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Créé pour éponger les déficits, comment le Fonds de réserve pour les retraites a été détourné de son objectif initial

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Pour couvrir le coût d'une éventuelle suspension de la réforme relevant l'âge de départ à 64 ans, le Parti socialiste suggère de piocher dans le Fonds de réserve pour les retraites. Initialement conçue pour anticiper les conséquences du "papy-boom" sur l'équilibre financier du régime, cette cagnotte contribue depuis 2010 au remboursement de la dette sociale.

À deux jours du discours de politique générale de François Bayrou, les négociations entre le gouvernement et la gauche battent leur plein. Plus que le budget, c'est surtout la réforme des retraites qui semble avoir alimenté les échanges de la semaine, alors que le Parti socialiste, les Verts et les communistes ont fait de la suspension du report de l'âge de départ à 64 ans un préalable indispensable à tout éventuel accord de non-censure.

Sur Franceinfo, le chef de file des sénateurs socialistes, Patrick Kanner, a appelé vendredi à suspendre "l'application de la mesure d'âge des 64 ans pendant six mois, le temps de la renégociation de la réforme des retraites".

"Pendant plusieurs mois, on recherche une solution qui permet de faire non pas une abrogation sèche mais de changer de système", a également réclamé le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, sur TF1.

Si le gouvernement ne semble pas totalement fermé à l'idée, l'inquiétude porte sur le coût de la mise en pause de la réforme des retraites alors que le ministre de l'Économie, Eric Lombard, souhaite un effort budgétaire d'environ 50 milliards d'euros cette année. "Cela coûte un peu d'argent, entre 2 et 3 milliards d'euros" en 2025, a reconnu Patrick Kanner. La Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav) chiffrait quant à elle le coût de l'abrogation de la réforme à 3,4 milliards.

Une charge qui pourrait être supportée par le Fonds de réserve pour les retraites (FRR) qui permettrait de "faire la liaison" pendant la transition entre le système actuel et l'entrée en vigueur d'une éventuelle nouvelle réforme, a néanmoins suggéré Olivier Faure. Cette option serait théoriquement possible sachant que cette cagnotte, qui s'invite dans le débat dès lors qu'une réforme des retraites est à l'étude, dispose aujourd'hui d'un peu plus de 20 milliards d'euros. Mais c'est beaucoup moins que ce qui était prévu à l'origine. Explications.

Le FRR, une capitalisation collective pour ancitiper le "papy-boom"

Créé en 1999 par Lionel Jospin, le FRR avait initialement pour mission d'anticiper le déséquilibre financier qui se profilait avec l'arrivée des baby-boomers à la retraite à partir des années 2020. Dit autrement, il s'agissait de préparer la situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui.

L'idée de départ était d'abonder le Fonds par le produit de la privatisation d'entreprises publiques, par certaines recettes fiscales, par la vente des licences de téléphonie mobile ou encore par les excédents de certaines caisses de la Sécurité sociale. Ces ressources étaient ensuite investies dans divers actifs, de manière à constituer une réserve de 1.000 milliards de francs (150 milliards d'euros) mobilisable pour préserver l'équilibre financier du régime de retraites entre 2020 et 2040. Une forme de capitalisation pour la collectivité en somme.

En réalité, les 150 milliards d'euros ne seront jamais atteints. Dix ans après sa création, le FRR détenait un portefeuille d'actifs de moins de 40 milliards d'euros répartis entre obligation et actions.

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Le FRR pour rembourser la dette sociale

Changement de stratégie en 2010 lorsque Nicolas Sarkozy décide d'affecter le FRR au remboursement de la dette sociale et non plus à l'équilibre financier du régime de retraites. Depuis cette date, le FRR n'est plus abondé et n'est alimenté que par le rendement généré par ses actifs. 2,1 milliards d'euros y sont également prélevés chaque année depuis 2011 et versés à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades).

Ce décaissement anticipé a fait l'objet de critiques ces dernières années. D'autant que s'il était censé s'interrompre en 2024, l'amortissement de la dette sociale par la Cades a été prolongé en 2020, si bien que 1,45 milliard d'euros seront encore transférés chaque année du FRR vers la Cades jusqu'en 2033.

Dans un rapport d'information du Sénat publié en 2021, la commission des Affaires sociales regrettait que le Fonds de réserve pour les retraites conçu pour anticiper le "papy-boom" ait été "détourné de son objectif initial". Les sénateurs Monique Lubin et René-Paul Savary, auteurs du rapport, appelaient ainsi à réaffirmer la vocation du FRR et à le "redynamiser" afin de constituer "une ressource précieuse pour le financement de l'assurance vieillesse"

Selon eux, le FRR aurait pu gérer à ce jour plus de 89 milliards d'euros de réserves en l'absence de prélèvement et avec un abondement annuel de 1,5 milliard d'euros depuis 2011. Or, fin 2023, la cagnotte, ponctionné année après année, ne pesait plus "que" 21,2 milliards d'euros, malgré un rendement excellent.

"En 2023, la performance nette de tous frais du FRR est de +9,7% portée par une reprise des marchés boursiers, dans un environnement de taux d’intérêt volatiles. Cette performance permet au FRR de stabiliser son encours d’une année sur l’autre malgré le versement annuel de 2,1 milliards d'euros à la Cades", explique le Conseil d'orientation des retraites qui estime toutefois que les réserves ne représenteront plus que 15 milliards d'euros en 2033.

Un déficit de plus de 14 milliards en 2030

En moyenne depuis 2011, la performance du Fonds est de "+3,9% nette de tous frais, un niveau très supérieur au coût de la dette sociale (1,1 % sur la période), ce qui a permis au FRR de générer 13 milliards de richesse en 13 ans", rappelait également sur BFM Business Nicolas Marques, directeur général de l'Institut économique Molinari.

Selon lui, "si le FRR avait été alimenté comme le prévoyait Lionel Jospin en 1999, il détiendrait à ce stade 150 milliards de capitaux (contre 21 milliards fin 2023) et rapporterait 6 milliards de plus chaque année".

Reste qu'avec plus de 20 milliards d'euros de réserves, le FRR dispose sur le papier des ressources suffisantes pour combler le "trou" de 3 milliards qu'engendrerait une éventuelle suspension de la réforme des retraites. Mais il ne saurait régler à lui-seul le problème de financement du système de retraite dont le déficit atteindrait plus de 14 milliards d'euros en 2030, selon le président du Conseil d'orientation des retraites, Gilbert Cette. 14 milliards auxquels il faudra ajouter 16 milliards en cas d'abrogation non financée de la réforme des retraites.

https://twitter.com/paul_louis_ Paul Louis Journaliste BFM Eco