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Krach au Japon: pourquoi la finance mondiale se met à tanguer

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La bourse de Tokyo a connu ce lundi sa pire journée depuis quarante ans. Les doutes s'accumulent sur l'économie américaine, et les investisseurs ont commencé à paniquer.

Les nuages s'amoncellent, et les marchés se grippent: la finance mondiale se réveille ce lundi sur fond de baisses de cours massives. La bourse de Tokyo a essuyé la pire perte en points de son histoire sur une seule journée. Le Nikkei 225 a décroché brutalement de 12,4%, battant un record daté de 1987, année du "lundi noir".

Point commun à ces deux périodes, la source du doute: en 1987, c'est un rapport sur le déficit commercial américain, dégradé en pleine période d'expansion économique, qui inquiète les financiers en premier lieu. La semaine passée, le rapport du Bureau of Labor Statistics américain inquiétait les marchés. Il pointait un taux de chômage au plus haut depuis octobre 2021, au terme de la pandémie.

D'une situation de pénurie de main d'oeuvre et d'une supposée inflation provoquée par la hausse des salaires -jamais mise en évidence dans les données de ces deux dernières années- les financiers ont changé leurs prévisions brutalement, tablant désormais sur un possible ralentissement de l'économie américaine.

Les conditions de chômage restent faibles -4,3% en juillet, contre 4,1% en juin - mais cela représente une augmentation de presque un point par rapport à l'année dernière (3,4% en avril 2023). Les statisticiens américains semblent en outre exclure l'ouragan Beryl, qui a frappé le Texas: mais 450.000 salariés ont estimé ne pas avoir pu travailler du fait de cette tempête. La croissance a aussi repris au deuxième trimestre à un rythme annuel de 2,8% -c'était 1,4% au premier, un véritable ralentissement. Mais rien n'a empêché le nouveau scénario d'une récession à venir de s'imposer, pour l'instant.

Ce lundi, dans le sillage de Tokyo, la plupart des places boursières ont été chahutées. Le CAC 40 a ouvert en baisse de 2,5% avant d'atteindre un plus bas au-delà des -3% vers 9h30. Si l'indice parisien s'est repris dans la journée, il a passé la journée dans le rouge. Wall Street a chuté également avec un Dow Jones en baisse de 2,8% à l'ouverture, en milieu d'après-midi.

Le patient japonais

Dans un contexte macroéconomique jugé dégradé, à tort ou à raison, le Japon fait donc office de fer de lance, payant notamment le tassement américain. Les Etats-Unis représentent un marché à l'export important, et la vitalité de la tech américaine sert également de reflet à celle de cette industrie importante dans l'archipel.

Mais Tokyo subit aussi les conséquences de son climat national. La Bank of Japan (BoJ) a relevé ses taux directeurs de façon inattendue mercredi dernier, estimant que l'inflation se maintiendrait à 2% dans les années à venir. Plusieurs conseillers auraient également émis des craintes sur la faiblesse du yen, provoquée par des années de politique monétaire très souple. En pesant sur la consommation -le pouvoir d'achat baisse, notamment sur les produits importés- il ralentirait l'économie nippone.

En remontant ses taux, et en provoquant de ce fait un renforcement de sa monnaie, le Japon a précipité une vente massive par des acteurs étrangers, des actions des entreprises japonaises: un yen plus fort pénalise ces dernières en rendant moins compétitives leurs exportations. Yoshitaka Suda, analyste à Nomura Securities, pointait ainsi dans le quotidien Nikkei Asia "des ventes impressionantes de la part des fonds spéculatifs". Qui font totalement dévisser des firmes comme Toyota, Honda, Nintendo ou Mitsubishi, toutes autour des 20% de pertes sur une semaine.

C'est le contraste, là encore, qui s'impose, entre les objectifs et les ambitions de la BoJ, réhaussant ses taux en croyant au dynamisme de sa demande et de son économie, et les attentes du marché -entre prises de bénéfices et craintes d'un retournement. Les actions américaines sont notamment jugées plus sûres que les actions japonaises en cas de retournement de conjoncture.

La FED jugée en retard

Les marchés jouent-ils à se faire peur en interprétant les signes de la politique monétaire? La tonalité générale est que la FED est en retard. Si la BCE a déjà abaissé ses taux et anticipé la reprise, la banque centrale américaine a pour sa part fait du surplace pour le moment, craignant encore la reprise d'une inflation plus "collante" que prévu. Et les investisseurs lui reprochent cet attentisme en voyant que les indicateurs économiques se dégradent: jeudi, la production industrielle a légèrement décroché, tombant à 46,8 points (50 étant le niveau auquel la production se maintient stable).

La FED, à qui l'on conférait l'envie de ne baisser ses taux qu'une fois cette année, est désormais annoncée à quatre baisses pour 2024 - ce qui ne se serait jamais vu hors période de recession, relève Deutsche Bank. Ce sont donc les prévisions alarmistes du secteur financier, qui renforce le sentiment d'alarmisme du secteur financier. Après avoir pronostiqué un "atterrissage en douceur" après la période de taux élevés, Wall Street n'y croit plus et estime même que Jerome Powell pourrait s'être trompé, enfonçant le pays dans la crise en maintenant ces taux trop longtemps.

En dehors de la bulle monétaire, d'autres résultats inquiètent les marchés: la tech américaine, regroupant les valeurs dites "de croissance" par excellence, a agrégé des résultats très mitigés ces derniers jours. Nombre d'analystes reprochent désormais à Amazon, Microsoft ou Apple des investissement beaucoup trop coûteux dans l'intelligence artificielle, dont on ne comprend pas encore très bien comment ils pourraient s'avérer ou non rentables. Tesla, de son côté, a décroché avec un résultat net divisé par deux.

Enfin, autre facteur d'inquiétude à moyen-terme, l'état de la Chine: l'activité continuait de décliner dans les dernières publications manufacturières, et Pékin semble pour le moment incapable de relancer la consommation intérieure comme il souhaite le faire. En situation de surcapacité à l'export, plombé par un secteur immobilier en chute libre, le pays souffre et fait souffrir les entreprises qui dépendent de lui: le Japon est à nouveau très exposé (la Chine est son partenaire principal), le luxe français ou les automobiles allemandes aussi.

Par excès d'anticipation ou par simple logique, de nombreux voyants sont donc au rouge sur les marchés. En attendant de nouveaux indicateurs économiques cette semaine, à commencer par le secteur des services ce lundi.

Valentin Grille