"Livret A fléché", "emprunt national"... Comment l'État peut mobiliser l'épargne des Français vers l'armement

"La patrie a besoin de vous, de votre engagement." Mercredi, Emmanuel Macron a évoqué, lors de son allocution, "de nouveaux choix budgétaires et des investissements supplémentaires qui sont devenus indispensables."
La pays envisagerait d'augmenter significativement ses dépenses en matière de défense pour faire face aux menaces de la Russie dans un contexte de nouvelle donne mondiale depuis la suspension de l'aide à l'Ukraine par les États-Unis.
Sur les réseaux sociaux, le chef de l'État a envisagé de passer de 2 à 5% du PIB les dépenses militaires de la France. Un effort colossal au regard de ce que le pays consacre depuis des années à sa défense.
"Pour donner la mesure d’un choc budgétaire de trois points de PIB en faveur de la défense, il faut avoir à l’esprit qu’une telle progression représente une somme de 90 milliards d’euros, explique Julien Damon, directeur de la société de conseil Eclairs, professeur associé à Sciences Po. Celle-ci correspond à un quart des dépenses de retraite, ou à un tiers des dépenses de santé, ou encore à l’intégralité des dépenses pour la famille et contre la pauvreté."
Où trouver ces dizaines de milliards d'euros dans un contexte de restrictions budgétaires et d'endettement public record?
D'abord les investisseurs
Pour Éric Lombard la priorité est d'abord de convaincre les investisseurs.
"C'est sur une base volontaire, expliquait ce mardi sur FranceInfo le ministre de l'Économie. On souhaite mobiliser les acteurs privés, les investisseurs, les compagnies d'assurance et les banques."
Problème: les institutions financières seraient rétives en Europe à financer canons et obus. Les normes européennes notamment celles concernant l'investissement environnemental, social et de gouvernance (ESG) font peser sur elles des risques en cas de financement d'armes dites "controversées".
Mais ce n'est pas la seule source de financement évoquée par l'exécutif. Emmanuel Macron a ainsi relancé l'idée de créer des "produits d'épargne" et de "faire appel à la nation" pour financer des programmes de défense.
Du côté de Bercy on confie travailler à des "financements innovants" pour ne pas augmenter les impôts mais on reste très vague.
Évidemment, la question de la mobilisation de l'épargne des Français refait surface. D'autant que le bas de laine n'a jamais été aussi gros. Plus de 6.200 milliards d'euros de placements financiers et un taux d'épargne qui reste à des niveaux records, à près de 18% des revenus.
C'est du côté des livrets d'épargne règlementée qu'on pourrait aller puiser. L’encours sur les deux produits les plus populaires (le livret A et le LDDS) s’élève désormais à 603,1 milliards d’euros. Est-il possible flécher les investissements des sommes de ces livrets d'épargne vers l'industrie de l'armement?
Interrogé sur le sujet, le ministre de l'Économie ne s'y montre pas favorable.
"Dans les fonds du livret A il y a déjà des investissements dans des actions de sociétés françaises et certaines comme Airbus ont une part de l'activité dans la défense, rappelle Eric Lombard. L'idée de flécher une part plus importante ne me parait pas indspensable car il y a beaucoup d'autres sources de financement."
Les banques réfractaires
D'autant que les banques y sont elles aussi réfractaires. Selon elles, le problème de l'industrie de l'armement ne serait pas l'accès au crédit mais une sous-capitalisation.
"Le financement des besoins en fonds propres de la défense ne se réglera pas en fléchant ou en piochant dans l'épargne populaire, mais en réfléchissant au moyen d'attirer des investisseurs capables de prendre du risque", assure Maya Atig, la directrice générale de la Fédération bancaire (FBF) dans Les Échos.
Envisagée en 2023 par des députés et approuvée par le gouvernement, l'idée de flécher le livret A vers des prêts au secteur de l'armement avait de plus été retoquée par le Conseil constitutionnel. Pour des questions de forme cela dit, car la mesure avait été incluse dans la loi de Finance.
Reste que cette piste ne semble pas tenir la corde. À Bercy, on envisage plutôt la création d'un livret d'épargne dédié à ce type d'investissement. L'avantage d'un tel outil c'est qu'il ferait appel au volontarisme des Français. L'inconvénient c'est qu'il n'existe pas et qu'il faudra du temps avant qu'il produise des effets.
"Le problème, c’est qu’entre le moment où vous décidez de le créer, que les banques le markètent, le packagent, et que vous collectiez l’argent, il va se passer un certain temps, estime dans Le Parisien Christophe Plassard, député Horizons de Charente-Maritime à l'origine de l'amendement "livret A" de 2023. Avec le livret A, il y a juste besoin de flécher une partie de l’argent vers la défense."
De plus, ce nouveau livret devrait avoir un rendement très attractif, supérieur aux produits règlementés actuels, pour convaincre les épargnants de basculer une partie de leurs avoirs dessus.
Un emprunt national obligatoire?
Mais le gouvernement pourrait disposer d'autres outils pour mobiliser cette épargne populaire. Si pour l'heure cela n'a pas été évoqué, il reste toujours la solution de l'emprunt national. L'État y a eu largement recours au XXe siècle pour financer notamment des politiques de relance économique.
Le dernier en date remonte à 1993 sous le gouvernement Balladur. D'un montant record de 40 milliards de francs (10 milliards d'euros actuels), il avait pour but de fournir des liquidités au Trésor afin notamment de racheter une partie de la dette sociale. Il offrait un rendement de 6% sur 4 ans à une époque où le taux du livret A était à 4,5%.
Reste enfin une solution plus radicale encore: l'emprunt national obligatoire. L'État a pu y avoir recours dans son Histoire mais généralement en période de guerre. Le dernier en date remonte toutefois à 1983 sous le gouvernement Mauroy pour financer le tournant de la rigueur.
Concrètement il s'agit d'obliger certains Français à investir dans cet outil financier plutôt que d'augmenter leurs impôts. Cet "emprunt forcé" concernait les contribuables payant plus de 5.000 francs d'impôt par an qui devaient verser 10% de leur contribution fiscale. Il avait permis de récolter 14 milliards de francs, soit l'équivalent de 5 milliards d'euros actuels. Des sommes très loin de couvrir le besoin de financement du pays en matière de réarmement.
