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En quoi Kamala Harris est plus à gauche que Joe Biden sur le plan économique

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La nouvelle candidate démocrate et son co-listier vont devoir défendre le bilan économique de la présidence Biden. Tout en imposant des mesures sociales supplémentaires.

Aux Etats-Unis, le vent tourne depuis l'éviction de Joe Biden, et son remplacement par Kamala Harris. La vice-présidente a renversé la situation dans les sondages, se retrouvant désormais au coude-à-coude avec le candidat républicain, Donald Trump. Surtout, la prétendante a pour elle un taux de rejet beaucoup moins important: elle agrège 48% d'opinions défavorables, et 43% d'avis favorables, soit un malus de 5 points, contre un différentiel de 8 points pour Donald Trump (51 et 43%).

Elle est donc beaucoup plus consensuelle que le candidat républicain, ce qui s'illustre aussi dans ses positionnements jusqu'ici. Kamala Harris tente d'agréger des soutiens divers et variés, avec, sur le volet économique, un "economic tour" ("tournée économique") destiné à défendre le bilan de Joe Biden et de sa propre mandature. Parmi les éléments mis en avant par l'équipe démocrate, "les investissements inédits dans les petites entreprises et entreprises créées par des personnes noires", "les infrastructures" ou l'accès au soin renforcé grâce à des financements publics de l'insuline et de la pédiatrie.

Sans programme officiel pour le moment, Kamala Harris s'inscrit dans la lignée des intentions de Joe Biden, et devra défendre ce qui à la fois le bilan de son prédecesseur, et le sien. Un bilan de 16 millions d'emplois créés, mais d'un pouvoir d'achat considéré, à tort ou à raison, comme rogné par une partie de la population.

Une étude récente menée par l'économiste du MIT David Autor concluait ainsi en mai que l'inflation et le marché de l'emploi très serré avaient permis aux plus pauvres de s'enrichir grâce des hausses de salaires plus importante que celles des cadres. Mais la crise financière récente, appuyée sur des chiffres de l'emploi moins bons que prévu, offre un timing moins favorable que prévu aux démocrates.

Tim Walz, apprécié à gauche

Son choix de Tim Walz comme co-listier, en revanche, porte déjà des indications sur ses intentions: s'il peut réunir, le gouverneur du Minnesota penche économiquement à gauche et vers les Etats-pivots ruraux et industriels, qui oscillent encore entre démocrates et républicains.

Walz a notamment permis à l'Etat, très rural, de dégager des surplus budgétaires de 3,7 milliards de dollars, grâce notamment à de nouveaux impôts sur le capital des plus riches, et sur les grandes entreprises.

Le Minnesota se distingue par un système fiscal modérément progressif qui demande un peu plus aux riches qu'aux familles à revenus faibles ou moyens", souligne l'Institute on Taxation and Economic Policy, think-tank apartisan.

L'Etat du Midwest a maintenu ces dernières années un taux de chômage moins élevé que dans le reste des Etats-Unis (2,9 contre 4,1%), et une inflation plus faible. Il a donc logiquement créé moins d'emplois que le reste du pays ces deux dernières années, après le covid-19 - et obtenu une croissance moins élevée.

En tant que gouverneur du Minnesota, M. Walz a favorisé un climat propice aux affaires, attirant des investissements substantiels et positionnant l'État comme l'un des principaux candidats à l'élection présidentielle" estime Reid Hoffman, cofondateur milliardaire de LinkedIn, l'un des principaux donateurs du parti démocrate.

Avec des réformes concernant le marché du travail (congés maladie et parental notamment) ou sur des repas gratuits dans les écoles, Walz reste marqué tout de même à gauche.

Une équipe pro-business

Le non-choix de Josh Shapiro comme co-listier renforce ce virage à gauche par Kamala Harris: le gouverneur de Pennsylvanie est une figure plus urbaine, plus aisée, et plus marquée au centre. Il avait par exemple déclenché une polémique au sein de son parti concernant la mise en place de chèques éducation à destination des ménages défavorisés, car ils permettaient surtout aux enfants d'intégrer des écoles privées. Loin de la réhabilitation des services publics souhaitée par l'aile gauche démocrate.

Kamala Harris est en outre conseillée économiquement par deux spécialistes, plutôt libéraux, ce qui équilibre le choix de Tim Walz: sans passif ni diplôme dans le domaine économique, elle s'appuie sur Mike Pyle, un ancien économiste du géant de la finance BlackRock, et sur Deanne Millison, qui pilote la politique industrielle de Ford.

Fiscalité et régulation

Le programme de Kamala Harris pourrait donc s'inscrire dans la continuité de Joe Biden, entre soutien aux entreprises et politiques sociales plus fortes. Parmi les points qui distinguent la vice-présidente de son président, figure la fiscalité: elle défend par exemple la mesure voulue par Biden, de ne pas augmenter les impôts pour les ménages gagnant moins de 400.000 dollars par an, soit l'immense majorité de la population.

Mais elle défend un durcissement de l'imposition des sociétés, qui pourrait être relevée à 35% - Joe Biden visait plutôt 28%. Elle souhaite aussi mettre plus à profit les plus riches, estimant "que cette économie ne profite pas aux gens qui travaillent". Elle propose ainsi de remplacer les niches fiscales mises en place par Donald Trump, par des crédits d'impôts en faveur des classes moyennes, allant de 3.000 à 6.000 dollars par an.

Un projet porté durant son mandat de sénatrice, en 2018. Un an plus tard, elle a aussi défendu un plan d'augmentations pour les enseignants, de 300 millions de dollars, entièrement financé par des hausses d'impôts sur les plus riches. Les salaires auraient augmenté, en cas d'adoption, de 13.500 dollars en moyenne dans le pays.

Harris se veut aussi plus dure que Joe Biden vis-à-vis des grandes entreprises, notamment de la tech. Si le dernier mandat démocrate a vu un durcissement de la régulation à leur égard -notamment grâce à l'arrivée de Lina Khan à la direction des politiques de concurrence américaines- Kamala Harris a par le passé tordu le bras des banques après la crise de 2008 pour éponger les frais, et tenté de réguler Uber en 2016, alors qu'elle était procureure générale de Californie.

Les politiques du care, la singularité Harris

Autre ligne de force de sa carrière, les politiques sociales ambitieuses. La canddiate a longtemps poussé en tant que sénatrice puis vice-présidente pour l'adoption de congés parentaux plus étendus, par exemple. Elle a aussi proposé de renforcer les dépenses à destination de la petite enfance, ou en faveur des congés payés. L'un de ses premiers déplacements, symboliquement, a été aux côtés du syndicat de l'enseignement American Federation of Teachers, deuxième formation du pays dans le secteur.

Problème jusqu'ici: les démocrates n'ont pas obtenu de majorité au Sénat, et Joe Biden n'a pas pu faire passer un certain nombre de mesures. Ce fut notamment le cas ces derniers mois des projets d'annulation de la dette des étudiants, qui a rencontré une opposition importante des Républicains - ils ont notamment fait passer une loi s'opposant strictement à cette annulation. La Maison Blanche a en revanche réussi à encadrer les plus-values immobilières et augmentations des loyers, un point sur lequel la vice-présidente démocrate s'est montrée intransigeante.

Olivier Piton, avocat à Washington, auteur de “Kamala Harris, la pionnière de l’Amérique” – 07/08
Olivier Piton, avocat à Washington, auteur de “Kamala Harris, la pionnière de l’Amérique” – 07/08
10:28

Un duel sino-américain à gérer

Kamala Harris devrait enfin s'avérer moins ouverte commercialement que son prédécesseur. Joe Biden a adopté l'Inflation Reduction Act, qui a très largement aidé les entreprises américaines grâce à des subventions ciblées mais massives, et sa vice-présidente en a défendu le projet. Mais elle ne partage pas l'aggressivité des "Bidenomics".

"Je ne suis pas une démocrate protectionniste", a-t-elle ainsi insisté, dès 2019.

Sans programme précis sur le sujet, là encore, elle a qualifié les propositions de Donald Trump, et notamment ses droits de douane de 10% sur toutes les importations, "d'erratiques". "Ces droits de douane augmenteraient le coût des dépenses quotidiennes des familles", soulignait Kamala Harris en Caroline du Nord le 18 juillet dernier. Une lutte de longue date contre le candidat républicain, déjà forte quand il était au pouvoir.

Kamala Harris se montre aussi plus précautionneuse concernant l'environnement, et la signature d'accord internationaux: elle a rejeté le projet républicain de Nafta (North American Free Trade Agreement), avec le Mexique et le Canada, plusieurs fois. Elle s'est aussi opposée au projet d'accord transatlantique de Barack Obama, pour des raisons écologiques.

Dans un éditorial signé fin juillet dans Foreign Policy, le journaliste Keith Johnson soulignait l'ambiguité de la ligne de Kamala Harris à l'international. "Comme presque tous les politiciens américains, Mme Harris reproche à la Chine de voler de la propriété intellectuelle et de tricher sur le plan commercial, mais comme les politiciens de l'establishment depuis des décennies, elle insiste sur le fait que des questions régionales comme la Corée du Nord et le changement climatique, nécessitent une relation de travail avec Pékin", écrit ce dernier. De quoi réserver quelques surprises, si elle devait reprendre la Maison Blanche, cette fois en qualité de présidente.

Valentin Grille