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Une première mondiale qui n'a pris que 20 jours: un porte-conteneurs chinois a livré l'Europe en passant par le pôle Nord (et c'est Moscou qui se frotte les mains)

Un navire sur l'océan Arctique (Photo illustration)

Un navire sur l'océan Arctique (Photo illustration) - Christopher Michel / Flickr CC

Un porte-conteneurs vient de relier la Chine à l'Europe en seulement 20 jours, en passant par la route Arctique. En évitant le canal de Suez, cette nouvelle ligne maritime chinoise, permise par la fonte des glaces, vient chambouler les grands equilibres du commerce mondiale.

C’est une première mondiale: cette semaine, un porte-conteneurs chinois a inauguré le premier trajet commercial régulier en passant par l’Arctique (proche du pôle Nord). Un raccourci permis par la fonte des glaces qui divise par deux le temps pour relier la Chine à l’Europe. Une prouesse logistique, mais surtout un symbole géopolitique fort. En toile de fond, Pékin et Moscou s’allient pour transformer l’Arctique en nouvelle artère du commerce mondial.

Parti du port chinois de Ningbo le 22 septembre, le porte-conteneurs a traversé le détroit de Bering, longé les côtes russes et atteint Felixstowe, au Royaume-Uni, lundi 13 octobre. En 20 jours seulement, ce géant de 294 mètres a avalé 8.000 milles nautiques par le nord (14.816 km). Il aurait mis 40 jours, deux fois plus, en passant par le canal de Suez. Un trajet non seulement plus court, mais aussi moins risqué qu’un passage par la mer Rouge. Ce trajet, baptisé "Arctic Express", inaugure une nouvelle ligne régulière entre la Chine et l’Europe, opérée par la compagnie chinoise Sealegend.

Un conteneur sur cinq dans le monde sur l’axe Chine-Europe

Jusqu’ici, Suez restait l’un des corridors les plus stratégiques de la planète : un conteneur sur cinq dans le monde transite sur l’axe Chine-Europe, presque toujours via le canal de Suez. Cela représente 12.000 navires par an et 700 millions de tonnes de marchandises reliant les ports chinois à Rotterdam, Anvers ou Le Havre.

Mais la fonte des glaces change la donne. Il y a dix ans, la route du Nord n’était ouverte que deux ou trois mois par an. Elle l’est désormais près de dix mois par an, le réchauffement arctique étant quatre fois plus rapide que la moyenne planétaire.

Pour la Chine, cette voie est une alternative aux axes maritimes saturés ou instables. Pékin a lancé dès 2018 sa stratégie de "route de la soie polaire". Au-delà du temps de fret gagné vers l’Europe, l’Arctique représenterait 13 % du pétrole et 30 % du gaz naturel mondial encore non découverts. La Chine a déjà investi dans des projets gaziers comme Yamal en Russie et s’intéresse aux ressources du Groenland. L’enjeu pour Pékin : sécuriser ses besoins énergétiques.

De son côté, Moscou reste incontournable dans cette région stratégique. Elle possède plus de la moitié des côtes arctiques, soit un quart des frontières de la Russie. Toute la nouvelle route passe dans la zone économique exclusive russe.

Moscou verrouille la route maritime Arctique

Autrement dit, tout navire voulant emprunter la route arctique doit obtenir une autorisation des autorités russes et doit souvent être escorté d’un brise glace russe. Par exemple, en 2022 un vraquier de 100.000 tonnes devait débourser 720.000 dollars pour bénéficier de cette escorte.

Au Club Valdaï (son Think tank) Vladimir Poutine a lancé un appel aux investisseurs :

"La Route maritime du Nord doit devenir un axe clé du corridor transarctique, de Saint-Pétersbourg à Vladivostok via Mourmansk. Elle sera l’un des moteurs de croissance majeurs, et nous invitons tous les investisseurs internationaux à rejoindre ce projet de civilisation."

Objectif  du Kremlin: atteindre 130 millions de tonnes de fret par an via l’Arctique d’ici 2035, contre 32 millions en 2020.

La nouvelle "guerre froide" du Nord

Les Etats Unis ne comptent pas rester en marge de cette zone d’influence Arctique. Le Pentagone redoute la coopération sino-russe : nouvel axe de puissance, nouvelle "autouroute" commerciale et militaire qui échapperait au contrôle occidental.

D’où la montée en puissance –discrète – des patrouilles américaines et alliées en Arctique, pour ne pas laisser Moscou et Pékin seuls dans la glace.

Donald Trump vient de signer le 8 octobre un mémorandum autorisant la construction de brise-glace américains pour renforcer la présence et la sécurité dans l’Arctique. Ce qui reste théorique, car l’état des chantiers navals américains est cataclysmique.

L’Arctique est désormais au coeur de la nouvelle doctrine stratégique américaine, qui vise à se désengager de l’Europe pour se concentrer vers ce théatre d’opération (avec l’indo-pacifique) jugé plus prioritaire.

Le Groenland, en particulier, est redevenu un enjeu majeur. Washington souhaite y établir un réseau portuaire et logistique pour sécuriser l’Atlantique Nord et surveiller la route Arctique russe.

Mathieu Jolivet