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TOUT COMPRENDRE - Pourquoi et comment le gouvernement veut malgré tout réformer les retraites

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Alors qu'Emmanuel Macron a réitéré sa volonté de réformer les retraites dès 2023, les syndicats assurent qu'il n'y a pas d'urgence. Les discussions, qui pourraient débuter dès cet automne, s'annoncent houleuses.

Emmanuel Macron veut accélérer le pas. Après un début de second mandat compliqué, le chef de l’Etat entend repasser à l’offensive en menant à bien toute une série de réformes. À commencer par la plus sensible d’entre elles: celle des retraites.

Avorté en raison de la crise sanitaire, le projet de système de retraite universel par points n’est plus à l’ordre du jour. Le président a défendu durant la dernière campagne présidentielle le relèvement de l’âge légal de départ, à 64 ou 65 ans, contre 62 ans aujourd’hui. Mais quelques mois seulement après sa réélection, les contours de sa réforme ne semblent plus aussi clairs.

• Une réforme discutée dès cet automne?

Pour assurer l'équlibre du système, Emmanuel Macron juge, dans tous les cas, que les Français devront travailler plus longtemps. Deux options possibles pour y parvenir: un report de l’âge légal ou un allongement de la durée de cotisations pour bénéficier d’une pension à taux plein.

Quelle que soit la voie choisie par l’exécutif, le chef de l’Etat est décidé à traiter cet épineux dossier rapidement. Car selon lui, la réforme des retraites ne peut pas attendre: elle doit entrer en vigueur "dès 2023", a-t-il soutenu lundi devant les journalistes de l’Association de la presse présidentielle. Tout en insistant sur sa volonté d’agir dans "un esprit d’écoute" et de "compromis" mais aussi "sans tabou".

Le projet de réforme sera-t-il examiné dès cet automne dans le cadre du budget de la Sécurité sociale, comme certains dans la majorité le suggèrent? Cette décision "appartiendra" au gouvernement, au fond "les choses importent peu", a dit le locataire de l’Elysée. Mais en cas "d’obstruction généralisée" du budget 2023, il n’aura "aucun état d’âme à utiliser" l’article 49-3 de la Constitution qui permet l’adoption d’un texte sans vote de censure. Un recours au référendum n’est pas non plus exclu.

• Comment le gouvernement justifie la nécessité d’une réforme

Pour l’exécutif, la réforme des retraites est non seulement inévitable mais aussi prioritaire. Principal argument: du fait du vieillissement de la population, le système actuel est structurellement déficitaire. Afin de résoudre ce déséquilibre, "il n’y a pas 36 solutions. Soit on augmente les impôts, les taxes, ce que personne ne souhaite, (…) soit on laisse filer la dette, ça n’est plus possible", soit "on travaille plus", a expliqué le ministre du Travail Olivier Dussopt la semaine dernière sur France info.

Ce mardi, c’était au tour de Geneviève Darrieussecq de défendre la nécessité d’une réforme pour des raisons budgétaires:

"Je ne sais pas s’il faut précipiter les choses, mais depuis le temps que j’entends parler de réforme on ne précipite rien, et visiblement on est dans un mur budgétaire", a déclaré sur Radio J la ministre déléguée chargée des personnes handicapées. "Donc je crois qu’un jour il faut prendre des décisions qui soient des décisions courageuses et collectives (…). Il faudra certainement travailler plus longtemps, je crois que c’est du bon sens et que ça, tout le monde le comprend", a-t-elle poursuivi.

Enfin, l’objectif d’Emmanuel Macron à travers cette réforme est de dégager des marges budgétaires pour financer, sans avoir à recourir à la dette, d’autres chantiers d’ampleur jugés indispensables, dont l’autonomie, l’école ou encore la transition écologique.

• Que répondent les syndicats et l’opposition?

Avant même d’être reçus le 19 septembre prochain par Olivier Dussopt pour entamer les discussions, les syndicats ont unanimement mis en garde le gouvernement contre toute mesure sur les retraites qui serait glissée lors des débats sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale cet automne.

Une telle décision "bloquerait tous les autres chantiers", a souligné Cyril Chabanier, président confédéral de la CFTC. "Cela serait dangereux et entraînerait une forte mobilisation, des manifestations et des grèves", a également prévenu Michel Beaugas, secrétaire confédéral de FO. Même la CFDT, le plus réformiste des grands syndicats, s’y oppose: "Il y a beaucoup de sujets sur lesquels la CFDT est prête à s'engager, comme l'accompagnement des bénéficiaires du RSA ou des demandeurs d'emploi longue durée, mais la sérénité ne sera pas de mise si l'automne est perturbé par une mesure brutale", a averti Laurent Berger, secrétaire général du syndicat.

S’appuyant sur les travaux du Conseil d’orientation des retraites (COR) des derniers mois, les organisations syndicales ont affirmé à plusieurs reprises qu’il n’y avait pas d’urgence à réformer les retraites, et encore moins à les réformer pour des raisons budgétaires, le système devant revenir à l’équilibre de lui-même dans les prochaines années.

Hormis chez les LR, les principaux partis d’opposition sont eux aussi vent debout contre le projet du chef de l’Etat: "Si Emmanuel Macron, comme je peux l’entendre, se sert du budget de la Sécurité sociale pour s’attaquer aux retraites, c’est-à-dire contourner en réalité un débat véritablement sur ce sujet, il va se trouver confronté à une opposition totale de notre part", a prévenu ce mardi sur France 2 Marine Le Pen, patronne du groupe RN à l’Assemblée nationale.

Elle aussi affirme qu’"il n’y a absolument aucune urgence à s’attaquer aux retraites au moment précisément où les Français sont confrontés à des difficultés de pouvoir d’achat qui sont majeurs". A gauche, la France insoumise juge également la réforme des retraites inutile. La présidente du groupe LFI à l’Assemblée à ainsi estimé que "La Macronie (est) seule au monde dans sa lubie de casser nos retraites".

• Que dit le COR?

Alors, qui dit vrai entre le gouvernement et les organisations syndicales? Pour y voir plus clair, il faut se pencher sur les derniers travaux du Conseil d’orientation des retraites qui a rendu son rapport annuel lundi. Un document de plus de 300 pages dans lequel tout le monde y trouvera son compte…

Comme le dit le gouvernement, il est juste de dire que le système de retraites a des besoins de financement. En effet, le solde des régimes de retraite doit se dégrader "sensiblement" dès 2023 et rester dans le rouge au moins jusqu’au milieu des années 2030, au mieux, selon les experts du COR.

Les opposants à la réforme des retraites préfèrent mettre en avant les excédents dégagés en 2021 (900 millions d’euros) et 2022 (3,2 milliards attendus). Ils notent de surcroît que si le système rebasculera dans le rouge dès l’année prochaine, les déficits ne seront pas insurmontables, le COR affirmant qu’il n’y a "pas de dynamique non contrôlée des dépenses". Traduction: il n’y a pas d’urgence à réformer, martèlent les syndicats.

Le système finira même par revenir à l’équilibre à plus au moins long terme (à horizon 2070 au pire) en fonction de la conjoncture économique. Une embellie attendue en raison de la disparition de la génération du baby-boom et de l’augmentation de l’âge moyen de départ du fait de la réforme Touraine engagée durant le quinquennat de François Hollande. Cette réforme doit porter progressivement la durée de cotisation à 43 ans d’ici 2035 pour les assurés nés à partir de 1973.

Un allongement de la durée de cotisation qui produit déjà ses effets. Toujours selon le COR, l’âge effectif de départ à la retraite est aujourd’hui de 62 ans et 10 mois (pour un âge légal à 62 ans), contre 61 ans en 2008. Et il devrait mécaniquement atteindre "environ 64 ans, vers 2040, sous l’effet des réformes passées (âge et durée d’assurance) et du recul de l’âge d’entrée dans la vie active".

• Vers une accélération de la réforme Touraine?

Face au risque de grogne sociale, le gouvernement n’exclut plus de modifier son projet en renonçant à une mesure de relèvement de l’âge légal qui ferait l’unanimité contre elle. A la place, l’une des possibilités consisterait à accélérer le rythme de la réforme Touraine. En décidant par exemple que la durée de cotisation atteindra 43 ans non pas en 2035 mais en 2030, voire en 2025.

C’est précisément ce que redoutent les syndicats qui ont mis le gouvernement en garde contre une mesure d’âge "cachée" dans le projet de loi de financement de la Sécurité sociale, citant justement l’introduction d’"une accélération de la réforme Touraine".

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco