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"Les Américains sont-ils prêts à payer leur iPhone 3.500 dollars?": cet analyste d'ordinaire optimiste prédit le pire pour l'économie américaine

Une casquette  "Make America Great Again" est accroché au sol tandis que les traders travaillent à la Bourse de New York, le 1er avril 2025, en séance matinale.

Une casquette "Make America Great Again" est accroché au sol tandis que les traders travaillent à la Bourse de New York, le 1er avril 2025, en séance matinale. - AFP

Dans une note au vitriol, l'analyste Dan Ives ne remet pas en cause l'idée même de droits de douane réciproques mais juge que ceux de Donald Trump sont largement disproportionnés et susceptibles de créer un chaos dans l'industrie tech mondial.

Connu pour son indécrottable optimisme et ses tenues colorées, Dan Ives est une sommité dans le monde de la tech aux États-Unis. L'analyste vedette de Wedbush qui pond des notes entre deux plateaux télé livre notamment chaque mois de décembre ses 10 prédictions pour l'année suivante.

Et il faut bien l'avouer ses visions sont souvent justes et encore plus souvent très positives. "L'industrie de la tech américaine se porte bien et se portera encore mieux demain": ainsi pourrait-on résumer sa pensée.

Mais cette fois Dan Ives ne rit plus du tout. Dans sa note publiée ce vendredi 4 avril et intitulée "Discussion sur l'apocalypse économique des droits de douane qui ravage le secteur technologique", l'analyste qui fait la pluie et le beau temps sur la Silicon Valley prédit une tempête que les Américains ne soupçonnent pas.

Selon lui, les droits de douane réciproques dévoilés ce mercredi par Donald Trump sont de nature à déclencher la pire crise dans le secteur des technologies depuis 50 ans.

"Jamais nous (ni d'autres qui suivent les marchés depuis plus de 50 ans) n'avons assisté à une débâcle auto-infligée d'une ampleur aussi dramatique que la série de droits de douane imposés par Trump ces dernières 36 heures", écrit-il.

Pour lui ce n'est pas l'idée même de droits de douane réciproques qui est en cause. Après tout, rappelle-t-il, "nous entendons depuis de nombreuses années les chefs d'entreprise des secteurs automobile, industriel et technologique réclamer une telle mesure." Autrement dit, si nos partenaires mettent des barrières à l'entrée des marchandises, mettons les mêmes.

"Pas les droits de douane réel"

Sauf que ce n'est pas qu'a fait Donald Trump. Si on prend l'exemple de l'Europe, le locataire de la Maison Blanche a décrété que les droits de douane pour entrer sur le marché européen étaient de 39%. Or le taux moyen est officiellement de 4% comme le rappellent les tableaux de la Commission Européenne. Mais ce pourcentage est une moyenne des différents taux pratiqués sur des milliers de produits différents. La réalité des chiffres, c'est que l'UE a récolté en 2023 des droits de douane d'un montant d'environ 3 milliards d'euros sur les importations en provenance des États-Unis (soit 1% du total qui s'est élevé à 347 milliards d'euros).

"L'administration Trump a présenté un graphique qui n'est pas une formule tirée du tableau noir du héros de Will Hunting au MIT [un film sur un génie des maths]… mais plutôt un ensemble complexe de chiffres et de calculs qui semblent prendre l'excédent commercial de chaque nation divisé par le total de ses importations avec les États-Unis", ironise Dan Ives.

Un calcul fantaisiste (comme nous l'expliquons dans cet article) qui a pour conséquence de surtaxer les produits européens qui entrent sur le territoire américain à un niveau cinq fois plus élevé que ce ponctionne l'Europe sur les importations des États-Unis.

"Soyons clairs, il ne s'agit pas des taux de droits de douane réels, il n'y a pas de débat, tranche l'analyste. L'idée de ramener les États-Unis à l'ère industrielle des années 1980 avec ces droits de douane est une expérience scientifique erronée qui, à notre avis, provoquera un Armageddon économique et anéantira le commerce technologique, la révolution de l'IA et l'industrie dans son ensemble."

Des chaînes d'approvisionnement inamovibles

L'objectif de l'administration de Donald Trump est de rapatrier les chaînes de valeurs sur le territoire américain. Usines, sous-traitants, cabinets d'étude, fournisseurs en tout genre...

"Les puces, le matériel, les usines de semi-conducteurs, les matières premières et bien d'autres composants de chaque appareil électronique mondial ont une chaîne d'approvisionnement principalement ancrée hors des États-Unis, en Asie", rappelle Dan Ives.

Et c'est grâce à ce commerce mondial que les Américains ont bâti la Silicon Valley, permis l'avènement d'internet dans les années 90, démocratisé le smartphone et posé les bases de l'intelligence artificielle. Créant au passage des mastodontes financiers comme Apple, Microsoft, Amazon, Google, Nvidia, Meta...

"Des droits de douane de 50% pour la Chine et de 32% pour Taïwan fermeraient le marché technologique américain et entraîneraient une augmentation de 40 à 50% du prix de chaque appareil électronique pour les consommateurs", estime-t-il.
Les Experts : Trump déclare la guerre commerciale - 04/04
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19:07

4 à 5 ans pour construire une usine

Fabriquer des iPhone aux États-Unis? "Ils coûteraient 3.500 dollars (au lieu de 1.000 dollars), et le commerce de la révolution de l'IA serait considérablement ralenti par ces droits de douane exorbitants qui doivent être négociés à des niveaux réalistes", juge-t-il.

Surtout, selon lui, espérer rapatrier du jour au lendemain des milliers de fabricants est une utopie.

"Il faut 4 à 5 ans pour construire une usine de fabrication aux États-Unis", rappelle-t-il.

"Le coût de la main-d'œuvre est irréaliste aux États-Unis pour un jour produire des semi-usines à grande échelle. Les compétences de la main-d'œuvre américaine seront encore loin d'être prêtes pour cette transition imposée à l'économie par les droits de douane de Trump."

Cette polique dirigiste qui consiste à tordre le bras des industriels n'aurait qu'un effet chaotique sur l'industrie mondiale. "La chaîne d'approvisionnement serait un Rubik's Cube comparable à l'époque du Covid, et l'économie entrerait en récession/stagflation, anticipe-t-il. Et les consommateurs américains en paieront le prix." Peut-être pas seulement eux.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco