"Pas une solution miracle": pourquoi la retraite par capitalisation n'est pas si simple à mettre en place

Dans l'opinion publique, l'idée semble peu à peu faire son chemin. Pour assurer l'équilibre financier du système de retraite, près de 6 Français sur 10 (59%) seraient favorables à un système financé majoritairement par répartition mais avec une dose de capitalisation, selon un sondage Elabe pour BFMTV.
Les organisations patronales qui défendent cette proposition devraient remettre le sujet sur la table alors qu'elles se réunissent en "conclave" avec les syndicats ce jeudi 27 février pour tenter d'aménager la réforme des retraites de 2023. "En parallèle du système de répartition", il faudrait "ajouter une brique qui serait une épargne populaire, collective, mais obligatoire", suggérait déjà fin janvier le président de la CPME, Amir Reza-Tofighi.
Ce dernier veut toutefois éviter le terme "capitalisation" qui selon lui peut "brusquer" et être "parfois mal compris". Mais il s'agit bien de cela: obliger les actifs à investir une partie de leurs cotisations dans des produits financiers dont le rendement dépendra de l'évolution des marchés et des taux d'intérêt. Chaque salarié épargnerait ainsi pour sa propre retraite et les gains générés lui seront reversés à l'issue de sa carrière. "Pour un actif de 28 ans, en investissant aujourd'hui 5.000 euros puis 100 euros tous les mois sur des fonds équilibre, avec un rendement d'à peu près 5% par an, le capital sera de 105.565 euros à terme, en trente ans", illustre sur BFMTV Edouard Binet, fondateur de Peeters Patrimoine.
Comment opérer la transition?
Si la retraite par capitalisation reste taboue en France, elle existe déjà. C'est ce que proposent certains dispositifs individuels ou d'entreprise comme le Plan épargne retraite (PER). Des régimes par capitalisation obligatoire sont en outre déjà en place dans la fonction publique (retraite additionnelle de la Fonction publique), à la Banque de France, ou encore pour les pharmaciens...
Reste que faire basculer le régime général par répartition vers un régime hybride intégrant une dose de capitalisation ne serait pas une mince affaire. Avec le risque de voir "plusieurs générations de cotisants" sacrifiées pendant la période de transition, comme le relevait l'économiste Bertrand Martinot, auteur du rapport "La capitalisation: un moyen de sortir par le haut de la crise des retraites?" publié par la Fondapol.
Le passage au nouveau régime impliquerait en effet un double paiement de cotisations des actifs: un premier pour leur retraite future et un second pour financer les pensions des retraités actuels, puisque dans le régime par répartition, ce sont bien les cotisations des actifs qui payent "en direct" les pensions des retraités. À défaut, il faudrait drastiquement baisser les pensions des retraités, ce qui n'est pas vraiment plus souhaitable.
Pour éviter ces écueils, Bertrand Martinot propose que l'État intervienne dans le processus en veillant toutefois à ne pas le financer "par un surcroît d'endettement public". L'économiste suggère plutôt aux pouvoirs publics de recourir à un coktail de mesures visant à ne pas faire peser tout le poids de la transition vers la capitalisation sur les actifs:
- mobiliser les réserves actuelles du régime par répartition et les réserves du régime de retraite complémentaire Agirc-Arrco,
- sous-indexer temporairement les pensions de retraite,
- créer une contribution de l'État financée par la suppression de l'abattement de 10% pour frais professionnels des pensions de l'impôt sur le revenu,
- baisser les impôts de production pour compenser "en partie la hausse temporaire du coût du travail générée par la création de la cotisation employeur pour la capitalisation"...
Ainsi, le changement de régime de retraite "réclame nécessairement quelques sacrifices à court terme, mais permettrait à l’horizon de quelques années une baisse sensible des cotisations de retraite qui sont aujourd’hui les plus élevées de l’OCDE", assure Bertrand Martinot.
Également favorable à l'introduction d'une dose de capitalisation, le ministre de la Justice Gérald Darmanin proposait de son côté de financer la transition par la vente de participations de l'État dans certaines entreprises.
"Pas une solution miracle"
Si la transition vers un régime de retraite hybride peut avoir des avantages à long terme, "ce n'est pas la solution miracle" pour régler tous les problèmes du système à court terme, prévient sur BFM Business Emmanuel Grimaud, président-fondateur de la société de conseil Maximis Retraite. Et pour cause, la bascule et la montée en charge prendront nécessairement du temps.
"Si on voulait verser demain 30% des retraites en capitalisation cela veut dire qu’il faudrait accumuler 150% du PIB sur les fameux fonds de pension. Autant dire que ça ne se fera pas en trois ni cinq ans. (...) Il faut 30 à 50 ans pour que ça ait vraiment un impact", poursuit l'expert.
La capitalisation "ne résout pas le problème du déficit du régime général", abonde Mathieu Plane, économiste à l'OFCE. "Parce que pour les cotisants qui passent à la retraite sur un système public, il faut quand même trouver des financements. Le financement de la capitalisation, c’est un financement complémentaire pour ceux qui sont en activité aujourd’hui et qui vont avoir toute une carrière donc c’est quelque chose qu’on voit à l’horizon de plusieurs décennies. Ça ne résout pas notre problème à 2030", détaille-t-il.
Or selon la Cour des comptes, le déficit du régime de retraite devrait s'établir à 6,6 milliards en 2025 et se dégrader pour atteindre environ 15 milliards d'euros en 2035 et 30 milliards en 2045.