Plus de 4.000 dollars l'once pour la "relique barbare": pourquoi on emploie souvent cette expression pour désigner l'or

C'est une expression que l'on voit souvent. L'or est une "relique barbare". Il suffit de taper les deux termes associés dans Google pour s'en convaincre ou de faire un tour sur BFM Bourse où pas plus tard que cette semaine, le journaliste utilisait cette périphrase de "relique barbare" comme un synonyme admis de l'or. Alors que le métal précieux bat record sur record et dépasse désormais les 4.000 dollars l'once (une unité de mesure de 31 grammes qui au passage vient de France), d'où vient cette expression de "relique barbare"?
L'origine est assez facile à débusquer et est d'ailleurs bien connue des férus d'économie. Elle est extraite de "A Tract on Monetary Reform", un essai de l'Anglais John Maynard Keynes publié en 1924.
"In truth, the gold standard is already a barbarous relic", peut-on y lire.
"En vérité, l’étalon-or est déjà une relique barbare", dans la langue de Colbert.
Évidemment, sous sa plume, l'expression est très péjorative. La relique renvoie à une vieillerie, un fétiche, un gri-gri. Et l'adjectif "barbare" à un monde non civilisé. En voyant les cours de l'or grimper au-delà du raisonnable, on pourrait donc penser que Keynes, disparu il y a près de 80 ans, ne serait pas tendre avec notre époque.
C'était l'étalon-or, la "relique"
Mais rien n'est moins sûr. Car dans son texte, l'économiste qui a donné son nom aux politiques de relance par la dépense publique ne critique pas l'or en tant que tel mais plus précisément l’étalon-or, c’est-à-dire le système monétaire selon lequel la valeur des monnaies était directement liée à une quantité fixe d’or. Keynes n'avait pas une dent contre l'or en tant que métal qui sert de valeur refuge. Ce qu'il jugeait absurde c'était le système monétaire fondé sur lui.
Pour comprendre sa raillerie, un petit rappel historique s'impose. Depuis l’Antiquité, les monnaies avaient une valeur intrinsèque, généralement un métal précieux comme l'or et l'argent. Mais quand les États ont commencé à utiliser du papier-monnaie comme les billets, une question cruciale est apparue: quelle est la valeur de ce morceau de papier? Pour que les citoyens accordent leur confiance à un morceau de papier, il fallait qu’il représente une certaine quantité d’or ou d’argent. L'idée étalon-or est donc une promesse de convertibilité.
Au début de l'ère industrielle, l'étalon-or a repris de la vigueur avec la multiplication des échanges et le développement du commerce international. Le Royaume-Uni adopte un étalon-or officiel en 1821, suivi de la France et de l'Allemagne. Petit à petit se met donc en place le Gold Standard dit classique et à la fin du XIXème siècle, l'ensemble du monde industriel adopte l'étalon-or. À ce moment-là, une livre sterling ou un franc représentent une quantité fixe d’or. Ce qui offre de nombreux avantages:
- Les taux de change sont fixes entre monnaies, car toutes sont liées à l’or.
- Ça facilite les échanges commerciaux et les investissements internationaux.
- Ça encourage la discipline budgétaire car les pays ne peuvent pas imprimer plus de monnaie qu’ils n'ont d’or pour la garantir.
- Enfin, ça limite potentiellement l'inflation car on ne peut pas imprimer plus de billets que ce que l'on détient d'or.
Le général de Gaulle partisan de l'étalon
Une valeur accordée à l'étalon-or qui marquera longtemps les imaginaires. Le général de Gaulle par exemple, dans une conférence de presse de 1965, déclara sa flamme à la "relique barbare".
"En vérité on ne voit pas qu'il puisse y avoir de critère, d'étalon autre que l'or. L'or qui ne change pas de nature, qui se met indifféremment en barre, en lingot ou en pièce, qui n'a pas de nationalité, qui est tenu universellement comme la valeur inaltérable et fiduciaire par excellence."
Le chef de l'Etat français était très influencé par l'économiste Jacques Rueff, grand opposant de Keynes et fervent supporter de l'or.
Mais alors pourquoi diable Keyne abhorrait cet étalon-or qui finira d'ailleurs par disparaître en 1971 avec la fin des accords de Bretton Woods? Parce que ce système produisait, à ses yeux, ses propres maladies économiques: déflation, chômage et récession.
Concrètement, sous l’étalon-or, la quantité de monnaie en circulation dépendait de la quantité d’or détenue par le pays. Donc, si un pays perdait de l’or (à cause d’un déficit commercial par exemple), il devait mécaniquement réduire sa masse monétaire, baisser les salaires et réduire les dépenses.
Deuxième carence du système: il empêchait les gouvernements d’agir. Rédhibitoire pour l'apôtre de la relance par le déficit. Pour Keynes, un État devait pouvoir utiliser sa politique monétaire (et budgétaire) pour relancer l’économie. C’est d'ailleurs le cœur de son futur ouvrage The General Theory publié en 1936 entre les deux "New Deals" de Roosevelt aux États-Unis.
Socialement injuste
Avec l’étalon-or, cette liberté n’existait pas. La Banque centrale devait défendre la parité or, pas l’emploi. Elle ne pouvait pas baisser les taux d’intérêt librement. Une critique qui est formulée de nos jours aux banques centrales lorsqu'elles privilégient la maîtrise de l'inflation à l'activité économique mais qui était bien plus saillante à l'époque de l'étalon-or.
Pour rappel, Keynes éreinte la "relique barbare" en 1924 à une période où l'étalon-or tente d'être imposé à nouveau après avoir été suspendu 10 ans plus tôt pour financer la guerre de 14-18.
Ultime critique de l'économiste anglais et non des moindres: le maintien d’une monnaie "forte" adossée à l’or servait surtout les banquiers, rentiers et investisseurs internationaux puisque leur patrimoine était protégé. En revanche ce système était potentiellement nuisible aux salariés (en cas de perte d'activité) voire aux producteurs et aux investisseurs qui avaient un accès contraint aux financements.
En résumé: socialement injuste et économiquement absurde. Pour lui, l’étalon-or "enchaînait les peuples à un métal inutile" et appartenait à une époque où les économies étaient gouvernées par la rareté physique du métal précieux, et non par les besoins réels d'une économie dominée par la croissance.
En d'autres termes, une "relique barbare".
