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"Les marchés financiers sont rois": Donald Trump sera-t-il contraint de jeter l'éponge comme Liz Truss?

Une photo de Donald Trump est affichée alors que des traders travaillent à la Bourse de New York (NYSE), le 18 décembre 2024 à New York.

Une photo de Donald Trump est affichée alors que des traders travaillent à la Bourse de New York (NYSE), le 18 décembre 2024 à New York. - AFP

Fortement chahutée sur les marchés actions, la politique économique de Donald Trump connaîtra-t-elle la même sanction que celle l'ex-Première ministre britannique qui avait dû renoncer à son "mini-budget" non financé? Les experts sont partagés mais pensent que la Maison Blanche pourrait tenir un certain temps son bras de fer contre les marchés.

Donald Trump persiste et signe. Le président américain a assuré à des journalistes qui l'interrogeaient lundi 17 mars dans Air Force One qu'il n'avait "aucune intention" d'assouplir les droits de douane et de mettre fin à la guerre commerciale qu'il a déclenché avec l'ensemble de ses partenaires.

Les menaces de récession, la croissance revue à la baisse, les ventes au détail atones… Peu semble importer à l'administration américaine. "Il y aura quelques perturbations", minimise Donald Trump. "Les corrections du marché sont saines", relativise Scott Bessent, son secrétaire au Trésor.

Le locataire de la Maison Blanche pourra-t-il pour autant faire fi des marchés encore longtemps? Lui qui reconnaissait naguère avoir les yeux rivés sur les indices boursiers et qui s'attribuait lors de son premier mandait la hausse de 70% du S&P 500 à coups de tweets triomphants (150 sur le sujet entre 2016 et 2020).

Le pouvoir politique ne peut pas éternellement s'affranchir de la pression des marchés financiers. Liz Truss a payé pour le savoir. La Première ministre britannique la plus éphémère de l'histoire avait dû quitter Downing Street après 44 jours seulement. Ses baisses d'impôts financées par des emprunts sur les marchés avaient décimé les obligations d'État. La vente massive d'obligations britanniques avait poussé des fonds de pension au bord de l'insolvabilité, ce qui avait poussé la Banque d'Angleterre à intervenir en urgence. Liz Truss avait du faire machine arrière sur son "mini-budget" et démissionner quelques jours plus tard.

La dette américaine reste solide

Un scénario de crise politique guère envisageable aux États-Unis mais qu'en sera-t-il de la politique économique? Donald Trump a déjà mis de l'eau dans son vin sur les droits de douane. Il avait promis des surtaxes à 60% sur tous les produits chinois, elles ne sont finalement que de 25%. En février, il a rétabli l'exemption de taxe sur les minicolis de moins de 800 dollars pour des raisons électorales.

"DHL se présente (à votre porte) et vous dit: 'Voici votre produit, mais avant de vous le remettre, vous devez payer 30 dollars au gouvernement américain'", décrit Paul Donovan, économiste en chef chez UBS sur CNN.

"Là où les taxes commerciales sont susceptibles d’être très visibles pour les électeurs, le président Trump a reculé très, très rapidement."

Mais sur les importations d'aluminium, de véhicules ou de produits alimentaires français, les taxes ne sont pas directement visibles par le consommateur américain.

"La situation est différente du Royaume-Uni, je ne pense pas que le segment qui soit fragile soit celui des boins du Trésor, indique Christopher Dembik de Pictet AM. Le marché de la dette américaine est très liquide, libellé en dollars et reste massivement acheté par les banques centrales des pays émergents."

Le taux d'emprunt à 10 ans américain ne flambe pas et est même plutôt en baisse en 2025 (4,3% ce 18 mars).

Il en va autrement des marchés actions. La chute de Wall Street -de retour à son plus bas depuis septembre- a brûlé des milliards de dollars sur les comptes retraites des Américains.

De plus, les revirements chaotiques de l'administration sur les droits de douane créent un climat d'incertitude qui affecte le consommateur américain. Les géants de la grande distribution Target, Macy's, Kohl's, Home Depot ont déjà averti que les consommateurs réduisaient leurs dépenses. La compagnie aérienne Delta a abaissé ses prévisions de bénéfices dans un contexte, assure-t-elle, "d'incertitude macroéconomique accrue".

Risque systémique?

"Surtout les rumeurs de marchés ne sont pas rassurantes, explique Christopher Dembick. On entend parler de dévaluation du dollar, de limiter les flux sortants de capitaux, d'importations massives de lingots d'or

"Le régulateur emploie même le terme 'risque systémique'. Il peut y avoir un effet panique."

La chute des indices a fait des victimes. Deux des quatre plus importants fonds spéculatifs américains, Citadel et Millenium, qui ne se sont pas délestés à temps de leurs actions américaines, ont annoncé des pertes en février et en mars.

"Les régulateurs et les observateurs du secteur avertissent qu'un dénouement aussi rapide des positions peut accroître les risques systémiques, car plusieurs fonds cèdent simultanément des positions similaires", avertit le site du Nasdaq.

Selon certains analystes américains, la guerre aux marchés financiers ne pourra pas être menée éternellement dans l'attente d'une très hypothétique et lente réindustrialisation du pays.

"Il y a beaucoup trop de richesses privées immobilisées sur le marché des actions pour qu'il n'y ait pas un point au-delà duquel Trump se sente obligé de changer de cap sur les tarifs douaniers, estime sur CNN Ross Mayfield, stratège en investissement chez Baird. À la fin, les marchés financiers sont toujours les rois."

Idéologie contre pragmatisme

Des Américains qui voient leur épargne fondre, qui se sentent moins riches, qui limitent leurs dépenses non essentielles comme les voyages ou les restaurants, qui achètent moins de produits importés à cause des taxes… La contagion des marchés vers l'économie réelle est un scénario que Donald Trump ne peut ignorer. D'autant que la contrepartie (les baisses d'impôts promises) ne s'est toujours pas matérialisée.

Pour autant, le niveau de tolérance à la douleur de l'administration au pouvoir semble être élevé.

"A court terme, ils vont continuer, anticipe Chritopher Dembick. D'abord parce que Donald Trump a pour référence ce XIXe siècle où les impôts douaniers étaient augmentés pour développer l'industrie. Une époque qui n'avait rien à voir avec aujourd'hui sur les flux financiers mais il y croit. Et il y a l'élément de langage sur 'on protège votre industrie' qui peut l'aider à tenir".

"Cette administration semble bien plus idéologique que la première."

Dernier point enfin. Les investisseurs restent pragmatiques et ne vont peut-être pas fuir éternellement les marchés américains, surtout qu'il y a des opportunités sur des valeurs tech comme Alphabet, très fortement sanctionnée ces dernières semaines.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco