"Une politique incohérente et chaotique": 6 promesses de Donald Trump qui risquent de se heurter aux réalités économiques

Donald Trump le 7 avril 2025. - SAUL LOEB / AFP
Donald Trump et son administration l'assurent: la politique économique et commerciale des États-Unis doit bénéficier à "l'économie réelle". Et non à Wall Street donc.
Le locataire de la Maison Blanche a de multiples objectifs: baisser l'inflation, réduire les impôts en les finançant via les droits de douane, assainir les finances publiques, relocaliser l'industrie aux États-Unis ou encore produire davantage de barils de pétrole pour réduire la facture à la pompe pour les ménages américains.
Ces ambitions s'inscrivent très certainement à long terme. Mais dans l'immédiat, à court et moyen terme, les mesures décrétées par Donald Trump induisent des conséquences économiques et des réactions de marchés qui malmènent ces objectifs.
Ce qui n'est pas sans souligner des contradictions dans la politique économique du milliardaire. Et ce, même si le président américain a décrété une "pause" de 90 jours sur une partie des surtaxes douanières américaines.
Pour Stephen Innes de Spi AM, beaucoup sur les marchés financiers considèrent que la Maison Blanche présente "une politique incohérente et chaotique".
Voici un tour d'horizon non exhaustif de ces différents problèmes.
• Trump promet de lutter contre l'inflation… mais ne jure que par les droits de douane
Si Donald Trump a en partie été élu sur sa promesse de mettre fin à l’inflation, son programme économique ne semble pas vraiment adapté à l’objectif poursuivi. Au contraire, tous les économistes s’accordent à dire que les droits de douane dont raffolent le président américain ont pour effet de tirer les prix à la hausse.
Le mécanisme est le suivant: en augmentant les taxes sur les importations, les entreprises américaines paient plus cher les produits qu’elles font venir de l’étranger. Si elles veulent conserver leurs marges, ou même simplement limiter la casse, elles n’ont d’autre choix que de répercuter cette charge sur le consommateur en relevant leurs prix.
À moins que les entreprises ne décident de faire venir moins de produits de l’étranger. Mais dans ce cas, le résultat est le même. Soit elles se résignent à réduire leur offre, ce qui aurait un effet inflationniste. Soit elles décident de produire et de se fournir davantage sur le sol américain, ce qui se traduirait par un renchérissement des coûts de production... répercuté sur les prix. Sans compter qu'une telle relocalisation ne peut se faire du jour au lendemain (voir ci-dessous).
Dernière hypothèse: les entreprises étrangères qui fournissent les États-Unis pourraient consentir à des baisses de prix pour absorber une partie des droits de douane payés par leurs partenaires américains. Les dernières expériences montrent néanmoins que ce n’est généralement pas ce qui se produit. Selon des économistes de l’UCLA (Université de Californie), les droits de douane imposés par Donald Trump lors de son premier mandat envers l’Union européenne et la Chine avaient été supportés intégralement par les entreprises et consommateurs finaux américains.
• Trump souhaite réindustrialiser les États-Unis mais ça va prendre (beaucoup) de temps
Avec ses droits de douane, Donald Trump poursuit l’objectif de faire revenir les usines et surtout les emplois sur le territoire américain. “Si vous voulez un taux (de droits de douane, NDLR) à zéro, vous n’avez qu’à fabriquer votre produit ici, en Amérique”, a-t-il lancé aux industriels. Mais relocaliser la production n’est pas si simple.
Premièrement, les entreprises qui fabriquent aux États-Unis seront aussi très pénalisées par les droits de douane, car bon nombre de composants sont importés. "Les puces, le matériel, les usines de semi-conducteurs, les matières premières et bien d'autres composants de chaque appareil électronique mondial ont une chaîne d'approvisionnement principalement ancrée hors des États-Unis, en Asie", rappelle l’analyste spécialiste de la tech américaine Dan Ives.
Par ailleurs, relocaliser prendra du temps et coûtera cher. "Il faut quatre à cinq ans pour construire une usine aux États-Unis", estime l’analyste, qui précise qu’"une grande partie de la propriété intellectuelle et de la technologie qui alimente la chaîne d'approvisionnement est cimentée en Asie". Sans parler des coûts (main d'oeuvre, fiscalité) bien plus élevés aux États-Unis que dans les pays asiatiques, comme par exemple. L’analyste prend l’exemple de l’iPhone, dont le prix, s’il était fabriqué à 100% aux États-Unis, pourrait atteindre 3.500 dollars, selon ses calculs.
Un constat partagé par Anne-Laure Delatte, directrice de recherches au CNRS: "Cela demande des investissements, des infrastructures, des savoir-faire industriels souvent perdus". "À court terme, il n’y a pas de vague d’embauches à attendre", assure-t-elle dans une tribune publiée sur le site Alternatives économiques.
• Trump exige une baisse des taux de la banque centrale… mais ce n'est pas lui qui décide (et c'est compliqué)
Le lendemain de la présentation des droits de douane américains, Donald Trump a appelé le président de la Réserve fédérale (Fed), Jerome Powell, à réduire ses taux directeurs. "Baisse les taux, Jerome, arrête de faire de la politique", a-t-il précisément déclaré. Une réduction des taux directeurs aurait pour conséquence de diminuer le coût du crédit pour les ménages et les entreprises, ce qui soutiendrait la croissance. Et serait susceptible d'atténuer les potentiels impacts négatifs sur la conjoncture des droits de douane américains.
Mais la Fed n'a pas nécessairement intérêt à agir. La banque centrale américaine doit, dans son mandat, parvenir à une inflation proche de 2%. Or les surtaxes douanières imposées ou envisagées par les États-Unis risquent d'accélérer la hausse des prix aux États-Unis. Jerome Powell a lui-même souligné ce risque la semaine dernière.
"La Fed n’est pas dans l’urgence de venir au secours de l’économie du fait des risques inflationnistes. Nous pensons qu’il faudra attendre de voir la nette dégradation de l’emploi américain au deuxième trimestre avant qu’elle ne baisse ses taux à partir de cet été, et que cette baisse sera limitée par l’accélération de l’inflation sous-jacente (hors prix alimentaire et de l'énergie, NDLR) vers les 4%", explique Xavier Chapard de LBPAM.
Par ailleurs, même si Donald Trump s'en moque royalement, la Fed et son président ne sont pas censés répondre aux injonctions du président des États-Unis. Les grandes banques centrales des pays développés sont indépendantes et les dirigeants politiques n'ont (normalement) pas de levier sur leurs actions.
"L’indépendance de la banque centrale est communément admise comme un pilier des économies modernes. Hormis dans le cercle autour de Trump, il n’y a aucune volonté politique de la remettre en cause", soulignait Oddo BHF, l'an passé.
Le courtier rappelait toutefois que l'histoire fourmille d'anecdotes pas toujours vérifiables qui malmènent ce principe. "Lyndon Johnson aurait, dit-on, un jour collé au mur le président de la Fed en lui intimant d’arrêter de durcir la politique monétaire pendant que "mes gars se font tuer au Vietnam", écrivait par exemple Oddo BHF.
• Trump entend réduire le déficit mais les marchés ne les aident pas
Le secrétaire au Trésor, Scott Bessent, a une grande règle, à savoir les fameux "3-3-3". Ce qui revient à viser une croissance de 3% et un déficit public limité à 3%, tout en augmentant la production de pétrole de 3 millions de barils par jour (voir ci-dessous).
Pour le déficit, le membre du gouvernement américain a évoqué l'horizon de 2028. Ce qui suppose que les États-Unis se retroussent sérieusement les manches. Selon le Congressionnel budget office (Cbo), le déficit américain a atteint 6,4% du PIB en 2024. À titre de comparaison, le gouvernement français, régulièrement rappelé à l'ordre pour la crédibilité de ses projections, est moins ambitieux. D'un déficit de 5,8% du PIB, la France compte passer à 3% en 2029.
Logiquement, Scott Bessent compte commencer à assainir les finances dès cette année, note Deutsche Bank. Dans cette optique, le secrétaire au Trésor entend réduire les rendements des obligations américaines, notamment celui de l'obligation à 10 ans. Le but: faire baisser les coûts d'emprunt de l'État américain. En 2024, ces coûts ont atteint 949 milliards de dollars, selon le Cbo.
Problème: le marché ne l'entend pas forcément de cette oreille. Cette semaine le taux à 10 ans de l'obligation américaine sur le marché secondaire, celui où les investisseurs s'échangent les titres entre eux, est remonté en flèche. Ce rendement est passé d'environ 3,8% lundi matin à plus de 4,45% jeudi. "Le marché n'achète pas ce que vend Scott Bessent", cingle Stephen Innes, de Spi AM.
La politique de Donald Trump a amené les investisseurs à se défausser de titres de dette. Pour Deutsche Bank, une "tempête parfaite" s'est présentée aux investisseurs sur la dette américaine avec à la fois un risque d'inflation due aux droits de douane mais aussi un risque d'aggravation du déficit public. Les marchés redoutent aussi que la Chine, voire le Japon, qui possèdent respectivement 760 milliards de dollars et plus de 1.000 milliards de dollars d'obligations américaines, vendent des titres et fassent encore remonter les rendements.
Selon plusieurs observateurs, ce sont ces turbulences sur le marché obligataire qui ont amené Trump à faire machine arrière sur les droits de douane. Cette volte-face n'a toutefois pas suffi, loin s'en faut. Vendredi après-midi, le taux américain à 10 ans s'envolait encore, frôlant les 4,6%. Pour Stephen Innes, les obligations américaines s'apparentent à un "bateau ivre".
• Trump veut produire plus de pétrole mais cela ne va pas de soi
"Nous allons forer à tout-va", déclarait le président américain lors de son discours d'investiture fin janvier. Dans son programme économique pour le second mandat de Trump, le ministre des Finances, Scott Bessent, a fixé l'objectif d'une hausse de la production de pétrole de trois millions de barils. D'une part afin de remplir les réserves stratégiques et d'autre part pour exporter cette production. Dans le même temps, l'administration Trump souhaite que le prix du baril chute autour de 50 dollars pour profiter aux consommateurs américains.
Ces objectifs sont totalement contradictoires. Les États-Unis sont déjà de très loin le premier producteur mondial d'or noir avec plus de 13 millions de barils de pétrole brut produits chaque jour l'année dernière. Et toute hausse de la production tirerait les prix vers le bas alors que les producteurs américains ont besoin de prix élevés pour que d'éventuels nouveaux forages s'avèrent rentables et qu'ils soient donc incités à produire davantage.
Or, un prix du baril sous les 60 dollars, comme cela a été le cas cette semaine, constitue un seuil sous lequel les producteurs américains de pétrole souffrent selon les analystes. Par ailleurs, cette ambition d'abaisser le prix du baril de pétrole se heurte à celle d'autres pays producteurs majeurs comme l'Arabie saoudite. Afin de financer son plan "Saudi Vision 2030" qui doit lui permettre de diversifier ses sources de revenus, Riyad a besoin d'un prix du baril relativement élevé, d'au moins 80 dollars.
• Trump compte financer les baisses d'impôts par les droits de douane mais surestime les recettes
D’après le conseiller au Commerce de Donald Trump, Peter Navarro, les droits de douane pourraient rapporter à l’État fédéral "600 milliards de dollars par an" et 6.000 milliards sur dix ans. Une manne que le gouvernement américain compte utiliser pour financer les baisses d’impôts massives promises par le locataire de la Maison Blanche à hauteur d'au moins 4.500 milliards sur dix ans.
Sauf qu’il est peu probable que les surtaxes génèrent autant de recettes. Pour arriver à ce résultat de 6.000 milliards de dollars, Peter Navarro semble avoir appliquer une taxation de 20% (taux moyen initialement envisagé) aux 3.300 milliards de dollars de marchandises importées par les États-Unis en 2024. Un calcul simpliste qui ne tient pas compte des conséquences néfastes d’une telle politique commerciale.
Cette estimation suppose en effet que les Américains continuent de consommer toujours autant. Or, comme expliqué plus haut, les droits de douane sont inflationnistes. Dans ces conditions, les consommateurs perdront du pouvoir d’achat (3.800 dollars par ménage en 2025 avec les taux annoncés le 2 avril, selon le Yale Budget Lab) et modifieront sans doute leur comportement en réduisant leurs achats de produits importés, ce qui fera mécaniquement baisser les recettes des droits de douane. Sans compter que ces surtaxes entraîneront un ralentissement de l’économie américaine et probablement mondiale qui se traduira in fine par des recettes fiscales en moins.
Avant la volte-face de Donald Trump qui a finalement imposé un taux commun de 10%, sauf pour la Chine, en plus des taxes spécifiques sur l'automobile ou encore l'acier, le Yale Budget Lab estimait que les droits de douane tels qu'annoncés le 2 avril auraient généré 3.100 milliards de dollars de recettes sur 10 ans au mieux, soit 310 milliards par an. Loin des 600 milliards initialement espérés.