Fin des 64 ans, système à points, capitalisation... Les propositions fusent pour une nouvelle réforme des retraites

Le gouvernement Bayrou va-t-il jouer sa survie sur la question des retraites? Dès sa nomination à Matignon, le Premier ministre n'a pas hésité à remettre ce sujet brûlant sur la table. Écartant à ce stade toute suspension de la réforme de 2023 décalant l'âge légal de 62 à 64 ans, le chef du gouvernement a néanmoins invité les forces politiques et partenaires sociaux à six mois de discussion pour tenter de trouver une alternative.
Un "acte de bonne foi", selon François Bayrou, lequel juge que des "compromis" sont "possibles", à condition de "trouver des financements". Car le relèvement de l'âge légal de départ n'a pas permis de résorber le déficit du système. Pire: si les dernières projections du Conseil d'orientation des retraites (COR) faisaient état d'un déficit du régime de 0,4% de PIB en 2030, et de 0,8% de PIB à plus long terme, la situation conjoncturelle est aujourd'hui "plus défavorable" que lors de ces prévisions, si bien que "le déficit du système de retraites devrait se creuser" davantage, a prévenu lundi le président du COR, Gilbert Cette.
"Aucun tabou"
La marge de manœuvre est donc plus qu'étroite pour le gouvernement. Mais "si on trouve des compromis, alors ces compromis remplaceront l'actuelle réforme des retraites", a promis François Bayrou fin décembre sur BFMTV. C'est dans cette optique que syndicats, patronat et représentants des groupes parlementaires (hors LFI qui a refusé) défilent depuis le début de la semaine à Matignon et à Bercy.
Et à en croire les premières déclarations, le gouvernement n'écarte aucune piste: "Le Premier ministre nous a confirmé qu'il n'y aurait aucun tabou et que tous les sujets, tous les dossiers, toutes les thématiques afférentes aux retraites, y compris l'âge légal, étaient sur la table", a déclaré la secrétaire générale de la CFDT, Marylise Léon, qui a répété que le recul de l'âge de départ à 64 ans était une mesure "totalement injuste".
Il faut dire que François Bayrou a tout intérêt à se montrer ouvert tant il joue gros sur ce dossier sensible. C'est ce que lui a rappelé lundi le patron des socialistes, Olivier Faure, après avoir été reçu au ministère de l'Économie: sans "concessions remarquables" sur les retraites, les députés PS prendront leurs "responsabilités y compris par la censure", a-t-il menacé. Dans la foulée, le président du groupe socialiste au Sénat, Patrick Kanner, a assuré que le gouvernement leur avait déjà fait part "d'une proposition de modification, d'évolution de la réforme des retraites" sans entrer "dans le détail". Le signe selon lui que "la pression que nous avons mise depuis le début dans ce dossier fait bouger les lignes au sein du gouvernement et cela est tout à fait positif".
Mais quelles sont réellement les intentions de François Bayrou? Difficile d'en savoir plus à ce stade, même si certains ministres ont déjà évoqué des pistes, à l'instar des partenaires sociaux et groupes d'opposition qui entendent bien convaincre l'exécutif de reprendre leurs propositions.
La réforme de 2023 aménagée?
Si Marylise Léon affirme que le gouvernement est prêt à discuter d'un retour à l'âge légal à 62 ans, cela ne semble pas être la piste privilégiée à cette heure. Notamment parce qu'une modification de la réforme de 2023 ne doit pas "alourdir le déficit de l'assurance-vieillesse", a martelé le ministre de l'Économie, Éric Lombard. Fin décembre, la ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, défendait plutôt des "aménagements justes et raisonnables, sur deux points qui (lui) semblent vraiment très perfectibles aujourdhui", à savoir "l'usure professionnelle et les petites pensions féminines".
Des thèmes qui sont aussi chers à la CFDT. Le premier syndicat du privé entend certes "aller à la table des discussions pour poser le problème de l'injustice du décalage de l'âge légal" mais il dit aussi vouloir "porter tous les autres sujets notamment la question de la pénibilité, des polypensionnés, des inégalités femmes-hommes", avait confié Marylise Léon aux Échos.
"Le sujet doit être rouvert avec tout ce qui peut être possible et imaginable en matière de financement" et "la CFDT pose en incontournable à ces discussions d'ouvrir le sujet de la reconnaissance de la pénibilité", avait-elle ajouté. Du côté du patronat, le président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME), François Asselin, s'est dit prêt à "étudier les voies d'amélioration" de la réforme, en particulier sur l'usure professionnelle, mais "si on voulait revenir sur l'âge de départ en retraite, se poserait immédiatement la question du financement, d'autant qu'on sait déjà que l'actuelle réforme n'aura pas de point d'équilibre à partir de 2030".
Le retour de la retraite à points
Enterrée en 2020 après des mois de débats, la réforme des retraites à points pourrait-elle resurgir? Peu après sa nomination, François Bayrou a rappelé sur BFMTV être un "partisan de la retraite à points" qui offre selon lui "des possibilités de trouver des compromis". Avec ce système, il n'est plus question de trimestres. Les cotisations sont converties en points accumulés tout au long de la vie active. Une fois à la retraite, les points sont convertis en pensions en les multipliant par la valeur de service du point. Ainsi, plus le nombre de points est important, plus la pension est élevée.
En retenant cette option, le gouvernement pourra sans doute compter sur l'oreille attentive de la CFDT qui a toujours défendu l'instauration d'un système universel par points. Il y a cinq ans, l'organisation syndicale s'était toutefois opposée au projet d'Emmanuel Macron en raison de l'instauration d'un âge pivot introduisant une décote et une surcote.
La CFTC plaide, elle aussi, pour un retour de la réforme par points: "On souhaite repartir sur une réforme par points parce que le gros problème qu'on a est que la précédente réforme ne va pas suffir pour avoir un régime à l'équilibre", a soutenu sur BFMTV le président de l'organisation syndicale, Cyril Chabanier, déplorant l'accumulation de "réformes paramétriques tous les quatre ans qui ne résolvent rien" et "mettent des millions de gens dans la rue".
"Cela peut-être, pourquoi pas, une perspective", a estimé pour sa part la ministre du Travail, mais "une réforme à points, c'est entre dix et quinze ans de mise en œuvre", a-t-elle prévenu. Peu importe pour la CFTC qui juge que "même si on sait que dans les 3-4 mois de négociations on n'arrivera pas à mener cette réforme, il faut l'entamer et faire en attendant des ajustements financiers en allant voir les niches fiscales ou sociales qui pourraient permettre de récupérer les milliards pour attendre cette réforme systémique qui réglera une bonne fois pour toutes la question du financement des retraites".
Tous ne partagent pas cette idée. La CGT s'est toujours opposée à la retraite par points. Le président de la CFE-CGC, François Hommeril, a lui d'ores et déjà dit sur BFM Business mardi être "en désaccord" avec ce type de système qui "ne marche pas".
Le patronat défend la capitalisation
Après son entretien avec François Bayrou mardi, le président du Medef, Patrick Martin, a appelé à saisir l'"opportunité" de la reprise des discussions sur les retraites "pour aller très au-delà d'un simple rafistolage" en posant "beaucoup plus fondamentalement le sujet du niveau et du financement de [la] protection sociale, pas seulement des retraites".
Le patron des patrons entend ainsi proposer aux partenaires sociaux de s'interroger "sur les régimes de retraite par capitalisation". Chiffon rouge de la gauche, cette mesure est aussi défendue par la CPME et son président, François Asselin, qui propose "la mise en place d’une capitalisation collective gérée par les partenaires sociaux". Ce qui permettrait "à terme une retraite équilibrée entre le régime par répartition qu’on conserverait, complété par une capitalisation collective".
Cette piste est aussi très loin de convaincre les syndicats bien qu'ils soient dans l'ensemble d'accord pour rejeter la réforme de 2023 qui "était une mauvaise réforme", a affirmé François Hommeril. "Si on revient dessus, on y sera favorable, mais ça ne fera pas disparaître tous les problèmes. Les problèmes, c'est le taux d'emploi des seniors, la productivité du travail...", a ajouté le patron du syndicat de l'encadrement.
Selon Gilbert Cette, le taux d'emploi des 60-64 ans n'est en effet "que de 36% en France quand il est de 63% en Allemagne et 65% aux Pays-Bas". "Si nous avions en France le taux d'emploi des Pays-Bas, j'estime que les recettes publiques seraient supérieures à ce qu'elles sont d'au moins 140 milliards (d'euros) par an!", a assuré le président du COR auprès de l'AFP. Il plaide par ailleurs pour une autre mesure qui permettrait "un rendement annuel d'environ 4 milliards d'euros": la suppression de l'abattement fiscal de 10% sur les retraites. Une proposition "équitable puisque les retraites les plus modestes" qui ne sont pas imposables "ne seraient pas concernées".