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Sabotages: pour mieux sécuriser son réseau, la SNCF en panne de nouveaux moyens financiers

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Si le gouvernement a très vite plaidé pour l'intensification des outils de protection des 28.000 kilomètres de voies de l'opérateur, SNCF Réseau qui a en charge la gestion et la maintenance de l'infrastructure ne dispose pour le moment pas de moyens supplémentaires.

Quand le 26 juillet dernier ont lieu les sabotages coordonnés sur le réseau de la SNCF, paralysant le trafic sur la plupart des lignes à grande vitesse, en plein congés d'été et à la veille de l'ouverture des Jeux olympiques de Paris, c'est la sidération en interne.

La surprise est totale, ce scénario catastrophe avait certes été envisagé, mais pas avec une telle ampleur. Chez l'opérateur, on misait plutôt sur une cyberattaque. L'attaque met en tout cas en lumière la vulnérabilité quasi-mécanique du réseau.

L'enquête est toujours en cours. Des empreintes ont bien été relevées et des communications téléphoniques sont en cours d'analyse. Surtout, la connaissance fine des espaces stratégiques et sensibles à attaquer pour faire le plus de dégâts possible questionne, notamment au sein de la SNCF.

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En attendant que des éléments soient communiqués par les enquêteurs, très vite s'est posée la question de la sécurisation du réseau. Évidemment, il est impossible de surveiller physiquement les 28.000 kilomètres de voies exploitées, ni tous les lieux critiques où passent des câbles, les aiguillages etc... Un objectif parfaitement utopique.

Utopie

Reste que SNCF Réseau qui a en charge la gestion et la maintenance du réseau déploie depuis toujours une variété d'outils humains et techniques pour surveiller l'infrastructure.

On parle ainsi de surveillance humaine avec des équipes mobiles dédiées qui disposent d'un système de signalement en temps réel, du rôle de la Sûreté ferroviaire, d'accords avec les forces de l'ordre.

Côté moyens techniques, la quasi-totalité des voies des lignes à grande vitesse sont clôturées, les lieux de passage de câbles sécurisés, des caméras de surveillance sont déployées.

Plus récemment, la filiale du groupe SNCF utilise également des drones, mais leur utilisation est pour le moment limité par la réglementation.

Se pose évidemment la question: est-ce suffisant? Comment être plus efficace? Si le gouvernement a très vite plaidé après le sabotage pour l'intensification des outils de protection, SNCF Réseau ne dispose pour le moment pas de moyens supplémentaires pour le faire. En clair, rien n'a été acté.

Clôtures, drones, cameras

Selon nos informations, il va falloir patienter. Un responsable nous explique ainsi qu'un retour d'expérience est en cours pour de nouvelles mesures de protection, en se basant notamment sur ce qui a été fait avec les drones et ainsi mesurer leur efficacité. Il s'agit également de savoir dans quelles conditions techniques, réglementaires, humaines et financières, ces mesures peuvent être appliquées.

"Il faut d'abord tirer les enseignements" de ce qui est fait et de ce qui peut l'être, explique cette source. Mais il faut être pragmatique, il est quasiment impossible d'empêcher l'action de quelqu'un de déterminé surtout s'il agit seul.

Reste que le cœur du problème, c'est le financement. L'enveloppe de SNCF Réseau allouée à la sécurisation est d'environ 35 millions d'euros pour la période 2023-2024.

C'est beaucoup et peu à la fois, c'est un budget peut-être suffisant à périmètre constant. Or, les sabotages de juillet exigent bien de nouveaux investissements.

Malgré les déclarations de l'exécutif, il n'y a "rien" de concret pour le moment. En réalité, l'entreprise et l'Etat attendent le rendez-vous de la négociation de l'avenant du contrat de performance qui lie les deux entités sur plusieurs années. Les négociations qui s'annoncent âpres auront lieu cet automne.

Interrogé, le ministère des Transports ne commente pas, renvoyant vers les dernières déclarations du ministère de l'Intérieur.

Rien de concret

En interne, on espère vivement que ce rendez-vos soit l'occasion de prendre en compte ce qu'il s'est passé en juillet, de faire un bilan et d'y associer des moyens.

Mais rien n'est acquis. L'exécutif a plusieurs arguments pour y opposer une fin de non-recevoir. Concernant le contrat de performance, l'État peut mettre en avant l'augmentation de la dotation décidée fin 2023.

Promesse a été faite de le faire passer progressivement de 3 milliards d'euros (en 2022) à 4,5 milliards en 2027.

Mais cette enveloppe doit être fléchée vers la régénération (le remplacement) des voies du réseau secondaire (TER, trains du quotidien) et sa modernisation avec de nouvelles technologies de signalisation. Il y a urgence tant le retard est colossal, ce qui a des conséquences sur le trafic, les temps de parcours... C'est une priorité. Tout comme l'accompagnement du changement climatique.

L'exécutif peut également invoquer le fameux plan d'infrastructure à 100 milliards d'euros d'ici à 2040 promis par l'ancienne Première ministre Elisabeth Borne en 2023. Mais personne n'en a vu la couleur.

Ou encore les fonds ponctionnés sur les bénéfices de SNCF Voyageurs (la filiale commerciale) qui viennent abonder un fonds de concours. D'autant plus que SNCF Voyageurs est bénéficiaire depuis plusieurs années maintenant.

Les revenus de SNCF Réseau inférieurs aux objectifs

Et puis il y a les recettes de SNCF Réseau qui a priori devrait profiter de l'engouement actuel pour le train. Chaque opérateur (la SNCF, mais aussi les nouveaux acteurs) qui utilise les voies du réseau doit en effet payer un droit de passage, des péages très élevés en France qui varient en fonction de la ligne et du nombre de trains.

Mais selon nos informations, les recettes attendues cette année seront inférieures aux objectifs fixés. De nouveaux acteurs qui devaient se lancer ont pris du retard. Rappelons que seulement deux concurrents de la SNCF circulent à date: Trenitalia et la Renfe. Sans oublier la situation financière délicate de certaines régions qui opèrent les trains TER, mais doivent payer également des péages (et qui en contestent les augmentations).

Par ailleurs, la filiale (qui est une entreprise publique de droit privé comme la SNCF) a l'obligation de présenter des comptes équilibrés et avoir un cashflow libre à zéro. "Impossible donc de piocher ou de revenir au déséquilibre", glisse une source. Faut-il alors augmenter encore les péages? Le risque serait de faire fuir les possibles concurrents de la SNCF.

Enfin, SNCF Réseau a la désagréable impression d'être soumis à des injonctions contradictoires, étant invité à faire mieux avec moins de moyens alors que ces questions de sécurité relèvent en partie des responsabilités de l'État.

L'an passé, après un acte de malveillance Gare de l'Est à Paris qui avait entraîné deux jours de perturbations, Clément Beaune, le ministre des Transports avait pourtant bien débloqué une enveloppe exceptionnelle de 5 millions d'euros pour renforcer les outils de vidéosurveillance et sécuriser 130 sites sensibles. Une somme qui avait été perçue comme insuffisante à l'époque.

Les discussions seront donc serrées, elles se feront en plus dans un contexte politique qui risque de ne pas être apaisé.

Olivier Chicheportiche Journaliste BFM Business