Paris-Aurillac: pourquoi la rentabilité des trains de nuit reste toujours aléatoire

Nouveau coup d'accélérateur pour les trains de nuit en France. Ce dimanche, la ligne de train de nuit Paris-Aurillac, supprimée il y a 20 ans, est de retour avec un premier train parti de la gare d'Austerlitz sous le regard du ministre des Transports Clément Beaune et des responsables de la SNCF.
Cette inauguration intervient la veille de celle du Paris-Berlin, lui aussi réinstallé dans un contexte de retour en grâce de ce mode de transport nocturne, délaissé dans les années 2010.
C'est "une grosse accélération", a commenté Clément Beaune, alors que la France vise 10 lignes de nuit d'ici la fin de la décennie, selon un plan lancé en 2021.

Un objectif louable mais qui reste très difficile à rentabiliser pour la SNCF qui dans ce domaine se plie aux injonctions de l'Etat, donneur d'ordre et investisseur en la matière puisqu'il s'agit de trains Intercités (trains d'équilibre du territoire).
Un train de nuit est 4,5 fois moins rentable qu'un TGV
Ces trains sont subventionnés par l'argent public à la différence des TGV qui eux ne le sont pas.
Ainsi, quand un siège de TGV peut être vendu 4,5 fois par jour, une couchette peut l'être seulement 1 fois par jour. Conclusion mathématique, un train de nuit est 4,5 fois moins rentable qu'un TGV.
Selon la SNCF, 700.000 personnes ont pris un train de nuit en 2022 contre 350.000 un an plus tôt. L'été dernier, 215.000 voyageurs ont dormi sur les rails, soit 15% de plus par rapport à l'été 2022.
Le train de nuit, ce sont beaucoup également de coûts fixes au niveau du matériel roulant avec des trains immobilisés le jour, cela rend donc les lignes déficitaires. Officiellement, la SNCF se dit enthousiaste pour les trains de nuit. En réalité, on estime en interne que c'est un "modèle économique impossible".
"Politiquement, la SNCF ne peut pas publiquement partager ce constat étant donné le buzz autour des trains de nuit mais elle est très sceptique tant le modèle est fragile", nous expliquait il y a quelques mois un fin connaisseur du dossier.
La non-rentabilité de ces trains est assumée par l'Etat. Pour la ligne Paris-Aurillac, "comme pour toutes les lignes qui n'arrivent pas à l'équilibre, on assume que ce sont des lignes de service public, et on subventionne leur fonctionnement: une ligne comme Paris-Aurillac c'est entre 3 et 4 millions d'euros par an de subvention de l'Etat", explique Clément Beaune, le ministre délégué aux Transports.
Obtenir des rames neuves prend de plus en plus de temps
Atteindre la rentabilité pour ces trains de nuit dépend en définitive de la stratégie et du financement de l'Etat car la SNCF n'investit pas dans cette offre.
La solution passera donc par plus d'offres et aussi à travers de nouveaux trains, l'Etat se contentant pour le moment de rafraîchir d'anciennes rames Corail des années 1980.
Ainsi, près de 10 lignes de trains de nuit "pourraient voir le jour d’ici 2030", avance le gouvernement qui reconnaît qu'il faut "trouver un modèle économique viable sur le long terme".
"On va à la fois continuer les rénovations et commander de nouveaux trains fin 2024 début 2025", a expliqué le ministre, pour un budget de 150 millions d'euros consacrés au total à ce projet de relance des trains de nuit. Cela inclut aussi des équipements tels que des douches en bout de quai.
Problème, les embouteillages sont tels chez les constructeurs de trains que les délais de livraison explosent. Il faut désormais attendre au moins deux ans avant de recevoir des rames neuves. Si la France passe commande début 2025, elles n'arriveront pas avant 2027...
L'idée est de s'approcher du modèle imaginé par l'opérateur autrichien ÖBB qui est devenu en quelques années le spécialiste européen du train de nuit (plus d'1,5 million de voyageurs transportés l'an passé). Mais cette compagnie dispose d'atouts de taille par rapport à la SNCF.
Plus les distances sont longues, plus les coûts sont amortis
D'abord, elle fait rouler des rames très modernes et confortables, les Night Jets, conçus par Siemens Mobility sur la base d'anciens trains de la Deutsche Bahn, qui ont été commandées en 2017 et qui constituent désormais l'essentiel de son parc. Proposés pour le Paris-Berlin, ces trains tranchent avec ce qui est proposé par la SNCF, notamment les prochains qui rouleront en 2025 (photos ci-dessous).

Ensuite, de par la position géographique de l'Autriche, la proposition d'ÖBB est avant-tout trans-européenne avec des liaisons vers les capitales européennes. "Plus les distances sont longues, et plus les coûts sont amortis", explique un expert à BFM Business.
Pour autant, même avec ce modèle à succès, l'opérateur n'afficherait qu'une rentabilité faible avec ses trains de nuit, d'abord parce que la transformation des rames coûte cher et parce que l'accès au réseau est complexe.
La nuit, les gestionnaires de réseau comme SNCF Réseau font des travaux sur les voies tandis qu'il faut trouver les sillons libres, les trains de fret étant très présents pendant la nuit.