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Un an de guerre en Ukraine: le blé russe s'exporte-t-il toujours bien?

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Alors que le conflit fait chuter la production céréalière en Ukraine, la Russie profite de son côté de récoltes exceptionnelles et de stocks remplis au maximum.

Au tout début de la guerre en Ukraine, de nombreux observateurs estimaient que la Russie allait renforcer sa position de leader sur le marché mondial du fait de la baisse de la production ukrainienne, alors cinquième exportateur mondial. Mais un an plus tard, le constat n'est pas aussi clair. En tout cas pour le moment.

Le pays le plus vaste de la planète est, depuis 2018, le premier exportateur de blé au monde, devant le Canada, les Etats-Unis, la France et l’Ukraine. Selon plusieurs sources (le département américain de l'agriculture ou encore l'Observatoire de la complexité économique, la part de marché de la Russie atteignait en 2020 19,5%.

La Russie a-t-elle profité de la faiblesse de l'Ukraine qui représentait avant le conflit entre 9 et 10% des exportations mondiales? Difficile à dire.

L'Ukraine a pu s'appuyer sur ses stocks

D'abord, la Russie a décidé de ne plus publier ses chiffres d'exportations de douanes, donc on ne connaît pas les volumes d'exportations", souligne pour BFM Business, Sébastien Poncelet, Directeur du Développement au sein du cabinet d'études Agritel, spécialisé dans le marché des grains.

Une chose est sûre, le conflit a fait baisser la production céréalière en Ukraine. "La production de blé s'est hissée à 21 millions de tonnes en 2022. C'est effectivement un peu en dessous de la moyenne observée sur les cinq dernières années qui tourne autour de 27 millions de tonnes" poursuit le spécialiste.

"Mais elle disposait de stocks très importants -de l'ordre de 6 millions de tonnes- qui ont pu sortir grâce à l'accord 'Green Deal" et son corridor d'export signé avec la Russie sous les auspices turcs. Cette saison, l'Ukraine devrait sortir 15,4 millions de tonnes de blé contre une moyenne de 18 millions lors des cinq dernières années".

Bref, sur 2022/2023 (la saison débute chaque 1er juillet), le potentiel d'exportation ukrainien n'a pas été si entamé que ça. En tout cas bien moins que ce que craignaient les spécialistes au début de la guerre.

Des facilités pour les "pays amis"

Reste que dans le même temps, la Russie a profité de récoltes exceptionnelles dopées par une météo favorable et elle dispose de stocks remplis au maximum.

Pour 2022/2023, les exportations russes devraient atteindre des niveaux record même si le pays exportera probablement un peu moins que son énorme récolte ne le permettrait potentiellement du fait des sanctions occidentales imposées à Moscou, qui ne visent pas spécifiquement les exportations de blé mais qui les compliquent).

Au total, selon les chiffres non-officiels russes (à prendre avec des pincettes), les exportations globales de céréales de la Russie 2022/23 devraient se situer entre 53 et 54 millions de tonnes, soit 20 millions de tonnes de plus sur un an. Sans les restrictions liées aux sanctions, elles auraient probablement dépassé les 60 millions de tonnes.

Si certains marchés sont plus difficiles d'accès pour le blé russe, depuis le début de la saison, la Russie aurait vendu plus de blé que lors de n'importe quelle année précédente aux "pays amis" ainsi qu'à ceux qui le sont devenus par la force des choses.

On peut citer, l'Arabie saoudite, l'Algérie, le Pakistan, le Brésil, la Turquie et le Mexique, ont indiqué les analystes de l'opérateur ferroviaire russe Rusagrotrans dans une note citée par Reuters.

Un corridor fragile

La Russie a également repris l'approvisionnement en blé de l'Irak après une pause de dix ans. Sans oublier la Chine qui devient progressivement un consommateur de blé et donc un client stratégique (9 millions de tonnes achetées au global sur cette saison contre 2 millions en 2014). Du blé russe livré par rail via le mythique transsibérien.

Ces exportations sont favorisées par le Kremlin à travers une série de dispositifs permettant à ces pays d'accéder plus facilement au blé russe. Et ils sont nombreux: octroi de prêts ciblés en roubles, facilités des banques russes pour les opérations de change et de compensation pour les transactions, réduction des droits d'exportation, transactions en espèces etc.

Mais pour Sébastien Poncelet du cabinet Agritel, il n'y a rien de neuf sous le soleil. "La Chine accrédite en effet le blé russe mais on ne le voit pas dans les flux, commence-t-il. Si les autres pays en achètent davantage, cela tient avant tout à l'équilibre du marché et aux récoltes qui ont été bonnes en Russie, en Australie mais pas ailleurs. Quant aux facilités financières, elles existent depuis que Vladimir Poutine a fait du blé un levier de soft-power, une force à l'international pour accroître l'influence de la Russie".

La prochaine saison pourrait faire mal à l'Ukraine qui a beaucoup moins semé

Plus que la guerre, c'est bien le contexte de marché qui devrait permettre à la part russe dans le blé de grappiller 1 ou 2 points, Agritel l'estimant pour 2022-2023 à 21% tout en rappelant que cette part est déjà montée à 22,5% en 2017.

Une situation qui pourrait néanmoins évoluer si le fameux corridor venait à être fermé par les Russes. "Il n'y pas une journée où les autorités russes ne le critiquent pas, rappelons que cet accord est renégocié tous les quatre mois et il y a pas mal d'agitation en ce moment", souligne l'expert.

En réalité, si renforcement il y a, on le verra à la prochaine saison en juillet prochain car la donne a changé. "Il est très peu probable que la Russie et l'Australie fassent d'aussi bonnes récoltes cette année. En Ukraine, le conflit a fait perdre 40% de la surface cultivable, il y a eu donc bien moins de blé semé alors qu'il avait déjà été semé quand le conflit a commencé. La prochaine saison risque d'être plus compliquée pour l'Ukraine", estime Sébastien Poncelet. Une situation qui pourrait également profiter à l'Europe et aux Etats-Unis.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business