider de moins travailler."
"L'effet Laffer dépend d'un effet revenu et d'un effet substitution. L'effet revenu va plutôt agir dans ce sens: je travaille et comme je suis taxé, mon revenu a baissé donc je vais travailler plus pour compenser cette perte. L'effet de substitution fonctionne dans le sens inverse: je travaille, je suis taxé donc je vais faire autre chose pour diminuer le poids de cette taxe."
Plutôt que le "taux de bascule" de la courbe de Laffer, le professeur à l'université de Lille estime qu'il faut surtout déterminer "le bon montant des dépenses publiques": "On peut se poser la question des différents moyens pour atteindre ce niveau de dépenses publiques, des différents niveaux et différentes formes de fiscalité pour l'atteindre. De manière générale, un impôt forfaitaire est considéré comme préférable du point de vue des incitations à travailler car on vous a prélevé un certain montant et tout ce que vous gagnez au-dessus vous revient. Mais ça pose d'autres questions en matière d'équité car il n'est donc pas progressif."