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Après un an de sanctions occidentales, comment s'en sort l'économie russe?

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Après un an de guerre et de sanctions occidentales, l'économie russe a mieux résisté que prévu grâce notamment à ses exportations d'hydrocarbures et à de bonnes capacités d'adaptation. 2023 risque d'être plus compliqué.

“Nous allons provoquer l’effondrement de l’économie russe,” “L’Union Européenne et ses partenaires travaillent à paralyser les capacités de Poutine à financer sa machine de guerre,” “l’économie russe est sur la voie d’être réduite de moitié” ... Si l’on écoute les occidentaux, Moscou, cerné par les sanctions, ne survivra pas. 

Tout s’est précipité le 24 février 2022 lorsque la Russie a envahi son voisin slave. Les grandes puissances occidentales menées par les Etats-Unis ont immédiatement assuré l’Ukraine de leur soutien et les restrictions contre la Fédération russe sont tombées, salves après salves, dans le but d’affaiblir son économie et sa force militaire. Ont-ils atteint leur cible ou ont-ils surestimé leur puissance de tir? Un an plus tard, la Russie a tenu le choc mais ses lendemains s'annoncent plus compliqués.

L'économie russe, attaquée à l'Ouest, faiblit

Au commencement des hostilités, la première salve est partie. Les démocraties occidentales ont fermé leur ciel, leur route et leur système financier, en partie, à la Russie. Elles ont aussi restreint leurs importations et exportations, notamment celles de biens à usage militaire, et de grandes entreprises internationales ont annoncé la cessation de leurs activités, entre autres promptes répercussions à l’invasion. 

Beaucoup d’analystes prédisaient alors que l'économie russe allait mordre la poussière. A tort. Elle a été touchée, c’est indiscutable, mais pas autant que l'emballement de certains ne l’auguraient. 

“Les objectifs des pays occidentaux n'étaient pas tant d'étouffer l'économie russe dans son ensemble que d'étouffer la capacité de l'Etat à obtenir les ressources nécessaires pour continuer sa guerre en Ukraine,” rappelle Julien Vercueil, vice-président de l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales.

Pour autant, les économistes russes eux-mêmes reconnaissent les dommages infligés par les restrictions mais aussi “les ruptures d'approvisionnement, les surcoûts, l'arrêt des transferts de technologie [qui] ont pesé sur l'activité d'investissement et de production et continueront de peser à l'avenir.” Julien Vercueil souligne également que l'entrée en guerre du pays a fait tout autant de dégâts à son économie.

Dans les chiffres, l’inflation a flambé avec un pic en avril (17,8%) avant de se résorber sans jamais pour autant redescendre en-dessous des 10%. Le PIB s'est contracté de 2.1% en 2022 d’après l’agence de statistiques russe Rosstat tandis que le FMI prévoit son retour dans le vert cette année.

Quelles sanctions sont de vraies épines dans le pied du géant russe?

Toutes les sanctions n’ont pas eu le même impact sur l’économie du plus vaste pays du monde. Certaines même, comme celles qui visent des personnes physiques, sont symboliques, note Julien Vercueil. 

D’autres, en revanche, dépassent de loin le symbole. Et parmi les plus néfastes figurent celles qui pèsent sur les technologies. Les Américains, Européens et leurs alliés ont stoppé leurs exportations de technologies telles que les précieux semi-conducteurs avancés et autres logiciels et produits jugés stratégiques, et certaines entreprises comme le géant des puces taïwanais TSMC, ont également volontairement décidé de restreindre leur commerce avec la Russie. 

Les puces électroniques sont des composants cruciaux des armements high-tech et l'armée russe fait face à une pénurie qui s’aggrave, explique Pavel Baev, professeur-chercheur au Peace Research Institute d'Oslo. 

“Outre les systèmes d'armes, les puces sont nécessaires pour les infrastructures de production. La pénurie oblige les usines russes à s'appuyer davantage sur les vieilles machines de l'ère soviétique, qui sont inefficaces et peu sûres,” rajoute-t-il. 

Le secteur automobile, gros employeur russe, est l’un de ceux durement touchés par les interdictions de vente de technologies et pièces détachées. Et cela d’autant plus que des géants internationaux tels que Renault ou BMW ont cessé leurs activités sur place ou arrêter de commercer avec Moscou. Entre autres conséquences : les voitures russes n’ont plus besoin ni d’airbag ni d’ABS pour être autorisées à rouler.

Côté financier aussi, le pays slave a dû affronter de vraies difficultés. Certaines banques russes ont été bannies du système international d'échange de données bancaires SWIFT, une mesure oppressante mais à double tranchant, et la banque centrale russe n’a plus accès à ses fonds déposés dans les pays qui la sanctionnent.

“Le gel des avoirs de la banque centrales situés à l'étranger a certainement joué un rôle dans la crise financière que le pays a connue en mars, mais n'a pas empêché son rétablissement en avril et en mai, notamment du fait de la flambée immédiate des prix des hydrocarbures,” explique Julien Vercueil.

Justement, venons-en aux hydrocarbures qui font depuis longtemps la richesse de la Russie, et qui ont à nouveau soutenu son économie l’année dernière.

Les routes commerciales alternatives de la Russie 

Une des principales armes brandies par la coalition occidentale, l’embargo sur le pétrole et le plafonnement des prix du baril, élaborée pour frapper le moteur de l’économie russe, n’a pas pu, pour le moment, faire preuve de son efficacité. 

“L'économie russe a montré des capacités de résistance qui s'expliquent aussi par le fait que les sanctions n'ont pas touché, jusqu'en novembre 2022, ce qui constitue le cœur du réacteur de l'économie russe et de son Etat : la rente pétro-gazière,” explique Julien Vercueil.

 Au contraire même: la Russie aurait joui de “bénéfices exceptionnels” grâce à ses exportations d’hydrocarbures l’année dernière, selon Chris Weafer, directeur du cabinet de conseil basé à Moscou Macro Advisory. Les clients européens se sont précipités pour acheter et stocker du pétrole brut et du gazole entre autres produits en amont de l’application des sanctions. Une hausse de la demande donc qui a engendré une augmentation de prix.

La Russie a d’ailleurs annoncé un excédent courant record de 227 milliards de dollars l’année dernière, porté par ses ventes d’hydrocarbures et enflé, certes, par la baisse de ses importations.

C’est que Moscou, après un premier choc, a aussi su s’adapter à ces nouvelles contraintes plus vite que certains ne l’envisageaient. Pour son pétrole mais pas seulement, Vladimir Poutine a emprunté d'autres routes pour commercer.

La Turquie, l’Inde et l’Asie centrale sont parmi les pays et régions par lesquels transitent des produits qui venaient autrefois directement d’Europe, d’après Chris Weafer. Si l’on regarde les données commerciales de certains pays comme le Kazakhstan, on peut observer des volumes d’exportations beaucoup plus important, notamment vers la Russie, dit-il. 

“Bien sûr, ce sont des produits qui viennent de l’Ouest,” affirme-t-il.

Et de donner cet exemple : “Il y avait beaucoup d’inquiétudes en fin d’année dernière quant à une pénurie possible de champagne français pour Noël et le Nouvel an [en Russie]. Puis, soudainement, l’Inde a importé un volume important de champagne français,” rapporte Chris Weafer.

Avec le temps, tout arrive 

Quid de la suite? Alors que les relations se tendent de plus en plus et que les sanctions continuent de s’accumuler, les têtes se tournent maintenant vers une année 2023 qui s’annonce plus difficile que 2022 pour Vladimir Poutine. 

“Alors que l’année 2023 avance, la situation est nettement moins favorable” pour la Russie, dit Chris Weafer. Le volume et les revenus issus de ses exportations d'hydrocarbures devraient diminuer en partie car le pays n’a pas les moyens et les infrastructures pour rediriger tout le pétrole qu’il envoyait aux Européens vers d’autres pays.

"Le budget de l’Etat pour 2023 est en grand danger,” note sobrement Pavel Baev. Selon lui, les coûts de ces routes alternatives sont plus élevées et le plafonnement des prix mis en place par les occidentaux va entamer les revenus russes. De quoi rendre ces sanctions très efficaces.

Moscou devrait également de plus en plus sentir le poids des interdictions. A moyen et long terme, l'absence de transferts de technologies et de vente d'équipements se fera sentir sur les entreprises industrielles,” constate Julien Vercueil. Et de conclure: “L'efficacité n'existe pas dans l'abstrait, elle se mesure sur une certaine durée”.

Olivia Bugault