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"L'Europe se refait la crise des années 30": peut-on comparer la situation actuelle avec la Grande dépression?

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Pour l'analyste Emmanuel Sales, la politique économique menée actuellement en Europe n'est pas de nature à relancer l'activité économique. Peut-on pour autant la comparer avec celle des années 1930?

Une industrie à l'arrêt, une croissance atone, des perspectives moroses dans les services… L'Europe semble toujours empêtrée dans la crise inflationniste post-Covid et ce alors même que l'inflation a reflué déjà depuis plusieurs mois. Comment expliquer un tel marasme alors même que l'économie américaine, elle, a su parfaitement rebondir ?

Pour Emmanuel Sales, le président de la Financière de la Cité, cette apathie économique n'aurait rien de transitoire mais serait le signe d'un crise structurelle majeure.

"L'Europe est en train de se refaire la crise des années 1930", assurait-il ce lundi sur BFM Business.

"Depuis 2017, l'Allemagne est en récession industrielle, la zone euro se porte mal, on est dans une phase de contraction. Et pour répondre à une crise de cette nature, comme dans les années 30, nous avons décidé de restreindre nos budgets, nous avons les taux d'intérêt réels les plus élevés du monde occidental, bref de nous serrer la ceinture à tous les niveaux."

Analyse alarmiste ou inquiétante similitude?

S'il est vrai que l'Europe patine (croissance de 0,5% en 2023; estimation à 0,9% en 2024 par la BCE), la situation économique est difficilement comparable avec celle de la Grande dépression. Entre 1929 et 1931, la chute de la production industrielle avait atteint des niveaux invraisemblables en Europe (de même qu'aux États-Unis) : -42% en Allemagne, -33% en Belgique, -27% en Italie et -23% en France.

Dans l'Hexagone, le PIB s'était contracté de 11% entre 1929 et 1932, rappelle Jean-Charles Asselain, l'auteur de l'Histoire économique de la France depuis 1918.

Emmanuel Sales : "L'Europe est en train de se refaire la crise des années 1930, et cela ne va pas être un chemin de roses"
Emmanuel Sales : "L'Europe est en train de se refaire la crise des années 1930, et cela ne va pas être un chemin de roses"
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Si la croissance est molle dans la zone euro depuis 2017, principalement d'ailleurs du fait de l'Allemagne, le choc n'a rien de comparable avec celui des années 30 et le trou d'air de 2020 a rapidement été rattrapé.

Pas le même taux de chômage

Idem sur le front de l'emploi. Le taux de chômage dans la zone euro (6,4% de la population active en juillet) n'a jamais été aussi bas. Pour rappel, durant la dépression des années 30, le manque d'emploi était un fléau que les États échouaient à enrayer.

Selon les économistes Galenson et Zellner, les taux moyens de chômage entre la décennie 1920 et la période 1930-1938 étaient passés de 9,2% à 21,8% en Allemagne, de 8,3% à 24,3% aux Pays-Bas, de 2,4% à 14% en Belgique ou encore de 3,8% à 10,2% en France. Une explosion de nature à expliquer les troubles politiques et sociaux de cette période des années 1930. Ce qui est loin d'être le cas dans l'Europe d'aujourd'hui.

Si la comparaison est volontairement provocatrice, c'est surtout sur la réaction des États et des autorités financières qu'insiste Emmanuel Sales. "L'Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, la France… Tous à l'époque se sont engagés dans des politiques de contraction, ça a été les décrets loi de Laval, ça a été la politique de déflation du chancelier Brüning en Allemagne", rappelle l'analyste.

"Ces politiques ont eu pour seul effet de faire exploser le chômage avec les conséquences que l'on sait."

Il est vrai qu'au milieu des années 30, de nombreux États européens s'étaient lancés dans des politiques de rigueur. En France, le président du Conseil Pierre Laval avait réduit en 1935 la dépense publique de 10% tout en augmentant les impôts et en menant une politique de hausse des taux. Comme aujourd'hui cela faisait suite à une très forte augmentation de la dépense publique dans la première moitié des années 30 pour relancer l'économie et un fort endettement public. La dépenses publique grimpera à 21,5% du PIB en 1936 (contre 57,3% en 2023).

Des taux d'intérêt toujours trop élevés?

S'il est vrai que la politique monétaire européenne actuelle est "ouvertement contractionniste", comme l'explique Emmanuel Sales, elle fait d'une part suite à une période de forte hausse des prix (ce qui n'était pas le cas dans la France déflationniste des années 30) et surtout elle a déjà commencé à se desserrer avec deux baisses des taux directeurs de la BCE depuis juin.

Pour le président de la Financière de la Cité, c'est le rythme très lent de baisse des taux d'intérêt qui serait la cause de la stagnation européenne.

"Pour assurer un développement stable sur le long terme, les estimations récentes qui ont été faites du taux naturel en zone euro par le patron de la Réserve Fédérale de New York montre un taux de -0,70 alors qu'on est à +3,5%. Et après on s'étonne du marasme dans certains secteurs comme l'immobilier."

L'analyste soulève finalement la question du mandat d'une BCE cantonnée à la stabilité des prix en zone euro au détriment parfois de l'activité économique. Une critique partagée par de nombreux économistes et dirigeants européens.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco