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"Ma viande à hamburger est passée de 2,50 à 4 dollars": Comment l'inflation a traumatisé l'Amérique de Trump

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Malgré de bons résultats économiques et un recul récent des prix, le sentiment de baisse de pouvoir d'achat ressenti depuis 2022 a largement bénéficié à Donald Trump.

La victoire de Donald Trump à l'élection présidentielle s'est-elle jouée en 2022 lorsque les prix à la consommation ont explosé aux États-Unis et que les taux d'intérêt ont flambé pour refroidir l'économie américaine?

Pour l'investisseur et ancien journaliste américain Adam Seesel cela ne fait aucun doute. Dans une tribune publiée le 24 octobre dans le New York Times intitulé "C’est l’inflation, idiot: pourquoi la classe ouvrière veut le retour de Trump" (en référence à la formule de Bill Clinton de 1992), il décrit ses rencontres avec des Américains de la classe moyenne.

Notamment un ouvrier, George Lemley, 45 ans, qui vend régulièrement son plasma sanguin pour arrondir ses fins de mois à raison de 140 dollars les deux séances de 90 minutes.

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"Tout est outrageusement cher, je suis allé acheter un kilo de viande de hamburger, avant il me coûtait 2,50 dollars maintenant le moins cher est à 4 dollars en solde, témoigne ce travailleur du Midwest. Le pain de base, on l’avait pour 99 cents, maintenant il est à 2 dollars. On pourrait dire que ça ne coûte que deux dollars, mais c’est deux dollars par semaine, c’est huit dollars par mois."

Cet ancien électeur de Bill Clinton a donc voté Donald Trump "avec enthousiasme", comme en 2020.

"Je ne suis pas d’accord avec tout ce que dit Trump, mais je me fiche de ce qu’il dit, conclut-il. L’économie était excellente sous Trump."

Si une présidentielle américaine se gagne sur la question économique, cette élection a montré que ce n'était pas tout à fait le cas. C'est plus précisément le pouvoir d'achat et son ressenti qui sont les faiseurs de roi.

Une économie américaine en grande forme

La croissance américaine a frôlé les 3% par an de moyenne depuis 2022, le taux de chômage a fondu de près de 5 points par rapport au pic du Covid, l'IRA a généré une vague d'ouvertures d'usines inédite depuis des décennies et la productivité ne cesse de progresser outre-Atlantique quand elle stagne, voire recule en Europe. De plus les salaires y ont fortement augmenté ces dernières années et en particulier ceux du premier quintile (les bas salaires).

Si l'économie faisait l'élection alors les Américains devraient être théoriquement très satisfaits. Le vote Trump semble pourtant témoigner du contraire.

Les données macroéconomiques, l'activité, la création d'emploi ne semblent pas être perçus par les électeurs.

C'est ce qu'avait perçu dès 1997 l'économiste américain et lauréat 2013 du Nobel Robert Shiller dans un article intitulé "Pourquoi les gens détestent l'inflation".

"Il existe une riche littérature qui montre que les gens détestent l'inflation bien plus que d'autres résultats macroéconomiques négatifs, comme un chômage élevé, explique à CBS Bernard Yaros, économiste en chef chez Oxford Economics. Le chômage n’affecte qu’un sous-ensemble de l’économie, mais lorsque vous avez des périodes de forte inflation, cela affecte tout le monde."

Une inflation surévaluée

De plus l'inflation réelle est souvent surévalué par les consommateurs. Selon un sondage réalisé en août dernier aux États-Unis, 51% des Américains interrogés estimait que l'inflation était supérieure à 6% et 28% qu'elle était même au-dessus des 10% annuels, soit plus de quatre fois son taux réel au moment du sondage.

"Les gens qui ne sont pas économistes, lorsqu'ils pensent à l'inflation, pensent au niveau des prix, observe Bernard Yaros. Ils se disent 'un gallon de lait coûte 3 dollars, et non 2 dollars comme avant, et cela me dérange'".

Pour la candidate démocrate qui s'inscrivait dans la continuité de la présidence Biden, l'enjeu était de savoir si les électeurs allaient se concentrer sur les baisses récentes de prix ou si l'inflation allait laisser des cicatrices profondes. Le résultat de ce mardi a levé le doute sur cette question.

Pire encore, dans la plupart des États clés qui font l'élection, le taux d’inflation a été en moyenne plus élevée depuis 2020 que le reste du pays. En Pennsylvanie par exemple qui a concentré l'attention des candidats, l'inflation était encore de 3,4% en septembre, soit un niveau supérieur à la moyenne nationale.

Un indicateur pris à défaut

Preuve que l'inflation a été un épisode traumatique, elle a contrarié une prédiction qui s'avérait juste jusqu'alors, celle liée à "l'indice de misère". Cet indicateur informel qui mesure le bien-être économique du citoyen moyen en combinant le taux d'inflation annuel avec le taux de chômage corrigé des variations saisonnières prédit avec précision le résultat d'une élection.

Lorsqu'il monte ou se maintient à un niveau élevé (supérieur à 9% qui est sa moyenne annuelle depuis 1947), malheur à la majorité sortante. C'est ce qu'a subi Donald Trump en 2020 quand cet indice a explosé à 15%. En septembre 2024 pourtant, il est retombé à 6,5%, soit son niveau le plus bas depuis février 2020 à la veille du Covid. Mais ça ne semble avoir eu aucune influence comparé au sentiment de perte de pouvoir d'achat.

"Le pouvoir d’achat est une donnée psychologique facilement manipulable par les politiques et les acteurs du monde marchand, explique Benoît Heilbrunn, professeur de marketing à l'ESCP. La tyrannie du bien-être, la recherche du confort matériel, social et psychologique est une obsession qui oriente de nos désirs."

Et en l'occurrence ces désirs se sont majoritairement portés sur Donald Trump plus apte selon les Américains à leur redonner du pouvoir d'achat. Interrogés fin octobre (sondage YouPoll pour CBS) sur lequel des deux candidats était le mieux à même d'améliorer leur situation financière, les électeurs américains répondaient 44% Donald Trump et seulement 30% Kamala Harris. Pour les électeurs qui affirmaient que l'économie était un facteur majeur pour eux le candidat républicain avait largement leur faveur (56% contre 43% pour la démocrate).

Une confiance alimentée par un souvenir avantageux des années Trump. Toujours selon cette enquête, 62% des électeurs considère que l'économie était bonne durant son mandat contre 32% d'opinions contraires. Une période durant laquelle le pays avait pourtant traversé la pire récession depuis 1946 avec un record de 9 millions d'emplois détruits.

"Quand Trump était président, c'était l’une des meilleures périodes que nous ayons eues", conclut dans le New York Times Danielle Williams une afro-américaine qui travaille dans un discounteur de l'Indiana.
Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco